Joli succès pour cette reprise de Turandot vue par Daniele Abbado au Festival Puccini de Torre del lago.
Niché sur les côtes de la mer Tyrrhénienne, tout près du lac de Massaciuccoli autour duquel Puccini avait l’habitude de chasser, le village de Torre del Lago offre, avec ses belles et longues plages de sable fin, une halte fort bienvenue aux visiteurs de la Toscane désireux de quitter un instant une ambiance citadine pour le dolce farniente de la plage et la fraîcheur des bains de mers. La culture reste cependant toujours à portée de main : les villes de Lucques et Pise sont toutes proches, et Florence n’est guère qu’à une heure de route… Et surtout, les lieux sont imprégnés de la mémoire du compositeur, avec l’émouvante « Villa Puccini », située au bord du lac : Puccini arriva à Torre del Lago en juin 1891, alors qu’il écrivait Manon Lescaut. Il décida d’y passer ses étés et ses vacances ultérieures, et acheta cette villa, sise au bord du lac, en 1899, qu’il aménagea et à laquelle il conféra l’aspect Art nouveau que nous lui connaissons actuellement. La villa est devenue aujourd’hui un émouvant musée dédié au compositeur, et un autre musée Puccini peut également se visiter à Lucques, ville natale du musicien.
Le Festival Puccini, dont on fête cette année le 69e anniversaire, se déroule dans un théâtre de plein air installé sur les rives du lac, à deux pas de la villa Puccini. Cette année ont été programmés La Bohème, Madama Butterfly, Turandot et un diptyque : Il tabarro / Le Château de Barbe-Bleue, Bartok se trouvant ainsi exceptionnellement convié dans ce temple dédié au musicien lucquois.
Le Festival propose aussi bien des spectacles aux lectures scéniques « traditionnelles » que des mises en scènes aux propositions originales : c’est le cas cet été avec une Bohème que Christophe Gayral a choisi de situer dans le Paris de mai 68 (nous n’avons hélas pas pu assister à ce spectacle…), une reprise de la Turandot vue par Daniele Abbado et le spectacle consacré au Tabarro et au Château de Barbe-Bleue, co-produit avec l’Opéra de Rome où il a été créé en avril dernier (voyez ici notre compte rendu).
La Turandot de Daniele Abbado, comme la plupart des mises en scènes d’aujourd’hui, renonce à l’image attendue d’une Chine impériale avec son cortège de figurants aux costumes traditionnels bigarrés, ses décors inspirés de l’architecture chinoise classique (temples et palais aux toitures recourbées et décorées de figures de céramique) et tout son cortège d’accessoires empruntés à l’imagerie chinoise traditionnelle. Nous sommes plutôt dans ce qui s’apparente à une dictature plus ou moins contemporaine – ou du moins récente –, et les couleurs bigarrées du « Céleste Empire » ont fait place à des murs noirs ou gris couverts d’idéogrammes, le peuple étant lui-même vêtu d’habits sombres, la couleur ne faisant irruption que dans certaines allusions à l’époque classique, avec par exemple, les trois ministres Ping, Pang et Pong apparaissant tout d’abord vêtus d’habits traditionnels (avant qu’ils ne réapparaissent vêtus de larges pantalons de clowns), ou la cérémonie des énigmes, occasion de faire revivre ponctuellement les fastes de la Chine d’autrefois dans une cérémonie grandiose. En dépit de cette transposition temporelle relativement sage, la lecture de Daniele Abbado reste plutôt traditionnelle (elle ne redessine pas de façon originale les relations qui unissent les principaux protagonistes de la fable), mais offre quelques tableaux fort réussis visuellement : la condamnation et l’exécution du Prince de Perse, la spectaculaire apparition de Turandot, ou encore le suicide de Liù, symbolisé par une coupe de sang que l’esclave verse lentement sur sa poitrine.
Musicalement, c’est le talentueux Robert Treviño (il occupe actuellement, entre autres fonctions, celle de chef principal invité de l’Orchestre symphonique national de la RAI) qui était aux commandes ce soir. Si les masses sonores sont habilement mises en place, avec un sens des nuances et du coloris très appréciable, le chef n’est qu’imparfaitement secondé par l’orchestre et le chœur du festival, qui, bien que pleinement impliqués, mettent un peu de temps avant de faire efficacement fusionner leurs forces pour offrir la lecture forte, homogène et puissante que l’on attend de ce chef d’œuvre. À noter que le finale retenu est celui composé par Berio, que l’on entend relativement rarement. Si la page est musicalement belle et originale (l’œuvre s’éteint doucement, sans éclat… ce qui n’est guère conforme aux habitudes de Puccini !), on ne peut malgré tout s’empêcher de trouver le hiatus entre les esthétiques propres à chaque compositeur quelque peu étrange…
Vocalement, la distribution est plus qu’honorable. Seule la Liù d’Emanuela Sgarlata n’a pas pleinement convaincu, en raison d’un soutien vocal fragile au premier acte, qui lui fait perdre de vue la justesse à plusieurs reprises, mais aussi de l’absence de nuances piano, indispensables pour rendre le personnage pleinement émouvant. Le jeune ténor Marco Montagna, après avoir prêté sa silhouette au Prince de Perse, prête sa voix à l’Empereur Altoum dont il campe un portrait efficace. On apprécie les interventions pleines d’assurance vocale de Francesco Auriemma en Mandarin. La basse profonde Antonio Di Matteo (familier du rôle du Commandeur…) est un Timur noble et émouvant, et le trio Ping (Simone del Savio), Pang (Andrea Giovannini) Pong (Marco Miglietta) est drôle et efficace, même s’il est un déséquilibré par un Pang aux aigus mal assurés ce soir… C’est au ténor franco-tunisien Amadi Lagha, bien connu du public français, que revient le rôle de Calaf. Malgré quelques légères instabilités dans l’émission, le chant se déploie librement et avec facilité, jusque dans le registre aigu (la conclusion de « Nessun dorma » est particulièrement assurée, au point de déclencher les applaudissements du public malgré le choix fait par le chef de privilégier la fluidité et la continuité du discours musical). On reprochera juste au ténor de ne pas colorer son chant de nuances plus émouvantes : le rôle de Calaf n’est certes pas celui qui est le plus vecteur d’émotions dans le répertoire pour ténor, mais le « Non piangere, Liù » ou l’exclamation de Calaf lors de la mort de la petite esclave appellent dans la voix un pathos qui ont ici fait défaut. Enfin, Sandra Janusaite est une bonne surprise en Turandot. Elle en possède les aigus, la puissance, les graves – indispensables dans la scène des énigmes, mais ce qui la singularise, c’est sans doute une certaine clarté du timbre qui l’éloigne sensiblement de certains sopranos assez « lourds » s’emparant parfois du rôle. Le personnage retrouve ainsi une certaine juvénilité appréciable.
Le public, venu nombreux, fait fête aux artistes et ne boude pas son plaisir au rideau final !
La Principessa Turandot : Sandra Janusaite
L’imperatore Altoumt : Marco Montagna
Timur : Antonio Di Matteo
Il Principe Ignoto (Calaf) : Amadi Lagha
Liù : Emanuela Sgarlata
Ping : Simone Del Savio
Pang : Andrea Giovannini
Pong : Marco Miglietta
Un Mandarino : Francesco Auremmia
I Ancella : Maria Cristina Napoli
II Ancella : Francesca Mannino
Principe di Persia : Marco Montagna
Orchestre et Chœur du Festival Puccini (chef de chœur : Roberto Ardigò), Chœur de voix blanches du Festival Puccini (cheffe de chœur : Chiara Maiani), dir. Robert Treviño
Mise en scène : Daniele Abbado
Décors et lumières : Angelo Linzalata
Costumes : Giovanna Buzzi
Chorégraphie : Simona Bucci
Turandot
Dramma lirico en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, créé au Teatro alla Scala de Milan le 25 avril 1926.
Festival Puccini Torre del Lago, représentation du vendredi 11 août 2023.