LE NEZ de Chostakovitch : une entrée réussie au répertoire de la Monnaie

Gergely Madaras dirige, Alex Ollé met en scène :
Le Nez réussit son entrée au répertoire de la Monnaie !

Pour mettre en scène Le Nez de Chostakovitch, on peut choisir d’opter pour une esthétique plus ou moins réaliste : Kirill Serebrennikov, à Munich, a récemment choisi de situer l’action dans un état policier des plus crédibles – et des plus effrayants – , où les forces de l’ordre, omniprésentes, évoluant dans un décor sobre et glacial, semblent avoir pour seule mission de priver les gens de leur nez, celui-ci devenant la métaphore de leur liberté de pensée et de parole. On peut aussi chercher un équivalent scénique au fantastique extravagant du livret et au comique grinçant (voire la férocité) d’une musique échappant à toute classification. C’est l’option choisie par Alex Ollé et son scénographe Alfons Flores, dont le spectacle prend corps dans un décor soulignant l’absurdité de l’intrigue, avec notamment ces grands pans verticaux couverts d’arabesques qui apparaissent comme la figuration graphique de l’imbroglio narratif.  À l’apparition « anarchique », imprévue, de certains éléments (un trapèze sur lequel est assis un ange, un lit d’hôpital qui traverse la scène, un réfrigérateur dans lequel se trouve… l’amant de Praskova Ossipovna, les tentes et la douche d’un terrain de camping) répond l’incongruité des costumes (signés Lluc Castells) : les employés du journal sont tous en slip kangourou ; les religieuses portent d’austères robes noires dévoilant leur postérieur ; quant aux hommes, ils sont tous, d’une façon générale, grimés de façon grotesque : perruques ridicules, bikinis bariolés mettant en valeur leur bedaine, harnais tout droit sorti de la panoplie gay SM pour Ivan, le valet de Kovaliov… Une ambiance foutraque qui suscite le rire, mais aussi parfois un certain malaise et ne cache pas pour autant la noirceur et la férocité de l’être humain, comme dans cette scène à la fois drôle et terrible ou une jeune femme se prend en selfie avec le cadavre d’un homme venant d’être frappé à mort par un policier.

L’excellent Gergely Madaras fait des débuts remarqués à la Monnaie, à la tête de l’Orchestre symphonique et des Chœurs du théâtre : tous rendent remarquablement justice à cette partition exigeante entre toutes, procédant par juxtaposition de styles hétéroclites, et soulignent à merveille l’humour corrosif de la musique mais aussi son implacable construction dramatique. De la distribution, tout à la fois très nombreuse et extrêmement homogène, se distingue Scott Hendricks, excellent Kovaliov tourmenté, désespéré, grincheux, agressif, dont le beau baryton se déploie avec aisance dans une prestation alliant parfaitement la qualité du chant à l’efficacité scénique. Le timbre très particulier de Natacha Petrinsky (dans le double rôle de la Comtesse et de madame Podtotchine – avec un registre grave distinct du médium et de l’aigu et une émission quelque peu gutturale) contraste avec ceux de Giselle Allen (Praskovia énergique, à l’émission saine et franche) et Eir Inderhaug, qui chante ses interventions de la scène de la Cathédrale (haut perchée sur son trapèze) avec une belle assurance – elle est aussi une fille Podtochina convaincante. Signalons encore l’Ivan Iakovlévitch d’un Alexander Roslavets à la forte présence vocale et scénique, de même que les prestations de Nicky Spence (le Nez) et Anton Rositskiy (Ivan le valet mais aussi l’assistant du Chef de police), dont le registre aigu et le recours à la voix de tête sont étonnamment faciles. D’une manière générale, tous les artistes, jusqu’aux petits rôles, font preuve d’un abattage scénique réjouissant !

Bref, Le Nez fait une entrée réussie au répertoire de la Monnaie – une entrée par ailleurs fort appréciée du public. Le spectacle, coproduit avec le Royal Danish Theatre de Copenhague où il vient tout juste d’être représenté, sera diffusé en direct sur Mezzo le jeudi 29 juin à 20 heures.

Les artistes

Platon Kuz’mich Kovalyov : Scott Hendricks
Le Nez : Nicky Spence
Ivan Yakovlevich / Rédacteur en Chef / Docteur / Escorte : Alexander Roslavets
Praskov’ya Osipovna / Dame respectable / Mère : Giselle Allen
Ivan, valet de Kovalyov / Assistant du chef de la Police / Ténor Solo (dans la Cathédrale) / Vieil homme / Colonel : Anton Rositskiy
Inspecteur de police / Eunuque : Alexander Kravets
Pelageya Grigo’yevna Podtochina / Comtesse : Natacha Petrinsky
Fille de Podtochina / Soprano Solo (dans la Cathédrale) / Vendeur de bretzels : Eir Inderhaug
Ivan Ivanovic/ Chauffeur de taxi / Spéculateur : Lucas Cortoos
Budochnik / Lackey (dans la Cathédrale) / Lackey (dans le bureau du journal) / Père / Cocher / 3ème connaissance : Kris Belligh
Yarizhkin / Piotr Fyodorovich / Eunuque : Yves Saelens
1er fils / 1er nouvel arrivé / 2ème connaissance : Maxime Melnik
2ème fils / 2ème nouvel arrivé / 1ère connaissance : Leander Carlier

Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie, dir. Gergely Madaras
Académie des chœurs de la Monnaie s.l.d. de Benoît Giaux
Mise en scène : Àlex Ollé (La Fura dels Baus)
Collaboratrice à la mise en scène : Susana Gomez
Décors : Alfons Flores
Costumes : Lluc Castells
Éclairages : Urs Schönebaum
Chef des chœurs : Jori Klomp

Le programme

Le Nez

Opéra en trois actes et dix tableaux de Dmitri Chostakovitch, livret d’Evgueni Zamiatine, Gueorgui Ionine, Alexandre Preis et du compositeur, d’après Gogol, créé le 18 juin 1930 au théâtre Maly de Léningrad.
Bruxelles, La Monnaie, représentation du mercredi 21 juin 2023.