À Bordeaux, La Favorite emballe !
Donnée à Bergame il y a quelques mois en ouverture du Festival Donizetti 2022 (compte rendu à retrouver ici), La Favorite traverse les Alpes pour se donner à Bordeaux dans sa version critique, en langue française et en intégralité, ballet inclus. Si le spectacle et la réalisation musicale ne déçoivent pas, ce Donizetti grand opéra à la française peine tout de même à combler totalement nos appétits.
D’un grand opéra, on attend plus que du grand, on espère du très grand, on oserait même toucher de temps en temps au grandiose. L’époque n’est plus à la débauche de moyens, l’abondance de 1840 n’a plus cours de nos jours. Réfrénons nos ardeurs et profitons simplement de la belle et simple mise en scène de Valentina Carrasco, de l’ingénieuse scénographie de Carles Berga et Peter Van Praet et des lumières souvent poétiques de ce dernier.
Bien menées, les scènes de ballet de l’acte II et les festivités de mariage de l’acte III perdent en spectaculaire ce qu’elles gagnent en signifiant et en force évocatrice. Ainsi troussée, cette Favorite tire le genre vers un drame de l’intime s’essayant à l’introspection même si cette histoire de courtisane victime de jeux de pouvoir et de valeurs morales, qu’on qualifierait aujourd’hui de « bourgeoises », peine à toucher vraiment.
Ajoutons à cela une partition qui manque souvent de ces grands moments de pures jouissances lyriques qu’offrent les œuvres plus italiennes du compositeur bergamasque et vous aurez un petit aperçu de ce qui aura pu faire défaut ici pour assouvir totalement l’appétit de l’amateur de faste et de débauche vocale. Reconnaissons tout de même que le finale de l’acte II ne manque pas d’ampleur avec son savant mélange de lyrisme démonstratif emprunté aux concertati italien et de puissance des masses sonores héritée de Meyerbeer et Halevy.
La distribution réunie à Bordeaux convainc totalement, à commencer par Pene Pati qui brille de mille feux dans le rôle de Fernand. La voix du ténor samoan est claire et lumineuse, la souplesse jamais prise en défaut et sa magnifique gestion du souffle lui permet aigus longuement tenus, messe di voce et variations de nuances qui ne laissent pas de subjuguer. Pene Patti semble également être né avec un traité de diction française dans la gorge. Sa présence ici suffirait presque à éteindre le feu des réserves précédentes.
Florian Sempey ne s’en laisse pas compter et fait preuve d’une bravoure à toute épreuve. Airs, duos, trios, la partie vocale du baryton est si imposante et variée qu’on aurait aussi bien fait de nommer cette Favorite « Alphonse XI ». C’est aussi à lui que revient le rôle psychologiquement le plus complexe, jouant sur une large palette allant de l’ironie à la sensualité, où sourde une violence féline savamment distillée.
La mezzo-soprano italienne Annalisa Stroppa incarne le rôle-titre avec un plaisir évident et une implication de tous les instants. Sa voix ne manque pas d’impact, même si quelques variations dans les couleurs et l’émission vocale n’auraient pas été pour nous déplaire. Sa Léonor est bien dessinée et l’actrice ne manque pas de prestance.
Vincent Le Texier est un magnifique Balthazar. On aurait pu attendre voix de basse plus large dans ce rôle de père colérique et autoritaire, mais la tessiture la plus grave de la partition est crânement assumée et le diseur fascine. Chaque mot trouve avec lui son juste poids et la sobriété de son jeu d’acteur est un modèle de précision et d’impact dramatique. On en vient même à attendre ses interventions pour y découvrir quelles subtiles variations il y insufflera. Dans le rôle d’Inès, la confidente de Léonor, Marie Lombard virevolte, scéniquement et vocalement, avec talent. Sébastien Droy est un Don Gaspar, courtisan de grand style, à la belle voix de ténor maniant avec talent sous-entendus et allusions piquantes et jouant sobrement d’une présence scénique naturellement incarnée.
Cette Favorite, nous l’avons dit, nous est donnée dans sa version avec ballet. Comment intégrer celui-ci à l’histoire et ne pas interrompre l’action durant quelque vingt minutes ? La metteuse en scène Valentina Carrasco a décidé d’ouvrir la scène du Grand-Théâtre aux « autres favorites », des femmes d’aujourd’hui âgées de 60 à 84 ans, des danseuses non professionnelles jouant un harem qui aurait été ou qui sera celui d’Alphonse XI et qui figure le possible destin de Léonor. Cela nous vaudra une très belle scène de transâgisme interrogeant le temps qui passe, le jeunisme et la standardisation des critères de beauté. À entendre les quelques rires gênés, les murmures gentiment attendris et les applaudissements réservés à ces « favorites » à la fin du spectacle, on ne sait si le message est bien passé, mais la scène aura eu le mérite de bousculer un peu.
Dans la fosse d’orchestre, Paolo Olmi dirige l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine avec précision, maintenant constamment le contact avec les chanteurs et le drame qui se joue. Les lignes mélodiques sont bien conduites, soutenues par des basses ronflantes et des cuivres puissants et assurés. Le chœur de l’Opéra National de Bordeaux se montre toujours investi malgré quelques petits décalages qui ne manqueront pas d’être gommés par le maestro Salvatore Caputo pour les prochaines représentations.
Au final, on ne sait si cette Favorite en VF avec ballet aura comblé les amateurs de grand opéra à la française, mais elle nous aura pour le moins emballés.
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Pour aller plus loin, voyez le dossier que Première loge consacre à La Favorite.
Retrouvez Pene Pati en interview ici !
Leonor : Annalisa Stroppa
Ferdinand : Pene Pati
Alphonse XI : Florian Sempey
Don Gaspar : Sébastien Droy
Balthazar : Vincent Le Texier
Inès : Marie Lombard
Orchestre National Bordeaux Aquitaine, dir. Paolo Olmi
Assistant à la direction musicale : David Molard Soriano
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux, dir. Salvatore Caputo
Chefs de chant : Jean-Marc Fontana, Françoise Larrat, Ugo Mahieux
Mise en scène : Valentina Carrasco
Assistant à la mise en scène : Lorenzo Nencini
Décors : Peter van Praet, Carles Berga
Costumes : Silvia Aymonino
Lumières : Peter van Praet
Chorégraphie : Massimiliano Volpini
La Favorite
Opéra en quatre actes de Donizetti, livret d’Alphonse Royer et Gustave Vaëz d’après Les Amours malheureuses ou le Comte de Comminges de Baculard d’Arnaud, créé à l’Opéra de Paris le 2 décembre 1840.
Opéra national de Bordeaux, représentation du samedi 04 mars 2023