Le Vaisseau fantôme est le premier opéra de Wagner que François-Xavier Roth a dirigé. Après Tourcoing samedi 13 mai, il en a offert sa lecture au public du Théâtre des Champs-Élysées lundi dernier, dans une soirée accueillie triomphalement. La raison en revient sans doute à l’intensité dramatique extrême qui s’est dégagée de la soirée. Le fait que l’œuvre a été donnée précédemment en version scénique (mise en scène de Benjamin Lazar en avril dernier à Cologne) y est sans doute pour quelque chose… Plus de décors, plus de costumes, mais une tension entre les personnages, visible dans les échanges de regards, les quelques gestes subsistant de la mise en scène, les entrées et les sorties des interprètes, tous vecteurs de sens et/ou d’émotion.
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À la tête d’un orchestre Les Siècles chauffé à blanc, François-Xavier Roth délivre une lecture incandescente du chef d’œuvre de Wagner, et change le TCE en un vaisseau pris dans une tempête que seul le sacrifice final de Senta parviendra à apaiser : ça tangue, ça rugit, ça souffle dans les cordages, ça vous fouette le visage dès les premières mesures de l’ouverture ! Preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que la puissance et la tension dramatiques ne sont pas qu’affaire d’effectif : on ne compte guère qu’une soixantaine de musiciens dans l’orchestre, mais le résultat est aussi sinon plus impressionnant que si l’on était en présence d’un orchestre wagnérien « traditionnel ».
Question de tension, de nervosité, de mise en valeur de tel ou tel pupitre, de contrastes savamment dosés… La tornade n’est évidemment pas permanente, et le chef sait aussi ménager des plages d’accalmie et de poésie quand nécessaire ; mais l’urgence dramatique demeure, et même lorsque la tension retombe (la poétique phrase de Senta fredonnant le « Doch kann dem bleichen Manne » à son entrée en scène, la cavatine d’Erik « Willst jenes Tags… »), on sent la houle prête à se lever de nouveau au premier coup de vent ! Bravo aux musiciens pour leur formidable implication et leur précision jamais prise en défaut (à un ou deux accrocs près chez les cors), mais aussi au Chœur de l’Opéra de Cologne, évidemment parfaitement idiomatique, d’une énergie et eux aussi d’une précision à toute épreuve (un détail parmi d’autres : la phrase ascendante du chœur de marins qui conclut l’acte I – « Mit Gewitter und Sturm » – et qui donne si souvent une impression brouillonne au concert est ici d’une parfaite justesse).
Les solistes ont été accueillis par des acclamations telles qu’on a quelques scrupules à apporter de légers bémols, lesquels n’enlèvent rien à leur prestation globalement de grande qualité. Dmitry Ivanchey a fait une belle impression en Pilote : la voix n’est pas d’une puissance extrême (le ténor compte Iopas, Belmonte ou Tamino à son répertoire) mais elle est fort bien projetée et surmonte sans encombre l’orchestre wagnérien tout en préservant l’élégance de la ligne vocale. Karl-Heinz Lehner (Daland) impressionne par l’aisance et le naturel de sa projection, la voix, ample et chaleureuse, remplissant le vaisseau du TCE sans aucun effort apparent. Bravo également pour la clarté de la diction, particulièrement intelligible. Maximilian Schmitt est un Erik convaincant et touchant, en dépit d’une ligne vocale qu’on sent parfois un brin fragile derrière la puissance de l’orchestre wagnérien.
En Senta, on retrouve avec beaucoup de plaisir Ingela Brimberg, que l’on avait beaucoup aimée en Brünnhilde à Bordeaux en 2019. La voix, aux teintes assez sombres, est longue, puissante mais souple, capable de legato et de nuances, qualités que ne possèdent pas toujours ses consœurs wagnériennes. Au deuxième acte, l’aigu se fait un peu court… mais ce n’était de toute évidence qu’une fatigue passagère, la chanteuse retrouvant tous ses moyens pour un troisième acte parfaitement maîtrisé. À noter également la belle présence physique de l’interprète, constamment impliquée, pour ne pas dire habitée par le rôle.
C’est à James Rutherford que revient l’éprouvant rôle-titre : le baryton-basse anglais, très en vue actuellement dans le répertoire wagnérien, s’y montre plus convaincant aux actes II et III qu’au premier, où l’on attend, dans le « Die Frist ist um », une mélancolie noire et une « inquiétante étrangeté » que le jeune chanteur, selon nous, ne possède pas (encore). Idem pour l’autorité et la puissance vocale, le chant s’effaçant parfois un peu sous les tutti de l’orchestre. Mais l’interprétation gagne en assurance au fil de la soirée, le timbre est indéniablement de grande qualité, et surtout on apprécie sans réserve l’art de phraser, de dire et de vivre le texte : un chanteur à suivre, assurément.
Le Hollandais : James Rutherford
Senta : Ingela Brimberg
Erik : Maximilian Schmitt
Daland : Karl-Heinz Lehner
Le pilote de Daland : Dmitri Ivanchey
Mary : Dalia Schaechter
Orchestre Les Siècles, dir. François-Xavier Roth
Chœur de l’Opéra de Cologne
Der fliegende Holländer (Le Vaisseau fantôme)
Opéra romantique en trois actes de Richard Wagner, livret du compositeur d’après Mémoires de Monsieur de Schnabelewopski de Heinrich Heine, créé au Königliches Sächsisches Hoftheater (Dresde) le 2 janvier 1843.
Théâtre des Champs-Elyséees, représentation du lundi 15 mai 2023 (version de concert).