Bonne nouvelle : Le Chanteur de Mexico fait toujours le plein !
Certains spectacles rappellent au chroniqueur combien l’opérette est un genre qui, de par sa nature à la fois patrimoniale et totalement populaire, mérite d’être défendu bec et ongles : au vu d’une salle pleine à craquer, des ovations finales et des multiples reprises du refrain « Mexiiiiico ! » par un public visiblement conquis, on était heureux de constater que l’œuvre probablement la plus célèbre de Francis Lopez en constitue un exemple parfait.
La nouvelle production de l’une des opérettes dites – autrefois – « à grand spectacle » (deux actes et… 20 tableaux !) n’a pas l’ambition – ni probablement surtout les moyens financiers ! – de concurrencer le spectacle inoubliable signé par Jacques Duparc, vu plusieurs fois au début des années 2000. Avec le sens du rythme et l’amour de la comédie musicale qu’on lui connaît, Carole Clin signe cependant un spectacle qui va droit au but et donc au cœur des spectateurs : s’appuyant sur la vidéo en fond de scène pour les moments où le dépaysement et l’exotisme l’exigent (les toits de Paris, une plage d’Acapulco, un imposant sombrero bleu…), la production, si elle ne peut utiliser une machinerie ambitieuse – en particulier pour les derniers tableaux situés dans le camp du révolutionnaire Zapata – s’appuie néanmoins sur un jeu de scène à la dynamique sans aucun temps mort et sait utiliser l’espace dévolu pour alterner avec bonheur scènes de comédie pure et intermèdes dansés. Le public – qui se trompe rarement ! – réserve d’ailleurs un accueil chaleureux à chacune des interventions des six danseur(se)s du ballet et aux chorégraphies flamenco souvent fiévreuses de Felipe Calvarro.
Si les costumes sont de circonstance et apportent leur touche de décontraction gaie et de fraîcheur, on retiendra plus particulièrement les toilettes chic d’Eva Marchal, lorgnant sur le cinéma hollywoodien des années trente, surtout quand l’artiste qui les porte – Laurence Janot – a de faux airs et la coupe de cheveux d’une Veronica Lake !
Côté formation orchestrale, on dispose sous la houlette de Bruno Membrey, toujours attentif à sa phalange, d’une bonne homogénéité renforcée par une excellente section rythmique – au sein de laquelle on reconnaît à la batterie Gilles Alamel, familier de nombreuses formations jazz de la cité phocéenne.
Les amateurs d’opérette le savent bien : Le chanteur réclame un interprète principal de tout premier plan pour incarner Vincent Etchebar, un rôle à jamais marqué par la personnalité et l’éclat de Luis Mariano. Annoncé souffrant mais ayant tenu à assurer le rôle, le ténor franco-colombien Juan Carlos Echeverry rattrape par sa présence scénique et une technique idoine ce qu’il ne peut malheureusement donner en éclat vocal.
Autour de lui, la distribution tient ses promesses. On a déjà eu maintes fois l’occasion d’écrire tout le bien que l’on pense de Julie Morgane et, plus particulièrement, de son approche du personnage de Cri-Cri, taillé sur mesure pour son talent comique toujours prompt à une émotion sincère. Une fois de plus, nous avons succombé à la manière unique qu’à cette touchante interprète de chanter et d’incarner son célèbre « Ca m’fait quéqu’chose ». Son partenaire fantaisiste est donc ici Fabrice Todaro que l’on entendait pour la première fois dans le truculent personnage de Bilou et qui, avec l’aisance qu’on lui connaissait déjà, n’en fait qu’une bouchée, tant sur le plan vocal que chorégraphique. L’Eva Marchal de Laurence Janot, au-delà de la plastique nécessaire à un rôle mettant en valeur son allure cinématographique, donne le relief vocal qui convient à sa valse d’ouverture « Capricieuse », écrite par Francis Lopez en forme de clin d’œil au répertoire viennois.
Preuve supplémentaire de la maîtrise de l’écriture vocale chez le compositeur : l’air martial de Zapata « Garrimba, Dieu des combats » qui nous permet de retrouver le baryton basque Gilen Goicoechea, entendu à maintes reprises depuis son prix remporté, il y a plusieurs années, au concours d’art lyrique d’Arles et qui, une fois de plus dans ce rôle, enthousiasme l’auditoire par sa parfaite projection et son timbre de bronze.
L’ensemble des autres rôles est d’ailleurs à citer, du Cartoni de Claude Deschamps qui, après tant d’années sur scène, continue avec son allure scénique hors-pair à porter haut les couleurs du genre Opérette, au jeune Jean Goltier, hilarant dans ses rôles de composition (Pablo/Aguiro) en passant par Simone Burles (Tornada/Madame Bornin) et Antoine Bonelli (Bidache), authentiques troupiers de l’Odéon.
Au terme d’une matinée ayant mis en joie un public chauffé à blanc, les multiples reprises du refrain « Mexiiiiico ! » permettent aux deux interprètes féminines de donner dans les aigus tout comme à une certaine Karine Deshayes, présente dans le public entre deux répétitions des Huguenots, de participer à la fête de ce Chanteur de Mexico !
Les artistes
Cri-Cri : Julie Morgane
Eva : Laurence Janot
Tornada/ Madame Bornin : Simone Burles
Vincent Etchebar : Juan Carlos Echeverry
Bilou : Fabrice Todaro
Cartoni : Claude Deschamps
Zapata : Gilen Goicoechea
Miguelito : Jean-Luc Epitalon
Bidache : Antoine Bonelli
Atchi/ Le marchand de journaux : Michel Delfaud
Pablo/ Aguiro : Jean Goltier
Chœur Phocéen, direction : Rémy Litolff
Orchestre de l’Odéon, direction : Bruno Membrey
Mise en scène : Carole Clin
Décors : Théâtre de l’Odéon
Costumes : Opéra de Marseille
Chorégraphie : Felipe Calvarro
Le Chanteur de Mexico
Opérette en deux actes de Francis Lopez (1916-1995), livret de Félix Gandéra et Raymond Vincy, donnée pour la première fois au théâtre du Châtelet, Paris, le 15 décembre 1951.
Représentation du 14 mai 2023, Odéon de Marseille