L’adaptation de Porgy and Bess de Gershwin en spectacle Jazz club des années 50 enflamme l’auditorium de Bordeaux grâce à l’énergie du Chœur de l’Opéra et des artistes solistes sous la direction de Salvatore Caputo.
Une adaptation et transposition de l’opéra iconique de Gershwin
Un Jazz club des années 1950 sous les lumières tamisées. Les barmen s’affairent, la clientèle va et vient entre les tables et la piste, au centre, le pianiste fait vibrer les basses du Steinway à queue. Et soudain le chœur swingue, la diva noire du club chante : c’est Porgy and Bess de Gershwin.
L’opéra iconique étasunien paraît ici en version réduite, en temps (1 h 15 au lieu de 3 actes) comme en rôles (7 rôles au lieu d’une vingtaine). Si l’ambitieux projet lyrique du compositeur new yorkais Gershwin et de ses librettistes (Edwin DuBose, Dorothy Heyward et Ira Gershwin ) a eu peu de retentissement lors de la création à Boston en 1935, sa représentation de la communauté afro-américaine et le melting-pot musical lui accordent depuis le statut historique d’opéra pionnier. Dans la marmite des quartiers communautaires de New York où George grandit, les musiques sont de puissants marqueurs identitaires avant la crise de 1929. Par sa double culture de fils d’émigré juif russe et de pianiste et arrangeur à Broadway, Gershwin opère un syncrétisme entre musicals, jazz et opéra des colonisateurs (influence puccinienne) pendant la Grande dépression. Syncrétisme qui n’a pas connu un franc succès en 1935 alors que le compositeur est acclamé au concert (Rhapsody in blue). Le Metropolitan Opera attendra 1985 pour programmer Porgy and Bess…
La pertinence du spectacle bordelais est de s’appuyer sur les lieux qui ont contribué à la popularité de l’œuvre : juste retour ! Dans les clubs newyorkais d’Après-guerre, une certaine mixité rassemblait musiciens noirs et clientèle blanche alors que la ségrégation marquait toute activité. Sur le large plateau de l’Auditorium de Bordeaux, le Jazz club accueille ce spectacle pour voix et piano dans une réduction dramatique signée d’Emmanuelle Bastet et Tim Northam. Suivons les propos de l’adaptatrice : « Dans cette version écourtée et recentrée, nous nous sommes éloignés des bidonvilles de Charleston des années 1920, avec sa vingtaine de personnages hauts en couleur et ses innombrables rebondissements, pour entrer dans un club de jazz en 1950. Les numéros s’enchaînent, les clients enivrés dansent langoureusement, Serena, la diva triste, pleure son époux décédé et Jack, le barman, s’efforce de la faire rire. »
Dans la mise en espace d’Emmanuelle Bastet (qui sort de sa Turandot à l’Opéra de Strasbourg) et l’économe scénographie de Tim Northam, le second défi tiendrait-il moins la route ? Celui (pas facile) de construire une dramaturgie autour d’un chœur blanc et de solistes noirs. Comment articuler les destinées individuelles des héros populaires (marins, cotonniers, mendiant, dealer, épouse, droguée) dans l’univers lisse du jazz club ? Comment tramer les destinées tragiques des exclus alors que les numéros de chant du jazz-club (découpage de la partition originale) évacuent leurs péripéties? La mise en abime n’est pas toujours convaincante, d’autant qu’elle se dilue après le retournement de Bess. Musicalement, si la formation trio de jazz des clubs n’est pas sollicitée, le trépignement des choristes sur le parquet ou le shaker du barman pulsent efficacement les ensembles syncopés !
Des interprètes investis
La production bordelaise valorise le chœur de l’Opéra national de Bordeaux dans ce spectacle festif qui clôture la saison. Mission accomplie tant le dynamisme vocal, l’esprit du swing dans les Negro spirituals (Headed for the Promise Land) et les danses animent la formation sous la direction de leur chef, Salvatore Caputo. Le tout porté par l’énergie jazzy que transmet le pianiste Martin Tembremande, tantôt ragtime, tantôt ravélien par les audaces harmoniques. La diversité des clients clientes du Jazz club est restituée par leur jeu sur la corporalité et par les costumes des Sixties sortis des réserves de l’institution selon sa démarche écoresponsable.
L’engagement du quatuor de solistes « noirs » (tel que la fondation Gershwin l‘exige depuis la disparition du compositeur) est à la hauteur de celui du Chœur. Les deux soprani empoignent leur rôle avec sincérité, immédiateté et de superbes moyens vocaux. Marie-Laure Garnier s’expose hardiment lors des deux duos phares maintenus dans cette réduction : celui avec son brutal amant Crown génère une violence vocale et sensorielle, alors que celui avec son amoureux Porgy respire l’amour dans sa générosité désintéressée.
© Capucine de Chocqueuse
Axelle Fanyo (Serena, Clara) excelle dans la nonchalance de flexibles glissandi (Summertime) et tout autant dans les flammes d’un aigu idéalement charnu. L’expression d’acceptation (« I got plenty o’nuttin » J’ai tout plein, tout plein de rien) ou de ferveur est perceptible chez le baryton-basse Joé Bertili (Porgy) alors que le masculinisme toxique sourd des fougueux élans du baryton Jean-Laurent Coëzy (Crown). Parmi les seconds rôles affutés se distingent le ténor Mitesh Khatri (Sportin’Life – artiste du Chœur) et la pétillante mezzo bordelaise Amandine Portelli (Maria – élève au conservatoire de Bordeaux dans la classe de chant de Maryse Castets et membre de l’Académie de l’Opéra National de Bordeaux pour la saison 2022/2023). Précisons que deux des solistes (J. Bertili et M-L. Garnier) ont été récemment primés au concours Voix des Outre-mer. Si l’opéra de Gershwin a été le seul outil de promotion lyrique pour les artistes afro-américains (Leontyne Price dans la prod de Porgy and Bess, tournée étasunienne de 1954), il n’en est heureusement plus de même aujourd’hui !
Dans l’auditorium de Bordeaux, le succès chaleureux du public légitime ces épousailles entrer le naturalisme de Gershwin et l’imaginaire d’une relecture. Prochaines représentations : les 8 et 9 juillet à 20 h.
Porgy : Joé Bertili
Bess : Marie-Laure Garnier
Serena et Clara : Axelle Fanyo
Crown : Jean-Laurent Coëzy
Sportin’Life et Mingo : Mitesh Khatri
Maria : Amandine Portelli
Jake : Clément Godart
Soprano : Héloïse Derache
Ténor : Mitesh Khatri
Baryton : Jean-Pascal Introvigne
Direction et adaptation musicale : Salvatore Caputo
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux, dir. Salvatore Caputo
Mise en scène : Emmanuelle Bastet
Scénographie et costumes : Tim Northam
Piano : Martin Tembremande
Lumières : François Thouret, Simon Gautier
Porgy and Bess. Jazz club
Adaptation en réduction piano et voix, d’après l’opéra en trois actes de George Gershwin, Edwin DuBose, Dorothy Heyward et Ira Gershwin, créé à Boston en 1935.
Opéra de Bordeaux (Auditorium), représentation du jeudi 6 juillet 2023.
5 commentaires
Bonjour, Amandine Portelli n’est pas artiste du choeur mais élève au conservatoire de Bordeaux dans la classe de chant de Maryse Castets et membre de l’Academie de l’Opera National de Bordeaux pour la saison 2022/2023
Merci pour cette précision, je corrige !
Merci beaucoup 😊
Très bon décor, très bon piano. Chœur de belle facture mais totalement étranger à l’oeuvre de Gershwin. Des chanteurs très médiocres, sauf pour Serena qui s’est démarquée. C’est dommage!
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