Les festivals de l’été – Don Giovanni aux Soirées Lyriques de Sanxay – La relève mozartienne
À l’heure où les festivals qui ont jadis fondé leur identité autour de Mozart se fourvoient en tentant d’explorer les voies les plus absconses, il est heureux de voir que d’autres manifestations, avec moins de prétentions, n’en accomplissent pas moins un travail plus abouti. Avec ses dix mille spectateurs par an (en trois soirs), les Soirées Lyriques de Sanxay peuvent sans peine prétendre au titre de troisième festival d’opéra en France. Le répertoire y repose avant tout sur Verdi, Puccini et Carmen, mais la nouvelle direction établie depuis peu semble vouloir continuer à élargir le répertoire comme avait déjà commencé à le faire Christophe Blugeon, fondateur du festival. En effet, Mozart avait fait son entrée à Sanxay dès 2017 avec La Flûte enchantée, et le voilà de retour avec Don Giovanni. Si les Soirées Lyriques ont toujours su offrir de très belles voix, le théâtre n’était pas forcément le point fort de cette manifestation : ce n’est désormais plus vrai et, sans jamais torturer le livret pour lui superposer une histoire à laquelle Da Ponte n’aurait jamais songé, la mise en scène signée Jean-Christophe Mast réussit à concilier la lisibilité attendue en un lieu qui continue à attirer beaucoup de néophytes avec une proposition à la fois élégante et efficace. Don Giovanni en costumes XVIIIe siècle, c’est devenu si rare que c’en est presque surprenant ; quant au décor, s’il est dépouillé et uniformément noir, l’estrade centrale, scène dans la scène délimitée par des rideaux manipulés par les personnages eux-mêmes, permet de faire apparaître d’autres lieux (chambre d’Anna ou d’Elvire, tombeau du Commandeur…) cependant que, de part et d’autre deux portes dépourvues de murs tout autour soulignent elles aussi l’illusion théâtrale. Dans cet espace indéterminé, l’action se déroule avec fluidité.
Si l’on peut parler ici de relève mozartienne, c’est aussi parce que Sanxay s’est offert le luxe d’une prise de rôle pour le personnage principal. Après y avoir été Escamillo en 2021 et Figaro du Barbier en 2022, Florian Sempey revient cette année pour interpréter son tout premier Don Giovanni. Scéniquement, la composition est tout à fait convaincante, avec le juste mélange de hauteur aristocratique et de malice conquérante ; vocalement, si le grave pourrait encore s’étoffer, le rôle est maîtrisé dans ses diverses facettes, avec notamment un deuxième couplet de la sérénade admirablement susurré pianissimo. On s’étonne que le baryton mette tant de voix dans des récitatifs qu’on entend souvent plus proches du parlé, et parfois de s’autoriser une certaine liberté par rapport aux notes de la partition (dans l’air du champagne, par exemple). Le Leporello bondissant d’Adrian Sâmpetrean lui donne une réplique parfaitement adéquate, avec un timbre juste assez différencié pour rendre crédible mais amusant l’échange des rôles au deuxième acte. Granit Musliu est un Ottavio séduisant, qui échappe à tout ridicule ; on remarque l’ornementation délicate dont il gratifie la reprise de « Dalla sua pace ». Retour aux sources pour Masetto, confié au même chanteur que le Commandeur, comme à la création en 1787 : on avait remarqué Adrien Mathonat parmi les élèves de l’Académie de l’Opéra de Paris, et grâce à lui, la statue vengeresse possède toute l’autorité voulue pour entraîner Don Giovanni aux enfers, tandis que Masetto bénéficie également d’une stature qui ne nuit pas pour autant au comique du personnage. Quant aux voix féminines, elles proposent trois voix de soprano bien distinctes. Loin de toute soubrette, et sans faire regretter les mezzos auxquelles le rôle est aujourd’hui souvent attribué, Charlotte Bonnet prête à Zerline un timbre fruité et chaud qui fait merveille dans ses deux airs. Première Dame de la Flûte enchantée en 2017, Berta du Barbier de Séville l’an dernier, Andreea Soare a enfin droit à un rôle de premier plan, et son Elvire impose une diction percutante et une voix ferme qui arrache le personnage à la tentation du ridicule. Anna devait être incarnée par l’Italienne Gilda Fiume, mais c’est finalement Klara Kolonits qui l’interprète : à défaut de couleur véritablement personnelle, la soprano hongroise étonne d’abord par son opulence de la voix, puis conquiert par sa virtuosité.
Dans la fosse, Marc Leroy-Calatayud impose à l’Orchestre des Soirées Lyriques une direction allante, voire rapide, notamment pour le final du premier acte. Si les violons manquent un peu d’unité par moments, les autres pupitres offrent une exécution convaincante, tout comme le chœur préparé par Stefano Visconti.
Don Giovanni : Florian Sempey
Leporello : Adrian Sâmpetrean
Donna Anna : Klara Klonits
Don Ottavio : Granit Musiu
Donna Elvira : Andreea Soare
Zerlina : Charlotte Bonnet
Masetto / Il commendatore : Adrien Mathonat
Orchestre et chœur des Soirées Lyriques, dir. Marc Leroy-Calatayud
Chef de choeur : Stefano Visconti
Mise en scène : Jean-Christophe Mast
Scénographie et costumes : Jérôme Bourdin
Lumières : Pascal Noël
Don Giovanni
Dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte, créé à Prague en 1787.
Soirées Lyriques de Sanxay, représentation du jeudi 10 août 2023.