Du Faust de Gounod, il faut accepter les quelques bondieuseries, les figures manichéennes et les pompiérismes musicaux à succès. Une fois laissées de côté ces réserves que chacun(e) appréciera à l’aune de ses goûts et valeurs, l’œuvre est un terrain de jeu idéal pour créateurs inventifs. Ainsi, quand elle tombe dans les mains (et les bras, et les jambes et tout le reste) de Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, elle vous emporte au paradis.
Quel plaisir de ne pas avoir à lire la note d’intention d’un metteur en scène pour comprendre où, quand, comment, pourquoi et sous quels effets de substances plus ou moins licites le spectateur va être mangé. Non pas qu’elle ne soit pas intéressante cette note de mise en scène, mais, tout est dit dans le spectacle alors, économisons nos yeux, posons notre programme et profitons.
Claude Brumachon et Benjamin Lamarche ne sont pas metteurs en scène. Ils sont chorégraphe et danseur. Ce n’est pas un détail et ça fait beaucoup. Bien sûr, l’idée de donner un double dansant à chaque rôle chanté, pour n’être pas nouvelle, est toujours très bonne surtout quand elle est réalisée avec autant de talent. Les danseurs et danseuses Steven Chotard, Martin Mauriès, Elisabetta Gareri, Alexis Lemoine, Mathilde Rader, Alexandre Gastoud et Lucía Gervasoni excellent à exprimer les états d’âme des personnages. Ils réussissent encore mieux, s’il en était possible, à rendre charnelles leurs passions intérieures avec poésie, violence et sensualité. Rien ne nous sera épargné des peurs, des envies, des ambiguïtés, des parts souvent plus sombres que lumineuses de Faust, Marguerite ou même de Méphisto, diable plus complexe qu’il n’y parait. Les sulfures de l’enfer ne sont jamais loin et c’est un vrai plaisir pour les yeux et pour ce que cela titille du cogito. Et puis, il y a des prouesses physiques et techniques telles, que l’auteur de ces lignes, simple amateur d’opéra, manquera du juste vocabulaire pour en rendre pleinement les qualités.
Claude Brumachon et Benjamin Lamarche ne sont pas metteurs en scène et pourtant, leur direction d’acteur est précise, inventive et chiadée d’un brin d’humour bienvenu. Rarement chanteurs auront agi et interagi sur une scène avec autant de sophistication ; et pourtant, cela en paraitrait presque naturel ! Avouons tout de même qu’à certains moments (dans l’air « Salut ! Demeure chaste et pure » de Faust notamment) la crainte nous a frôlé de voir les chorégraphies parasiter le chant – nous sommes à l’opéra tout de même… Eh bien non, juste à l’instant au cela aurait pu être « trop », c’est devenu « assez ». En fait, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche sont bien des metteurs en scène. Encore mieux : ce sont des metteurs en scène d’opéra avec ce qu’il faut de la compréhension des subtilités du genre… et des susceptibilités de son public.
Notons tout de même que si la dualité (au minimum) des personnages est parfaitement rendue, les scènes de chœur et, chose plus étonnante, les scènes infernales (du Veau d’or ou du sabbat de la Nuit de Walpurgis), nous ont semblé un peu brouillonnes et manquant quelque peu d’ampleur. D’autres metteurs en scène se seront butés aux mêmes écueils. Bienvenue au club !
Notre duo de metteurs en scène a également eu le talent de réunir autour de lui une équipe à la hauteur des enjeux avec Fabien Teigné et sa scénographie minimaliste et poétique, Hervé Poeydemenge et ses costumes aussi « Sturm un drang » qu’intemporels et surtout les lumières sensibles, imagées et savamment dessinées de Ludovic Pannetier. L’amateur d’opéra – encore lui – aurait juste souhaité un peu plus d’éclairage de face pour bien voir l’effort des chanteurs lors de l’émission des notes les moins confortables de la partition. (NDLR : la rédaction n’est pas responsable de l’humour de ses contributeurs…)
Vocalement, nous sommes également à la fête. Nous aurions même pu jeter un « Cocorico » tonitruant devant une distribution 100% française, mais cela aurait été oublier que cet état de fait est surtout dû à la défection d’Amina Edris, initialement prévue dans le rôle de Marguerite, pour des raisons qui lui sont évidement personnelles. Dire qu’on n’y perd pas au change serait spéculer des qualités de la soprano égyptienne dans cet emploi. Pourtant, le plaisir est immense d’y entendre Gabrielle Philipponet. Son beau soprano lyrique a toujours ce qu’il faut d’agilité pour rendre justice au célèbre Air des bijoux mais c’est surtout dans la cantilène alla Gounod qu’elle se montre à son meilleur. La Ballade du roi de Thulé et le début de l’acte IV sont ainsi de magnifiques moments de « mélancolie vocale ». La soprano a également ce qu’il faut de ressources en puissance et en aigus pour affronter crânement le trio final. Si la voix semble parfois rebelle aux allègements dans le haut de la tessiture, le portait vocal de sa Marguerite est suffisamment varié et incarné pour rendre émouvant ce personnage de jeune fille pudique, amoureuse et vertueuse.
La prise de rôle de Julien Dran en Faust est également un succès. Il s’empare littéralement du rôle et surtout de la partition qui ne ménage pas son interprète jusqu’au fameux et redoutable trio final. Le ténor ne cède jamais à la facilité, n’escamote aucune difficulté et se permet même un très beau diminuendo sur l’aigu de sa cavatine de l’acte III. Son Doktor Faust est torturé, jouisseur juste ce qu’il faut et éperdument amoureux. Voilà un bien beau portait.
Loin de tout histrionisme, le Méphistophélès de Nicolas Cavallier possède ce subtil mélange de classe, de grâce et d’esprit qui fait qu’on prendrait volontiers un ticket pour les enfers avec lui. Il ne manque pas non plus d’une certaine cruauté qui nous rappellera que posséder une sainte médaille au fond de sa poche pourrait se révéler bien utile en cas de besoin. Il a également pour lui la voix la plus large du plateau et si, avec les années, le registre aigu se fait plus barytonnant, le grave ne manque jamais de l’ampleur et de la profondeur requises pour une incarnation mémorable. L’acteur semble également prendre un plaisir certain à se glisser dans la partition chorégraphique de Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, ce qui nous voudra quelques très élégants pas de danse.
En Valentin, Anas Séguin fait preuve de ses habituelles qualités d’implication et d’élégance vocale qui nous vaudront un très beau « Avant de quitter ces lieux» et dessineront un frère la vertu moins antipathique qu’habituellement.
Eléonore Pancrazi en Siébel ne manque pas non plus d’engagement mais le début de son « Faites-lui mes aveux» manque de ce legato que nous lui connaissons habituellement et que nous retrouverons avec plaisir dans sa Romance de l’acte IV. Ses emportements adolescents ne manquent jamais de nous attendrir et de nous émouvoir.
La Dame Marthe de Marie-Ange Todorovitch est aussi truculente que possible et aussi généreuse de voix que d’humour. En Wagner, Thibault de Damas complète ce tableau vocal avec une présence indéniable et un timbre à la rondeur plus qu’agréable.
Le chœur de l’Opéra de Limoges, dirigé par Arlinda Roux, était également ce soir très en voix avec une mention spéciale pour les pupitres d’hommes qui nous offriront un « Gloire immortelle de nos aïeux» fort justement applaudi.
L’orchestre maison était dans une forme resplendissante. A sa tête, Pavel Balef est un chef aussi bien attentif aux chanteurs qu’aux couleurs orchestrales le plus souvent subtiles de la partition de Charles Gounod.
Avec ce Faust, le Grand Théâtre de Limoges fête en beauté ses 60 ans car oui, disons-le : « Ce soir, Dieu que c’était beau ! ».
Faust : Julien Dran
Marguerite : Gabrielle Philiponet
Méphistophélès : Nicolas Cavallier
Valentin : Anas Séguin
Siébel : Eléonore Pancrazi
Dame Marthe : Marie-Ange Todorovitch
Wagner : Thibault de Damas
Danseurs et danseuses :
Faust : Steven Chotard
Méphistophélès : Martin Mauriès
Marguerite : Elisabetta Gareri
Soldat : Alexis Lemoine
Bourgeoise/matronne : Mathilde Rader
Etudiant : Alexandre Gastoud
Jeune fille : Lucía Gervasoni
Orchestre de l’Opéra de Limoges, Chœur de l’Opéra de Limoges (dir. Arlinda Roux), dir. Pavel Baleff
Cheffe de chant : Elisabeth Brusselle
Mise en scène : Claude Brumachon-Benjamin Lamarche
Scénographe : Fabien Teigné
Costumes : Hervé Poeydemenge
Lumières : Ludovic Pannetier
Faust
Opéra en 5 actes de Charles Gounod, livret de Jules Barbier et Michel Carré d’après le premier Faust de Goethe, créé le 19 mars 1859 à Paris (Théâtre Lyrique)
Représentation du 15 mars 2023, Opéra de Limoges