Beau succès pour LUISA MILLER à Angers – et la découverte d’une très belle interprète : Marta Torbidoni
Luisa Miller enfin de retour sur les scènes françaises, grâce à Angers-Nantes Opéra
Cet opus verdien trop rarement donné est proposé dans une production soignée avec une distribution de qualité, au sein de laquelle brille Marta Torbidoni qui remporte un magnifique succès dans le rôle-titre.
Un très beau Verdi, trop peu présent sur nos scènes
Il faut savoir gré aux opéras d’Angers, Nantes et Rennes d’avoir programmé la bien trop rare Luisa Miller de Verdi, qui se fait discrète même dans les plus grandes salles (sauf erreur, l’Opéra de Paris n’en a proposé au fil de son histoire que deux productions, l’une en 1983 pour permettre la venue à Paris de Luciano Pavarotti, l’autre il y a une dizaine d’années à l’Opéra Bastille). L’œuvre pourtant, créée en décembre 1849 au San Carlo de Naples, est à n’en pas douter l’une des plus réussies et des plus attachantes parmi les opéras un peu moins célèbres de Verdi – ceux qui n’ont pas les honneurs de programmations régulières au même titre que la trilogie populaire ou les chefs-d’œuvre de la maturité. Le compositeur, qui venait de composer Il Corsaro et La Battaglia di Legnano – deux opus intéressants mais imparfaits sur le plan dramatique et restant musicalement assez prisonniers de certaines conventions – propose ici un langage étonnamment fort, novateur, laissant percevoir à plus d’une reprise ce que le génie en devenir de Verdi lui permettra bientôt de réaliser et les sommets d’expressivité, d’émotion et de d’efficacité dramatique qu’il sera très vite en mesure d’atteindre – en fait… un an plus tard, dès mars 1851 avec Rigoletto !
Luisa Miller n’est pas si facile à monter : il faut, pour que « la sauce prenne », un metteur en scène qui, sans chercher à faire dire à l’œuvre ce qu’elle ne dit pas, parvienne à rendre crédibles certains ressorts mélodramatiques de l’intrigue, risquant de paraître « faciles » au public d’aujourd’hui ; un chef respectant l’équilibre très particulier d’une écriture encore ancrée, dans une certaine mesure, dans la tradition belcantiste, tout en étant porteuse de modernité ; il faut enfin pas moins de six chanteurs de premier plan (dont deux basses), si l’on souhaite que l’équilibre vocal et dramatique de l’œuvre soit respecté. Pari tenu par l’Opéra d’Angers en cette soirée de première, à quelques détails près.
Un spectacle du Theater Erfurt
La production, importée d’Allemagne, a été réalisée par Guy Montavon, le directeur du Theater Erfurt. Si l’action ne se situe pas au début du XVIIIe siècle comme le stipule le livret (les costumes, à quelques exceptions près, semblent indiquer que nous nous trouvons plutôt au début du XIXe), Guy Montavon évite tout à la fois la mise en images plate et redondante, le recours à l’abstraction, ou la transposition contemporaine. À l’aide de quelques objets signifiants (une lance, le verre contenant le poison) et dans des décors reprenant certains éléments réalistes (des pans de murs, des portes) tout en les stylisant, le metteur en scène déroule les méandres du drame en focalisant l’attention du spectateur sur les relations et les tensions entre les personnages, avec des bonheurs parfois divers : certains tableaux laissent un peu perplexes (Luisa, au premier tableau, déballant des dizaines de paquets-cadeaux – l’œuvre débute le jour de son anniversaire… – dont elle extrait inlassablement des soucoupes ou des assiettes) ; d’autres sont plus réussis, telle la scène finale où les amants meurent debout et souriants sous un ciel chargé de nuages, heureux de trouver dans la mort le bonheur qui leur a été refusé sur terre (on songe alors curieusement au « Viva la morte insieme ! » de Chénier et Madeleine de Coigny !)
Une belle interprétation musicale… et la révélation de Marta Torbidoni
Musicalement, commençons par déplorer certaines coupes opérées dans la partition, qui nous ont paru inexplicables : on serait prêt à tolérer la suppression des reprises des cabalettes de Miller (« Ah ! fu giusto il mio sospetto ! ») ou de Rodolfo (« L’ara, o l’avello apprestami »). Et encore… rien, si ce n’est une mauvaise tradition, ne devrait autoriser de telles coupures – qu’au demeurant on n’ose se permettre quand il s’agit de da capo baroques ou mozartiens. Mais lorsque ce sont les plus belles pages de l’œuvre qui se trouvent ainsi amputées, l’incompréhension est totale : pourquoi priver Luisa de la reprise de son flamboyant « A brani, a brani, o perfido / Il cor tu m’hai squarciato! », l’un des climax de l’œuvre ? Comment peut-on considérer comme inutile, l’ultime reprise du duo « Andrem, raminghi e poveri », où le chant triste et tendre de Luisa se superpose délicatement à celui de Miller, préfigurant ainsi directement un autre duo père/fille verdien bouleversant, le « Veglia, o donna » de Rigoletto ?
« Andrem, raminghi e poveri », K. Ricciarelli; R. Bruson, dir. L. Maazel
C’est d’autant plus regrettable que Pietro Mianiti tire le meilleur d’un orchestre (celui des Pays de Loire) qui sonne certes un peu « mat » dans les lignes nerveuses et incisives de l’ouverture, mais trouve vite une belle rondeur de son et répond efficacement aux directives du chef, de même que le chœur d’Angers Nantes Opéra dont la prestation séduit et convainc en dépit, ici ou là, de menues imperfections – peut-être dues au fait que les choristes ne sont presque jamais présents sur scène. Le chef italien, quoi qu’il en soit, a proposé une lecture de l’œuvre précise, vive, ne faisant jamais retomber la tension dramatique, et s’est montré par ailleurs soucieux de l’équilibre entre la fosse et le plateau.
Luisa Miller comporte un rôle de ténor très exigeant, avec en particulier un air (« Quando le sere al placido ») qui compte parmi les plus touchants composés pour cette voix par Verdi. Le rôle de Rodolfo revient ce soir au ténor italien Gianluca Terranova. Ses premières interventions laissent entendre une puissance vocale un peu limitée, mais la ligne de chant est sobre et le style adapté, et l’on se dit que le portrait de Rodolfo qui nous sera proposé devrait être convaincant. Hélas, très vite, le registre aigu se fragilise, avec une voix qui s’amenuise dangereusement et une émission plus d’une fois à la limite de la rupture, ce qui s’est révélé particulièrement problématique au finale du I, dont la force dramatique repose en grande partie sur les interventions de Rodolfo. Après l’entracte, l’émission vocale retrouvera en partie sa stabilité et le fameux air du deuxième acte ne souffrira d’aucun accident vocal. Le ténor, fréquemment en difficulté dans l’aigu et le chant forte, n’en a pas moins paru en méforme : il faudrait le réentendre pour pouvoir juger objectivement de ses qualités réelles.
Le reste de la distribution masculine apporte de nombreuses satisfactions, avec le Walter sonore de Cristian Saitta ou le Miller émouvant de Federico Longhi, à la projection vocale d’une étonnante facilité. Mais c’est peut-être Alessio Cacciamani qui nous a fait la plus forte impression. Le rôle de Wurm est très ingrat : très présent, très important sur le plan dramatique, il ne se voit malgré tout accorder aucune page qui lui soit spécifiquement destinée et dans laquelle l’interprète puisse faire valoir ses talents. Malgré cela, Alessio Cacciamani donne une grande épaisseur au personnage, grâce aux couleurs sombres de son timbre mais aussi une belle expressivité – qui n’entache en rien la noblesse de la ligne de chant.
Côté femmes, Marie-Bénédicte Souquet tire son épingle du jeu dans le petit rôle de Laura, avec une émouvante intervention au début du III avec le chœur des villageoises. Lucie Roche accroche l’œil et l’oreille dans le rôle un peu sacrifié de la duchesse Federica. Mais la grande surprise de la soirée aura été Marta Torbidoni, dont nous ignorions le nom et qui fait ici, sauf erreur, ses débuts en France. Elle a tout simplement été une Luisa quasi idéale, émouvante dans une incarnation portée par une voix longue, colorée, puissante mais capable de très beaux raffinements. Une découverte mais aussi un vrai mystère : pourquoi n’entend-on pas plus souvent cette belle artiste en France ? Puisse ce joli succès lui ouvrir dorénavant les portes de nos théâtres !
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Un spectacle à applaudir dans les jours et semaines à venir sur les scènes d’Angers, Nantes et Rennes !
Luisa Miller : Marta Torbidoni
Federica : Lucie Roche
Laura : Marie-Bénédicte Souquet
Rodolfo : Gianluca Terranova
Le Comte Walter : Cristian Saitta
Wurm : Alessio Cacciamani
Miller : Federico Longhi
Orchestre National des Pays de la Loire, Choeur d’Angers Nantes Opéra, dir. Pietro Mianiti
Chœur d’Angers Nantes Opéra, dir. Xavier Ribes
Mise en scène et lumières : Guy Montavon
Assistance à la mise en scène : Jean-François Martin
Scénographie et costumes : Éric Chevalier
Dramaturgie : Arne Langer
Luisa Miller
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Salavatore Cammarano d’après Kabale und Liebe de Schiller, créé le 8 décembre 1849 au San Carlo de Naples.
Opéra d’Angers, représentation du vendredi 10 mars 2023