NO, NO, NANETTE ET LE RYTHME FRENETIQUE DES ROARING TWENTIES

La comédie musicale la plus symbolique des Années Folles enfin à l’affiche de l’Odéon de Marseille ! Une matinée placée sous le signe du rythme du fox-trot, du charleston et de la modernité dans l’Amérique des années vingt : on adore !

No, No, Nanette : La comédie musicale iconique des Années Folles

1925 aux Etats-Unis, c’est l’année de la Prospérité triomphante. Une génération libérée sort de la Grande Guerre (1917-1918 pour les américains) et a redécouvert l’Europe. Alors que l’alcool prohibé coule à flots, que les flappers (les « garçonnes » en France) aux jupes-fourreau et aux portes-cigarettes télescopiques se trémoussent au rythme du fox-trot et du charleston à la mode et qu’est publié le dernier roman de Francis Scott Fitzgerald Gatsby le Magnifique, une comédie musicale continue son parcours triomphal commencé, dès l’année précédente dans plusieurs villes américaines puis à Londres : No, No, Nanette.

Dans un contexte qui voit, en effet, le triomphe de « la » femme américaine, magnifiée par le célèbre producteur de spectacles Florenz Ziegfeld, No, No, Nanette est sans doute la première œuvre du théâtre musical d’outre-atlantique à montrer sur scène des personnages féminins de tout âge rêvant d’émancipation, attirées par une vie luxueuse, frivole et pleine de plaisirs… y compris physiques !

De même, les personnages de Jimmy Smith et de Billy Early rompent avec la tradition consistant à mettre au premier plan des jeunes premiers et autres amoureux transis, que l’on retrouve néanmoins avec le personnage de Tom – délaissé pendant une bonne partie de l’œuvre – pour donner à voir des viveurs bien installés dans la société, ayant toutes les apparences de la vertu et du sérieux (un éditeur de bibles et un homme de loi !), aimant jouir de la vie mondaine et des plaisirs procurés par un dollar-roi, appelant de leurs vœux des compagnes coquettes, élégantes et forcément dépensières !

De quoi parle No, No, Nanette ? Du plaisir et du Bonheur à tout prix. Que ces sentiments soient provoqués par l’élément aquatique, la frénésie de la danse, l’argent facile qui peut tout acheter et tout réparer ou les envies d’amours plus ou moins légitimes, qu’importe ! L’essentiel pour tous ces personnages réside dans le divertissement dont on veut que soit remplie une existence qui est soudain redevenue ré-enchantée.

Une troupe d’une belle cohésion

Le succès du spectacle entendu à Marseille repose avant tout sur la mise en scène de Carole Clin et la chorégraphie de Maud Boissière. Dans une scénographie élégante aux projections et aux panneaux de fond de scène évoquant tour à tour le skyline new-yorkais (un imposant Empire State building), la station balnéaire alors à la mode d’Atlantic city et les intérieurs des appartements art-déco, Carole Clin, dont on connaissait déjà le goût pour la comédie musicale américaine, fait ici œuvre d’amour et communique sa passion en faisant évoluer son plateau  avec ce qu’il faut de légèreté et de fausse insouciance, indispensables dans cette œuvre. Le résultat est d’une parfaite cohérence et chaque personnage, du principal au plus secondaire, trouve ses marques et s’imbrique dans un ensemble harmonieux et très rythmé. Le travail sur les dialogues est particulièrement à saluer et permet d’entendre une version française finalement assez proche de l’original américain avec des moments de théâtre hilarants entre les deux compères Jimmy et Billy auxquels le public répond sans s’y tromper ! Ici, comme c’est d’ailleurs souvent le cas dans cette comédie musicale, les mots souvent lestes, pleins d’humour et de joie de vivre, virevoltent et ne laissent pas de temps mort, pour notre plus grand plaisir.

La présentation scénique d’une comédie musicale de l’âge d’or se juge souvent à la pulsion donnée par la chorégraphie. Là encore, les dix danseur(es) maîtrisent les règles du genre, venant s’insérer dans de nombreux numéros chantés, et permettent ainsi de faire monter d’un cran l’enthousiasme général, par exemple dans le célèbre « Pour être heureux » où, emmenés par la pétulante Agnès Pat’ (Nanette) et Rémy Cotta (Jimmy Smith), parfait dans ce type d’emploi, ils font des miracles dans un numéro de claquettes au cordeau !

Sous la direction efficace de Bruno Conti, les couleurs de la formation orchestrale sont dominées par des rythmes de danse (charleston, fox-trot, one-step…) qui imposent leur marque dès l’ouverture (donnée dans son intégralité). La section rythmique (piano, contrebasse, batterie), particulièrement à la manœuvre dans ce type d’ouvrage, donne toute l’impulsion nécessaire au plateau.

Dans le rôle-titre, Agnès Pat’- que l’on y avait découverte à Nice en 2013 – est toujours aussi épatante, traduisant parfaitement la dimension espiègle, mutine et de jeune femme en pleine émancipation du personnage, telle une parfaite flapper de l’époque. En outre, le public est sensible à cette interprète pleine d’allant qui prend un plaisir apparent à incarner ce rôle !

De même, le rôle de l’avocat Billy Early va comme un gant à Fabrice Todaro. On connaissait le chanteur – entendu encore récemment dans L’Auberge du cheval blanc à l’Opéra de Marseille – mais l’interprète comique est également très talentueux tout comme le danseur. Ici encore, on se situe dans une réelle élégance toute anglo-saxonne.

Nous avions déjà entendu Julien Salvia dans le rôle du jeune premier Tom Trainor. Toujours aussi scéniquement fringuant, c’est à lui que reviennent quelques-unes des plus belles chansons de la partition (dont l’exquis « Thé pour deux » en duo avec Nanette). Dommage que l’absence de sonorisation ne puisse totalement mettre en valeur ses moyens.

Coup de cœur également pour l’incroyable Julie Morgane en Lucile Early. Ce personnage de femme déjà mûre mais éminemment séduisante, à la fois pleinement de son temps mais pas prête à renoncer à l’amour conjugal régale le public dans le fameux « Fais danser tout’s celles que tu voudras ! ». Dans des tenues tout droit sorties d’un film RKO des années trente, Julie Morgane confirme, une fois de plus, qu’elle est un véritable caméléon dans ses incarnations scéniques.

Si Elisabeth Aubert nous a semblé un peu en deçà des exigences du rôle de Suzanne Smith, rôle où l’interprète, jusque-là pudibonde, doit se métamorphoser au final en une vamp de cabaret chic des Années Folles, c’est Marion Préïté qui, dès son entrée en scène en Pauline, la domestique des Smith, casse la baraque ! Avec cette interprète, ce « second rôle » devient de tout premier plan, faisant régulièrement éclater de rire la salle par sa gouaille et son tempérament ! Mention spéciale enfin pour les trois « déesses » Betty, Flora et Winnie qui voient en Jimmy Smith leur mentor et qui impulsent à chacune de leurs apparitions une verve comique et une touche de sensualité bienvenue, sans oublier – pour Perrine Cabassud qui est Betty – quelques vocalises ajoutées à propos !

Une matinée qui rend heureux donc, comme la musique de l’injustement oublié Vincent Youmans !

Les artistes

Nanette : Agnès Pat’
Suzanne : Elisabeth Aubert
Lucille : Julie Morgane
Pauline : Marion Préïté
Betty : Perrine Cabassud
Flora : Sabrina Kilouli
Winnie : Davina Kint
Tom : Julien Salvia
Billy : Fabrice Todaro
Jimmy : Rémy Cotta

Orchestre de l’Odéon de Marseille, dir. Bruno Conti
Mise en scène : Carole Clin
Décors : Théâtre de l’Odéon
Costumes : Opéra de Marseille
Chorégraphie : Maud Boissière

Le programme

No, No, Nanette

Comédie musicale en trois actes de Vincent Youmans, livret de Otto Harbach et Frank Mandel, créée à Boston, le 20 avril 1924. Création à Paris, théâtre Mogador, le 29 avril 1926.
Odéon de Marseille, représentation du samedi 25 mars 2023.