Angers Nantes Opéra œuvre régulièrement pour mettre l’opéra à la portée du jeune public, et propose chaque saison des spectacles qui lui sont tout spécialement destinés. Le choix, cette année, s’est porté sur une œuvre de Marcel Landowski, La Vieille Maison. Un choix particulièrement original : si Marcel Landowski (1915-1999) eut en son temps une belle notoriété – en tant que compositeur mais aussi en tant que responsable de diverses institutions, dont la Direction de la musique, de l’art lyrique et de la danse –, force est de constater qu’il est aujourd’hui bien peu présent sur les scènes lyriques, Le Fou et Montségur, ses œuvres restées les plus célèbres, n’étant que rarement représentées de nos jours. Marcel Landowski eut à cœur, tout au long de sa vie, de travailler pour et avec les enfants. On se souvient surtout de sa Sorcière du placard aux balais (1990, d’après le conte de Pierre Gripari), mais La Vieille Maison, créée en février 1988 précisément au Théâtre Graslin de Nantes (avec une distribution prestigieuse : Catherine Dubosc, Jean-Philippe Lafont, Michel Sénéchal et Marc Soustrot à la baguette) remporta un vif succès, et eut même les honneurs d’une publication en CD chez Erato.
Le Théâtre Graslin retrouve donc l’œuvre qu’il avait créée trente-cinq ans plus tôt, dans une nouvelle mise en scène et avec plusieurs représentations exclusivement réservées aux scolaires – telle celle de ce jeudi 11 mai 2023. L’œuvre, dont Marcel Landowski signe également le livret, est représentative de l’art du compositeur : l’écriture, tout en étant tonale et respectueuse d’une certaine tradition (les lignes vocales évoquent plus d’une fois l’écriture de Poulenc), s’ouvre à la modernité avec notamment la recherche de sonorités, d’harmonies étranges, presque inquiétantes, particulièrement bienvenues dans cet opéra dont l’intrigue s’apparente plus d’une fois aux mélismes tortueux d’un véritable cauchemar. La Vieille Maison, même s’il s’agit d’un « conte musical » bref (à peine plus d’une heure de musique) a priori destiné à un jeune public (mais est-ce si sûr ?…), n’en demeure pas moins une œuvre exigeante, par sa musique très certainement, mais aussi par son rythme, assez lent, et par son livret, jouant beaucoup sur l’implicite, d’éventuels arrière-plans psychanalytiques, le mystère (toutes les questions soulevées par le livret sont loin de trouver des réponses explicites). Dans ces conditions, la qualité d’écoute des enfants présents en ce jeudi 11 mai, s’explique certes par la qualité de l’ouvrage et du spectacle proposé, mais aussi, sans aucun doute, par la préparation dont ils ont bénéficié : bravo, donc, aux enseignants et aux équipes pédagogiques qui ont accompagné ce projet !
L’équipe de solistes réunis par Angers Nantes Opéra s’est montrée tout à fait à la hauteur de la tâche : la voix du contre-ténor Théo Imart (Marc) possède des couleurs juvéniles qui lui permettent de caractériser au mieux ce personnage d’enfant naïf entraîné malgré lui vers le mal… Éric Vignau est un Le Chapeau inquiétant à souhait (surtout dans la sinistre légende de Pérote !). Dima Bawab (qui, avec son feutre, son maquillage blanc et ses grands yeux naïfs, a un faux air de Gesolmina dans La Strada de Fellini), égrène les vocalises de Mélusine avec charme et campe une fée délicate et touchante. Quant à Philippe Ermelier, à qui une large pelisse et une physionomie très expressive donnent des allures de croque-mitaine ou d’Homme au sable hoffmannesque, il campe un Chantelaine particulièrement convaincant, l’impact de ce personnage maléfique se trouvant renforcé par l’impeccable diction du chanteur : on ne perd pas un mot du texte qui lui échoit !
La partition originale, écrite pour un grand orchestre, a été adaptée pour un petit ensemble par Tommy Bourgeois et Florian Senia, soucieux de préserver l’étrangeté et l’originalité des sonorités imaginées par Landowski. Les onze musiciens ici réunis officient sous la houlette de Rémi Durupt, qui dirige aussi les jeunes chanteurs de la Maîtrise de la Perverie, remarquables de précision, de fraîcheur et de transparence (bravo à Charlotte Badiou, nouvelle directrice artistique de la Maîtrise).
Qui dit « spectacle jeune public » ne dit pas « spectacle au rabais », en tout cas pas pour Angers Nantes Opéra qui a passé commande d’une mise en scène tout aussi élaborée que s’il s’agissait d’un spectacle « pour les grands » ! Le spectacle conçu par Éric Chevalier privilégie la fluidité du discours, permettant de passer sans heurt d’un espace à un autre (la chambre de Marc, une rue, un tribunal,…) tout en laissant penser, de par la présence permanente du lit de Marc, que toutes ces aventures pourraient n’être in fine qu’un sombre cauchemar… De gros cubes placés sur scène et déplacés occasionnellement par les différents personnages donnent à lire certains termes forts (« menteur », « criminels », « meurtrier ») venant ponctuer régulièrement le déroulement de l’intrigue, et des projections filmiques, tantôt poétiques, tantôt inquiétantes, viennent apporter un contrepoint fort bienvenu au décor et au jeu scénique.
Un spectacle de qualité, fort bien accueilli par les enfants, et qui sera donné au Théâtre Graslin jusqu’au samedi 13 mai.
Marc : Théo Imart, contre-ténor sopraniste
Mélusine : Dima Bawab, soprano
Chantelaine : Philippe Ermelier, baryton
Le Chapeau : Éric Vignau, ténor
Soprano solo : Evelyn Vergara*
Madame Chic : Antonine Estrade*
Deuxième Brigand et Deuxième mendiant : Agustin Perez Escalante*
Monsieur Chic et Premier brigand : Albin Menant*
Troisième Brigand : Nikolaj Bukavec*
Troisième Mendiant : Pablo Castillo Carrasco*
*Choristes Angers Nantes Opéra
Direction musicale : Rémi Durupt
Chœur d’Angers Nantes Opéra, dir. Xavier Ribes
Mise en scène, scénographie, costumes et lumières : Éric Chevalier
Maîtrise de la Perverie, dir. Charlotte Badiou
LA VIEILLE MAISON
Opéra de Marcel Landowski, livret du compositeur © Ed. Salabert. Transcription pour ensemble instrumental de Tommy Bourgeois et Florent Senia
Nantes, Théâtre Graslin, Représentation du jeudi 11 mai 2023.
1 commentaire
Bravo aux enfants et aux enseignants pour l’interprétation originale dans sa mise en scène et dans les messages qu’il sous entend