À l’Opéra de Rennes : un Élixir « di si perfetta, di si rara qualità » !
L’Opéra de Rennes a choisi de clore sa saison lyrique avec une valeur sûre du répertoire : L’Élixir d’amour, chef-d’œuvre de Donizetti au pouvoir de séduction inentamé, et qui plus est susceptible de faire venir et de séduire un public pas forcément familier du genre lyrique. Pari tenu : la salle était comble hier soir et le public, très mêlé (des connaisseurs, des néophytes, beaucoup de jeunes , voire de très jeunes) a fait un triomphe, à l’œuvre et aux artistes.
Les raisons de ce très beau succès sont multiples. En premier lieu, le spectacle de David Lescot, fort heureusement, ne cherche pas à faire dire à l’œuvre ce qu’elle ne dit pas, et respecte parfaitement sa tonalité : comique, avec quelques moments, ici ou là, où le drame et l’émotion affleurent. Vive, légère, sans temps mort, elle est drôle sans lourdeur (les rires fusent tout au long de la soirée, en raison de gags qui font mouche mais aussi des bons mots dont le livret est émaillé), et préservent fort heureusement les parenthèses poétiques (« Adina, credimi », ou la célèbre « Furtiva lagrima ») qui ponctuent la partition et lui donnent sa couleur si particulière et si attachante.
La direction de Chloé Dufresne, à la tête d’un Orchestre National de Bretagne en grande forme, est une magnifique surprise : tour à tour vive, dramatique, spirituelle, poétique, elle ne néglige aucune des composantes de la partition et fait avancer le drame avec efficacité – et non pas précipitation, une poésie dénuée de mièvrerie, un humour qui ne se confond jamais avec lourdeur. La cheffe a de toute évidence des affinités avec ce répertoire, qu’elle aime – et cela s’entend ! Elle se montre par ailleurs constamment attentive aux chanteurs et à l’équilibre fosse/plateau : un talent à suivre, assurément ! Bravo également au chœur Mélisme(s) : impeccables musicalement comme à leur habitude, les choristes manifestent également des dons de comédiens réjouissants, participant au spectacle avec un plaisir visible et communicatif.
L’Opéra de Rennes a également eu la main heureuse pour la distribution : Marie-Bénédicte Souquet tire habilement son épingle du jeu dans le petit rôle de Giannetta, auquel elle donne un beau relief vocal et scénique. Marc Scoffoni, timbre clair, diction précise, projection aisée, est, comme il se doit, un Belcore ridiculement fier et arrogant. L’Élixir d’amour est une œuvre que Giorgio Caoduro connaît bien : n’a-t-il pas fait ses débuts professionnels avec le rôle de Belcore à l’Opéra de Rome ? Œil noir, cheveux longs, veste à franges d’un goût douteux, portefeuille – ou terminal de carte bancaire – à la main, il campe ici un Dulcamara impayable : doué d’un bagou irrésistible (le chant syllabique n’a pas de secret pour ce rossinien émérite !), il mène la danse et trompe son monde avec humour et panache, sans que le beau chant soit jamais sacrifié aux impératifs scéniques.
Pour les deux rôles princuipaux, l’Opéra de Rennes dispose d’une double distribution : italienne (Giulio Pelligra et Maria GraziaSchiavo) et française (Mathias Vidal et Perrine Madoeuf). C’est la distribution française que nous avons entendue. Même s’il a déjà chanté Rossini (Le Barbier, Le Comte Ory, La Cenerentola) ou Elvino de La Sonnambula, le bel canto reste un peu marginal dans la carrière de Mathias Vidal et nous n’attendions pas forcément le ténor français dans le rôle de Nemorino. Il s’y montre pourtant pleinement convaincant : outre ses habituelles qualités vocales (douceur du timbre, sens des nuances, usage pertinent et élégant de la voix mixte), on apprécie l’incarnation du personnage, d’une crédibilité totale : constamment touchant – et même émouvant au premier acte lorsqu’il est rabroué par les villageois et rejeté par Adina), il sait aussi être d’une drôlerie irrésistible lorsque, quelques verres de Bordeaux aidant, il fait subitement le fanfaron ou le fier-à-bras au second acte ! Une très belle rencontre entre un artiste et un personnage.
En superbe forme vocale, Perrine Madoeuf ne fait qu’une bouchée du rôle d’Adina. La voix est d’une puissance et d’une opulence inattendues pour le rôle, mais la chanteuse n’en préserve pas moins la légèreté et la coquetterie du personnage, dont elle traduit au mieux, vocalement et scéniquement, toutes les facettes, de la « pimbêche » des premières scènes à la jeune femme qui accepte enfin de céder à l’amour au second acte. La voix, richement colorée sur l’ensemble de la tessiture, reste dotée d’une technique superlative (les vocalises de la cabalette dans laquelle elle avoue son amour à Nemorino sont pour elle un jeu d’enfant !) : quel directeur d’opéra offrira enfin à cette soprano l’opportunité de chanter une des reines donizettiennes, dans lesquelles elle devrait exceller ?
À l’issue du spectacle, le public noie tous les artistes sous un même déluge d’applaudissements : on savait que l’élixir de Dulcamara faisait danser les ingambes, calmait les hystériques et faisait marcher les paralytiques. La cuvée concoctée par l’Opéra de Rennes permet aussi de retrouver le sourire en cette période un peu maussade, et de séduire les connaisseurs comme les néophytes : n’hésitez pas à réserver votre flacon ! Et si d’aventure « il magico liquor » est en rupture de stock à Rennes, sachez que le spectacle sera diffusé sur écrans géants le 15 juin et qu’il se donne aussi à Angers-Nantes Opéra à partir du 26 mai !
Pour retrouver Mathias Vidal et Perrine Madoeuf en interview, c’est ici et là !
Nemorino : Mathias Vidal
Adina : Perrine Madœuf
Belcore : Marc Scoffoni
Dulcamara : Giorgio Caoduro
Giannetta : Marie-Bénédicte Souquet
Orchestre National de Bretagne, Chœur de chambre Mélisme(s) (chef de choeur : Gildas Pungier), dir. Chloé Dufresne
Mise en scène : David Lescot
Scénographie : Alwyne de Dardel
Costumes : Mariane Delayre
Lumières : Paul Beaureilles
L’Elisir d’amore
Melodramma giocoso en deux actes de Gaetano Donizetti, livret de Felice Romani, créé à Milan le 12 mai 1832.
Opéra de Rennes, représentation du mardi 9 mai 2023