Christoph Marthaler met en scène Falstaff au Festival de Salzbourg
Une soirée décevante, surtout scéniquement… tout juste sauvée par quelques belles prestations de certains interprètes vocaux.
Deux Verdi sont au programme du Festival de Salzbourg cette année, et tous deux sont inspirés de Shakespeare : Macbeth a fait couler beaucoup d’encre, Falstaff est confié à un couple de l’école allemande qui a fait ses preuves : Ingo Metzmacher et Christoph Marthaler. Le premier n’est pas exactement un chef verdien, le second est un metteur en scène qui fut apprécié par le passé dans certaines productions. Mais pas dans celle-ci.
Dans les récentes productions du dernier chef-d’œuvre de Verdi, les lectures ont oscillé entre comédie et mélancolie. Dans le premier cas, citons la production de Barrie Kosky, avec son irrésistible sens comédique, et dans le second, la mise en scène de Damiano Michieletto, dans une maison de retraite pour artistes à Milan. Marthaler choisit une autre voie, celle de la déconstruction chère au Regietheater avec une dramaturgie totalement étrangère à l’opéra et des citations cryptées, ici cinématographiques, que seules les notes du metteur en scène peuvent révéler. Le programme de théâtre constitue-t-il donc l’indispensable mode d’emploi pour décrypter une mise en scène ? Non merci…
Une fois le rideau ouvert – et cela prend presque une demi-minute sur l’immense scène du Großes Festspielhaus – on découvre les trois décors distincts conçus par Anna Viebrock, qui dessine également les costumes. À gauche, les sièges d’une salle de projection, au centre une grande salle/cinéma, à droite un extérieur de motel avec des chaises longues et une piscine, sans eau mais avec des matelas au fond pour amortir les chutes continues et répétées des personnages. Ce n’est pas Falstaff qui tombera dans la piscine, mais le réalisateur du film. Un type qui a du ventre – le vrai Falstaff refuse de porter l’affreuse prothèse – et qui ressemble à Orson Welles. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le réalisateur américain a tourné son Falstaff en 1965 et l’a joué revêtu de l’armure dans laquelle il apparaît à la fin de la pièce. Astucieux, n’est-ce pas ? Mais quel est le rapport avec Verdi et sa musique ? Aucun. De plus, la réalisation est loin d’être soignée, les personnages se déplaçant au hasard – quand ils se déplacent et ne restent pas les mains dans les poches. Les gags, inutiles et étrangers à l’humour du livret, s’accumulent : outre celui des chutes, vraiment trop nombreuses, il y a ceux relatifs aux paniers ; celui de l’acrobate qui s’enroule dans le câble électrique ; celui du couple Cajus et Bardolfo qui, après leur mariage, ne cessent de s’étreindre et de se bécoter joyeusement… Comme on le voit, l’humour ne donne pas toujours dans la finesse…
Après un prologue muet, nous voyons les personnages lire leur texte à des pupitres, mais une caméra les filme (?) sans costumes (?) dans un décor anonyme, tandis que le metteur en scène donne des ordres depuis sa chaise. Bientôt, pourtant, les caméras disparaissent, mais les interprètes agissent comme s’ils continuaient à répéter, avec de moins en moins de conviction cependant. Si, au début, l’idée pouvait présenter un certain intérêt, elle se délite, devient ennuyeuse et in fine, peu concluante, totalement dépourvue de magie et d’ironie, se révèle être l’une des pires choses qui soient.
La partie musicale n’est guère supérieure : la direction du chef est correcte mais éloignée de l’esprit de l’œuvre, les concertati sont dépourvus de relief, les passages polyphoniques manquent de clarté, les voix sont souvent couvertes… Où est la légèreté de la partition ? Perdue, la transparence du jeu instrumental qui accompagne les dialogues pleins d’esprit de Boito… Ici, tout est lourd, plat, sans ironie. Metteur en scène et chef d’orchestre parviennent à détruire l’échafaudage subtile qui soutenant l’admirable construction du dernier opéra de Verdi.
Sur le papier, la distribution est de premier ordre, avec deux des interprètes qui comptent parmi les plus intelligents d’aujourd’hui : Gerald Finley, dans le rôle éponyme, et Simon Keenlyside, deux artistes anglo-saxons particulièrement à l’aise avec le théâtre de Shakespeare. Le premier semble cependant désorienté dans tout ce brouhaha et a également souffert de problèmes de gorge qui ne semblent pas tout à fait résolus : de fait sa voix disparaît derrière le mur sonore qui s’élève contre lui. Le second est plus à l’aise et parvient à mieux dominer la scène, sans être pour autant un Ford mémorable, les mots n’ayant pas tout le tranchant nécessaire dans le monologue «È sogno o realtà?» D’un niveau supérieur se montrent les femmes qui, à un moment donné, tentent de prendre les choses en main avec une Alice (excellente Elena Stikhina) qui s’installe dans le fauteuil du metteur en scène ! Avec Tanja Ariane Baumgartner (Quickly) et Cecilia Molinari (Meg), le trio féminin est vocalement bien assorti. Les deux jeunes gens, Nannetta et Fenton, trouvent dans les voix fraîches de Giulia Semenzato et Bogdan Volkov deux interprètes efficaces. Il en va de même pour le Bardolfo de Michael Colvin et le Pistola de Jens Larsen.
Dernière remarque : le politiquement correct triomphe, inexorablement, à Salzbourg comme ailleurs : les répliques du livret « Je confierais | ma bière à un Allemand, | ma table entière | à un Hollandais, | ma bouteille de schnaps à un Turc » sont totalement ignorés dans les traductions allemande et anglaise des surtitres afin de ne pas heurter certaines sensibilités.
Au rideau final, quelques huées se mêlent aux applaudissements…
Sir John Falstaff : Gerald Finley
Ford : Simon Keenlyside
Fenton : Bogdan Volkov
Dr. Cajus : Thomas Ebenstein
Bardolfo : Michael Colvin
Pistola : Jens Larsen
Mrs. Alice Ford : Elena Stikhina
Nannetta : Giulia Semenzato
Mrs. Quickly : Tanja Ariane Baumgartner
Mrs. Meg Page : Cecilia Molinari
Orson W. : Marc Bodnar
Robinia : Liliana Benini
First Assistant Director : Joaquin Abella
Angelika Prokopp Summer Academy of the Vienna Philharmonic, Concert Association of the Vienna State Opera Chorus, Huw Rhys James Chorus Master, Vienna Philharmonic , dir. Ingo Metzmacher
Mise en scène : Christoph Marthaler
Décors et costumes : Anna Viebrock
Lumières : Sebastian Alphons
Dramaturgie : Malte Ubenauf
Falstaff
Comédie lyrique en trois actes de Giuseppe Verdi, livret d’Arrigo Boito d’après Les Joyeuses Commères de Windsor (1602) et les parties I et II d’Henri IV (1596-1598) de William Shakespeare, créée à la Scala le 9 février 1893.
Salzbourg, Großes Festspielhaus, 20 août 2023