Le choc du MACBETH de Warlikowski au festival de Salzbourg
Nouvelle production de Macbeth au Festival de Salzbourg
Warlikowski propose une lecture forte du chef-d’œuvre de Verdi, servie par un remarquable couple de chanteurs-acteurs
Une dramaturgie et une mise en scène impressionnantes
Alors qu’en Italie fleurissent les polémiques sur les metteurs en scène « traditionnels » et « modernes », le festival le plus emblématique du monde ne convoque que les metteurs en scène les plus « controversés » du moment : Martin Kušej (Les Noces de Figaro), Christof Loy (Orphée et Eurydice), Christof Marthaler (Falstaff), Simon Stone (La Passion grecque), Krzysztof Warlikowski (Macbeth). Certes, les spectacles proposés ne sont pas tous mémorables, certains sont même carrément laids (deux sur cinq…), mais Salzbourg trouve toujours un public prêt à payer sa place 465 euros, et les théâtres sont toujours pleins – on parle de plus de 5 200 places chaque soir dans les trois principaux théâtres. Voilà pour la crise de l’opéra…
La nouvelle production de l’opéra de Verdi par le « terrible Polonais » était très attendue : les opéras de Warlikowski sont comme des montagnes russes : un voyage époustouflant avec des hauts et des bas dont on ne sort pas indemne, comme dans ce Macbeth, qui comporte des moments de grand théâtre suivis d’autres moins convaincants, mais qui, dans l’ensemble, est une expérience qui laisse des traces. Ce qui devrait toujours être le cas au théâtre.
L’immense scène du Großes Festspielhaus semble encore plus étendue horizontalement dans la scénographie de Małgorzata Szczęśniak, avec un très long banc en bois, comme dans la salle d’attente d’une gare. Une vidéo montre en noir et blanc une mère qui allaite un bébé. Une femme, la Lady, est assise sur le banc à droite, un homme, Macbeth, à l’autre bout. Puis, de la gauche, on entre dans une pièce où des femmes aux yeux bandés formulent des oracles, tandis que de la droite, on entre dans la cabine d’un médecin et qu’une caméra vidéo accompagne la femme dans la cabine, sur une chaise gynécologique. L’examen confirme son incapacité à avoir des enfants.
L’absence d’enfant – et donc de descendance – est le thème central de la dramaturgie de Christian Longchamp, plus encore que la soif de pouvoir : si l’on n’a personne à qui léguer son héritage, à quoi bon ? Et des enfants, il y en a beaucoup sur scène : ceux des prophéties, certes, mais aussi les enfants de Macduff, victimes d’un massacre d’innocents lorsque leur mère décide de les empoisonner tous, et elle également, pour ne pas les livrer « aux griffes de ce tigre ».
Michieletto avait également mis l’accent sur l’absence de maternité de la Dame, mais ce qui est différent ici, c’est la solidité de la relation du couple qui ne s’effondre jamais. Pas même à la fin, lorsqu’ils sont attachés l’un à l’autre, maintenant déments et physiquement épuisés, avant d’être lynchés par le peuple : elle avait été sauvée du suicide et avait vécu ses derniers instants avec son mari bien-aimé, chéri plus encore peut-être que le pouvoir. On trouve dans le spectacle de nombreux moments dans le style de Warlikowski, par exemple celui du banquet, où la Lady chante son toast dans le micro, tandis que Macbeth est hanté par la vision de Banquo qu’il a lui-même dessiné sur un ballon. Ou encore lorsque le dernier plat est servi et que sous la cloche, on trouve une poupée garnie de brocolis. Dès qu’ils sont couronnés après l’assassinat de Duncan, au milieu des apparats, une fois que la musique s’est arrêtée et que la foule s’est dispersée, Macbeth et sa Lady éclatent de rire devant la facilité avec laquelle ils se sont tirés d’affaire, mais ils réalisent immédiatement qu’ils ne peuvent rien souhaiter de plus… et c’est à partir de ce moment que leur drame et leur déchéance commencent : elle commence à boire, à parler de taches de sang inexistantes, lui souffre d’un complexe de castration de la part de sa femme/mère ou des sorcières – entre-temps, des images de l’Œdipe roi de Pasolini sont apparues sur l’écran de télévision – et à partir de ce moment, Macbeth vit dans un fauteuil roulant, aidé par des serviteurs.
Un remarquable couple de chanteurs-acteurs
Cette dramaturgie audacieuse ne serait pas convaincante sans deux interprètes capables de s’approprier la vision particulière du metteur en scène, ce que réussissent Asmik Grigorian et Vladislav Sulimskij. Elle lituanienne, lui biélorusse, tous deux maîtrisent les mots de Verdi, ainsi que la psychologie des personnages, créant un couple magnétique remarquable sur le plan théâtral et vocal. C’est ici, à Salzbourg, que Grigorian a commencé son extraordinaire carrière, en se révélant dans le rôle de Salomé dans la production de Castellucci. Les qualités scéniques de l’artiste sont sublimes, ses qualités vocales presque autant, et même ici, dans ce rôle redoutable, elle ne déçoit pas les attentes en créant un personnage à la fois humain et tragique, sans l’excès de méchanceté que l’on attribue généralement au personnage. Non pas parce que la Dame est mauvaise, mais parce qu’ici, c’est son humanité nue qui prévaut. Le chant est expressif, mais non expressionniste, et les notes sont toujours parfaitement justes. Je ne sais pas si cela aurait plu à Verdi qui voulait des sons « durs, étouffés, sombres », mais le public a apprécié sans réserve cette prestation. Vladislav Sulimsky est un Macbeth tourmenté qui perd bientôt pied avec la réalité et plonge dans l’abîme d’une quasi-démence. La voix est très élastique et expressive et son « Pietà, rispetto, amore » est tout à fait convaincant, tout comme le « Mal per me che m’affidai » conclusif (l’air retrouvé de la version de 1847).
Une exécution musicale de grande qualité
Macbeth est une œuvre où les deux voix principales prédominent, mais Malcolm et Macduff ont aussi des moments importants. Le premier avec « Ah, la paterna mano » où Jonathan Tetelman a remporté un grand succès auprès du public avec sa voix au beau timbre et à la projection éclatante, peut-être même un peu trop trop : « less is more » s’applique aussi au charmant ténor américano-chilien. Ce dernier disparaît rapidement de la scène, mais nous pouvons apprécier Tareq Nazmi dans son air dramatique « Come dal ciel precipita« , interprété avec les généreuses ressources vocales et interprétatives de la basse allemande. Caterina Piva (la dame de Lady Lady), Evan LeRoy Johnson (Malcolm), Aleksei Kulagin (le docteur), Grisha Martirosyan (le serviteur de Macbeth) et Hovhannes Karapetyan (le meurtrier et le héraut) ont complété cette excellente distribution. La prestation du chœur est perfectible, tandis que l’Orchestre philharmonique de Vienne était placé sous la direction de Philippe Jordan, remplaçant Franz-Welser Möst (lequel a dû subir une opération orthopédique urgente). Je ne suis pas le premier à dire que nous n’avons perdu au change : la direction de Jordan a été passionnante tout en respectant les voix sur scène, avec des dynamiques rapides mais non précipitées, des couleurs et des lumières admirablement réalisées par les extraordinaires instrumentistes de l’orchestre.
Dans l’ensemble, il s’agit d’une performance impressionnante, saluée par les ovations du public. L’enregistrement vidéo est disponible jusqu’au 27 octobre sur arte.tv.
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Macbeth : Vladislav Sulimsky
Banquo : Tareq Nazmi
Lady Macbeth : Asmik Grigorian
Macduff : Jonathan Tetelman
Malcolm : Evan Leroy Johnson
La dame de lady Macbeth : Caterina Piva
Le médecin : Alexey Kulagin
Un domestique : Grisha Martirosyan
Angelika Prokopp Summer Academy of the Vienna Philharmonic, Jörn Hinnerk Andresen Chorus Master , Vienna Philharmonic, dir. Philippe Jordan
Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes : Malgorzata Szczesniak
Lumières : Felice Ross
Vidéo : Denis Guéguni et Kamil Polak
Chorégraphie : Claude Bardouil
Dramaturgie : Christian Longchamp
Macbeth
Melodramma en quatre actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave et Andrea Maffei d’après Shakespeare, créé au Teatro della Pergola de Florence le 14 mars 1847 (version révisée de Paris, Théâtre Lyrique, 19 avril 1865).
Salzbourg, Großes Festspielhaus, 19 août 2023