N’en déplaise à certains décideurs territoriaux, l’Opéra est un art populaire et le restera ! Nous en avons été directement témoin à l’occasion de la dernière triomphale de Nabucco dans la salle de la place Reyer.
Une production efficace qui vise à l’essentiel
Venue de l’Opéra de Saint-Étienne, la scénographie de Jean-Christophe Mast joue sur de beaux volumes et, tout en étant relativement dépouillée, sait dégager les idées-forces de l’ouvrage : c’est ainsi qu’un cube doré au milieu de la scène figure à la fois l’autel du temple de Salomon sur lequel Zaccaria exhorte les hébreux à la résistance puis le trône de l’envahisseur Nabucco (final acte I), avant qu’Abigaille n’en fasse le symbole de son propre pouvoir (final acte II). De même, dès le lever de rideau, alors que le chœur entonne « Gli arredi festivi », la projection sur le rideau du temple d’une immense étoile de David ne manque pas de faire son effet sur le public tout comme, au début du deuxième acte, un ballet parfaitement ordonné de porteurs de lances au jaune fluorescent qui se lancent dans une chorégraphie faisant la part belle à la lutte acrobatique. Si certains ont pu regretter la vision excessivement sanguinaire du personnage d’Abigaille qui n’hésite à pas égorger de jeunes vierges juives, la direction d’acteurs rallie tous les suffrages et est particulièrement efficace dans les grands ensembles dont l’ouvrage regorge. A l’unisson avec cette sobriété qui ne fait jamais cheap, les costumes signés Jérôme Bourdin, efficacement portés à la lumière par Pascal Noël, jouent classiquement sur une opposition des couleurs entre le noir des envahisseurs assyriens et le crème des robes des prêtres et du peuple élu.
Une direction d’orchestre et de chœur sachant mêler la fougue du Verdi de jeunesse aux accents les plus belcantistes
Si Paolo Arrivabeni est désormais un habitué de la phalange phocéenne, force est de constater que l’alchimie opère à nouveau : le chef italien tire le meilleur de son orchestre, sachant mettre en évidence les envolées lyriques meurtrières de l’air d’Abigaille « Ben io t’invenni, o fatal scritto ! » tout comme la splendeur chambriste de l’introduction de la prière de Zaccaria « Vieni, o Levita ! ». C’est, en outre, dans son étroite complicité avec Emmanuel Trenque, chef du chœur, que nous avons plus particulièrement apprécié la direction d’authentique chef de théâtre d’Arrivabeni dans des moments attendus mais ne supportant pas la médiocrité tels que le chœur d’ouverture « Gli arredi festivi » et, bien évidemment, l’inusable « Va, pensiero », exemplaire de rigueur et d’émotion.
Un plateau vocal qui réserve le meilleur
Tant dans ses rôles de composition que dans ses premiers plans, la soirée réserve de bien beaux moments. De l’Abdallo de l’impeccable Jérémy Duffau au grand-prêtre de Baal de Thomas Dear en passant par l’Anna de Laurence Janot qui se paye le luxe de quelques fiers aigus au final de l’acte I, la distribution réunie est des plus soignées. Si l’on excepte l’Ismaël de Jean-Pierre Furlan, bien trop « fort ténor » et à la ligne de chant aujourd’hui peu homogène, dans un rôle qui ne compte pas parmi ceux où le maître de Busseto a manifesté le mieux sa veine d’écriture, les rôles principaux permettent à un public enthousiaste – et parfois novice en matière d’art lyrique – de se faire une idée précise de ce qu’est l’art du chant verdien. Ainsi, Marie Gautrot en Fenena apporte aux accents moirés de son « Oh, dischiuso è il firmamento ! » toute la sensibilité d’une artiste amenée désormais à s’emparer des plus grands rôles. La basse sud-coréenne Simon Lim, que nous entendions pour la première fois, fait forte impression en Zaccaria, un rôle dont les affinités avec le bel canto romantique nécessite une ligne de chant soignée, avec des montées dans l’aigu périlleuses pour nombre de chanteurs. Triomphant de tous les obstacles – et en particulier de ceux de son air d’entrée « Sperate, o figli ! » et de la cabalette « Come notte a sol fulgente », Simon Lim emporte l’adhésion et fait un beau succès à l’applaudimètre final tout comme d’ailleurs l’Abigaille de Csilla Boross. Dans ce rôle dont elle connaît tous les ressorts, la soprano hongroise, sans disposer d’une voix impressionnante, sait beaucoup mieux conduire son instrument que dans sa Gioconda des Chorégies 2022. Même si, au cours de la soirée, la voix connaît soudain des ralentissements singuliers et si les graves sont souvent détimbrés (dans la cabalette « Salgo già del trono aurato »), les aigus si meurtriers du rôle forcent dans l’ensemble le respect, et l’engagement scénique – en particulier dans le duo de l’acte II avec Nabucco – fait le reste. Une performance à saluer pour laquelle le public saura manifester, au rideau final, son emballement total !
C’est cependant avec le roi de Babylone du baryton espagnol Juan Jesús Rodríguez que le succès public rejoint les exigences du critique. Dès son entrée en scène, le chanteur impressionne par la puissance et l’expression d’un chant jamais en force et sachant toujours se montrer noble dans un rôle regardant davantage vers Donizetti et Bellini que vers le Verdi de la maturité. De fait, on ne sera pas étonné de lire que l’air final « Dio di Giuda ! », chanté à fleur de lèvres et la cabalette martiale « O prodi miei, seguitemi », parfaitement ciselée et couronnée par un incroyable la bémol tenu, auront constitué les deux moments les plus inoubliables de la soirée.
Un public qui sait encore faire fête aux artistes
Nous voudrions terminer ce compte rendu en rendant hommage au public de l’Opéra de Marseille. Certes, il est sans doute loin le temps du « poulailler » – l’amphithéâtre – en vente totale le jour de la représentation qui permettait à des générations d’amateurs d’art lyrique de se faire le goût au contact des anciens et de manifester, parfois bruyamment, enthousiasmes et déceptions. Il n’empêche. En entendant les applaudissements et les « bravi ! » crépiter de tous les étages du théâtre, on se prenait à revivre les moments de jadis et à se redire que ce public, aujourd’hui en profond renouvellement, avait toujours quelque chose d’unique.
Alors que le dernier accord du « Va, pensiero », patrimoine musical de la notion de Liberté, vient mourir à l’orchestre, une voix depuis les fauteuils de l’orchestre fait retentir un sonore : « La retraite à soixante ans !». Déplacé ? Peut-être…Personnellement, j’ai préféré y voir, le signe d’une maison d’opéra qui est bel et bien toujours un poumon de la Cité. A l’heure où certains de nos édiles semblent s’interroger sur l’avenir de l’Opéra en France, cela est plutôt bon signe, non ?
Nabucco : Juan Jesús Rodríguez
Zaccaria : Simon Lim
Ismaël : Jean-Pierre Furlan
Abdallo : Jérémy Duffau
Le Grand Prêtre : Thomas Dear
Abigaille : Csilla Boross
Fenena : Marie Gautrot
Anna : Laurence Janot
Orchestre de l’Opéra de Marseille, direction : Paolo Arrivabeni
Chœur de l’Opéra de Marseille, direction : Emmanuel Trenque
Mise en scène : Jean-Christophe Mast
Assistante mise en scène/Chorégraphie : Laurence Fanon
Décors et costumes : Jérôme Bourdin
Lumières : Pascal Noël
Nabucco
Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi (1813-1901), livret de Temistocle Solera (1815-1878) d’après Nabuchonodosor, drame d’Auguste Anicet-Bourgeois et Francis Cornu.
Représentation du 7 avril 2023, Opéra de Marseille.