Programmé en urgence en remplacement des Maîtres chanteurs initialement prévus, ce spectacle agréable brille surtout par l’excellente direction de Daniele Gatti
Falstaff de Verdi à Florence : ce n’était pas prévu initialement ! Les récentes vicissitudes du Maggio Fiorentino – la démission du directeur Alexander Pereira et la mise sous séquestre en raison des dettes accumulées par le théâtre – ne pouvaient manquer d’avoir un impact sur le programme et le titre prévu pour clôturer la saison, Die Meistersinger von Nürnberg de Wagner, a été annulé en raison des coûts de production, et un spectacle de la saison dernière a été reprogrammé, réunissant à la hâte une distribution digne sans être mémorable, heureusement soutenue par la superbe direction du directeur musical du Maggio, Daniele Gatti.
C’est ainsi que Michael Volle abandonne les habits attendus et habituels de Hans Sachs et Markus Werba ceux de Beckmesser, pour endosser respectivement ceux de Falstaff et de Ford dans la reprise de la mise en scène de Sven-Eric Bechtolf vue ici à Florence à l’automne 2021. Une mise en scène qui avait été jugée « inoffensive » et qui ne propose rien de nouveau : nous y retrouvons de vieux gags auxquels nous sommes habitués, réalisés cependant avec un rythme approprié dans cette reprise assurée par Stefania Grazioli. La scénographie de Julian Crouch est agréable : il s’agit d’un décor tout en bois rappelant le théâtre élisabéthain, avec des coulisses, des silhouettes d’arbres en bois qui descendent des cintres, des vagues de la Tamise mises en muvement manuellement « comme autrefois », de petits bateaux illuminés à la merci des vagues (du fleuve ?). Et un panorama réalisé en vidéo par Josh Higgason qui évique le temps qui passe : des cheminées qui fument, un ciel décoloré au coucher du soleil, le scintillement des étoiles nocturnes. C’est très beau.
Les costumes d’époque de Kevin Pollard sont impeccables, y compris celui, à juste titre flamboyant, de Falstaff se préparant à sa rencontre galante avec Alice, et ceux, délicieusement imaginatifs, du finale dans la forêt. Les éclairages d’Alex Brok, réalisés par Valerio Tiberi, sont tout à fait appropriés.
Le chanteur allemand Michael Volle, après tant de drames straussiens et wagnériens, semble pour une fois se délecter d’un personnage comique, mais son Falstaff manque de cette pointe de mélancolie qui fait la grandeur du personnage. Verdi écrit que « l’on pourrait tout chanter à mi-voix » à propos du rôle de Jago, mais il pourrait également faire référence à Falstaff, un rôle qu’il a écrit pour Victor Maurel – le même interprète de l’âme noire dans Otello -, un baryton français qui détestait « faire la grosse voix ». De lui, comme des autres chanteurs de son dernier opéra, Verdi exigeait « l’élasticité de la voix, une bonne syllabation, un accent et un souffle clairs et faciles ». Volle est un interprète d’une autorité incontestable, mais lorsqu’il s’agit d’utiliser la mezza voce, le timbre blanchit, tombe dans le falsetto, le legato devient parlé. Meilleur apparaît le Ford de Markus Werba, vocalement à l’aise, même s’il n’est pas tout à fait subtilement caractérisé. La partie féminine apparaît en retrait, avec une Irina Lungu correcte mais sans plus, et une Claudia Huckle (Mrs Page) et une Adriana di Paola (Mrs Quickly) assez anonymes. Les serviteurs de Falstaff, Bardolfo et Pistola, trouvent en Oronzo d’Urso et Tigran Martirossian des interprètes adéquats. La surprise, cependant, vient de Rosalia Cid, une jeune soprano espagnole qui a fait ses débuts il y a quatre ans ici à Florence dans le rôle de Lauretta (Gianni Schicchi) et qui, au cours de sa carrière à l’Accademia del Maggio, s’est ensuite illustrée dans les rôles de Gilda (Rigoletto) et de Liù (Turandot). Aujourd’hui, elle enchante le public en Nannetta, avec son timbre délicieux et sa grande sensibilité exprimée dans les pages émouvantes écrites pour son personnage par le vieux compositeur. Elle est accompagnée du Fenton de Matthew Swensen (le seul interprète déjà présent lors de la dernière série de représentations), un ténor à la projection limitée mais au style beau et élégant. Les deux jeunes amoureux forment un couple parfait.
Comme nous l’avons dit, le point fort de la soirée aura été la direction de Daniele Gatti. Falstaff est un opéra complexe qui peut être abordé selon différents points de vue : certains le considèrent comme le dernier d’une grande tradition comique italienne, d’autres comme le point de départ de la musique italienne du nouveau siècle – qui allait éclore sept ans plus tard, une œuvre qui se situe donc au-delà de la tradition du mélodrame. En fait, Verdi semble s’amuser ici à parodier ou à citer cette glorieuse tradition, se citant lui-même dans le « Povera donna ! » de La traviata ou dans le « Immenso Falstaff ! » qui rappelle le « Immenso Fthà ! » d’Aïda. Le seul moment où l’on perçoit un véritable pezzo chiuso est le monologue de Ford, qui est ici une parodie de l’aria du baryton jaloux, un topos incontournable de l’opera buffa italien. Le rapport entre le chant et l’orchestre est nouveau : le premier n’est plus prédominant, le second atteint une complexité symphonique. Daniele Gatti semble pencher pour la modernité prophétique de la partition : les interventions ironiques des instruments commentant les vicissitudes comiques du panzone semblent préluder aux ricanements musicaux de Petruška de Stravinsky et à certaines atmosphères transparentes et impalpables de Debussy. Aucun autre opéra ne sera cependant comparable au dernier chef-d’œuvre de Verdi, qui reste un unicum inégalé.
Le public a réservé ses plus grandes ovations précisément au Maestro Gatti, peut-être aussi pour le réconforter quant à l’avenir incertain qui attend la plus haute institution lyrique de Toscane, dont il est le chef principal.
Falstaff : Michael Volle
Alice Ford : Irina Lungu
Mrs. Quickly : Adriana Di Paola
Mrs. Meg Page : Claudia Huckle
Ford : Markus Werba
Nannetta : Rosalia Cíd
Fenton : Matthew Swensen
Pistola : Tigran Martirossian
Bardolfo : Oronzo D’Urso
Dr. Cajus : Christian Collia
Orchestre et Chœur du Maggio Musicale Fiorentino (chef de chœur : Lorenzo Fratini), dir. Daniele Gatti
Mise en scène : Sven-Eric Bechtolf reprise par Stefania Grazioli
Décors : Julian Crouch
Costumes : Kevin Pollard
Lumières : Alex Brok reprises par Valerio Tiberi
Vidéo : Josh Higgason
Falstaff
Comédie lyrique en trois actes de Giuseppe Verdi, livret d’Arrigo Boito d’après Les Joyeuses Commères de Windsor (1602) et les parties I et II d’Henri IV (1596-1598) de William Shakespeare, créée à la Scala le 9 février 1893.
Représentation du vendredi 23 juin 2023, Maggio Musicale de Florence