Don Pasquale, Palais Garnier, 14 septembre 2023
Un quatuor d’exception d’où se détachent plus particulièrement René Barbera et Florian Sempey
Épuisement d’un genre
L’histoire du vieux barbon voulant épouser sa pupille ou une autre jeune femme est aussi ancienne que le monde et elle prend forme surtout au théâtre dès l’Antiquité, sûrement chez le Mercator de Plaute, fabula palliata d’ascendance vraisemblablement grecque. En passant notamment par Molière (L’École des femmes, Le Mariage forcé) et par la commedia dell’arte, l’opéra s’en empare à son tour. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Lo sposo burlato de Niccolò Piccinni est un succès de premier plan et son livret est remis en musique en français et en allemand. Beaumarchais renouvelle le genre (Le Barbier de Séville), suivi en cela de Paisiello et surtout de Rossini. En 1843, avec Don Pasquale, Donizetti et son librettiste (Giovanni Ruffini) mettent un point final à un genre qui s’épuise, l’opera buffa, le Falstaff verdien appartenant à une tout autre esthétique.
Un don Juan qui aurait vieilli
Et c’est justement au pancione que pense le metteur en scène Damiano Michieletto lorsqu’il donne corps à sa propre conception du personnage donizettien, sorte de don Juan qui aurait vieilli. Indépendamment des considérations du réalisateur italien, le hasard du calendrier nous permet de rapprocher à notre tour le chef-d’œuvre de Mozart-Da Ponte du titre du maître de Bergame, la reprise au Palais Garnier de la production de 2018 emboîtant le pas à celle de Don Giovanni empruntée au Festival de Salzbourg, donnée la veille à l’Opéra Bastille. Autre coïncidence, deux éléments rapprochent les deux mises en scène : la présence de voitures sur le plateau et la forêt.
Proposé pour la troisième fois, le spectacle est bien connu du public parisien. Nous ne nous appesantirons donc pas sur ses enjeux. Rappelons seulement les lieux : l’intérieur mal rangé d’un vieux garçon pour l’appartement de Don Pasquale au premier tableau de l’acte I, se muant en studio photo ou télé pour le second ; la rue devant l’immeuble où vit le héros, puis à nouveau le même logement au deuxième ; cet endroit étant entièrement rénové au troisième. Pour ce qui est du décor, au début, une vieille Lancia trône à l’arrière-plan, relayée à la fin par une Maserati flambant neuve. À côté des quatre personnages principaux, interagissent bien des figurants : une femme de chambre âgée fumant comme un pompier qui teint en noir les cheveux de Don Pasquale avant de recevoir la supposée Sofronia ; la mariée et la ribambelle de gamins apparaissant après la proposition de mariage avancée par Malatesta ; la starlette dont Norina est visiblement la suivante et dont elle rêve de prendre la place ; la mère, entraînant les souvenir d’enfance au moment où s’effondrent les rêves. À cela viennent s’ajouter des pantins représentant les trois acteurs du triangle amoureux mais pas le démiurge. Cependant, c’est surtout le recours à la vidéo qui s’impose davantage, moyen pour « montrer cet écart entre fantasme et réalité », nous précise le metteur en scène dans le programme de salle. Si cet expédient – pas particulièrement original, par ailleurs – nous avait quelque peu agacé en 2018, il faut avouer que ce soir il fonctionne plutôt bien : sans doute a-t-il été perfectionné ou tout simplement était-ce moi qui me trouvais en meilleure disposition… Et c’est justement à l’écran que l’on projette – l’espace de quelques minutes, lors des retrouvailles des deux amants – cette forêt, si semblable à celle qu’a conçue Claus Guth pour son Don Giovanni. Il reste toujours le léger décalage entre l’image projetée et le chant des interprètes, donnant une inutile impression de play-back.
Une interprétation caractérisée par une diction très fluide
Et pourtant ce n’est nullement à une représentation filmée que nous convie ce quatuor d’exception, le dénominateur commun entre les quatre chanteurs principaux résidant en une diction très fluide, alors même qu’aucun d’entre eux n’est italophone de naissance. Laurent Naouri retrouve le rôle-titre qu’il avait déjà endossé en mai 2022 à Dijon[1]..
. À une présence scénique très enjouée, il conjugue une agilité vocale certaine, même s’il a parfois tendance à grossir le son et que le chant syllabique de la strette du second duo avec Malatesta le met à rude épreuve. Dès lors, le contraste est saisissant avec le Dottor Malatesta de Florian Sempey, retrouvant le personnage qu’il avait investi en 2018. En cinq ans, le baryton a bien eu le temps de mûrir sa conception du rôle. Dans son texte de présentation, Damiano Michieletto nous explique que le « préfixe Mala– renvoie à la maladie », à l’instar de Nemorino, le petit rien, serions-nous tentés d’ajouter. À notre humble avis, Malatesta est une « mauvaise tête » et c’est bien ainsi que l’entend le chanteur français. Grâce à la maîtrise du genre – et du style – qu’il a acquise au cours d’une carrière déjà conséquente, il occupe toute la place, surtout dans le trio de l’acte II, à tel point que d’aucuns pourraient se plaindre qu’il en fait trop. Mais ne boudons pas notre plaisir : le volume ne nuit jamais à l’articulation et au phrasé dont il donne un essai époustouflant dès le premier duo. Sa prestance physique actuelle en fait, par ailleurs, le véritable « mauvais garçon » de l’affaire. Son acolyte, René Barbera, retrouve dans cette mise en scène l’Ernesto qu’il a incarné à Palerme l’hiver dernier, le Teatro Massimo étant coproducteur avec le Royal Opera House Covent Garden de Londres. Dès le duo avec son oncle, il fait un sort à chaque note, tout particulièrement dans la strette, dans un étalage de santé vocale que vient corroborer la clarté de l’accent. Au finale I, avec Norina, le sillabato (ou chant syllabique) est grandiose. Mais c’est surtout dans sa grande scène de l’acte II, serrant son nounours d’enfant mal dégrossi, qu’il fait succéder à une cavatine tout intériorisée une cabalette comme ciselée par le plus fin orfèvre. Dans cette production, il s’agit assurément du meilleur Ernesto qu’il nous ait été donné d’entendre, et pourtant la concurrence est rude… Julie Fuchs retrouve l’héroïne qu’elle a abordée à deux reprises à Zurich. Elle sait, dans sa sortita (voyez aria di sortita), savamment associer sa belle colorature à un aigu solide, ainsi que, dans le rondò final elle enrichit d’une rondeur sans faille les plus rayonnantes vocalises.
Sauf erreur, Speranza Scappucci n’avait jamais dirigé l’ouvrage auparavant. Elle revient à l’Opéra Bastille où elle était au pupitre des Capuleti e i Montecchi de Bellini il y a tout juste un an. Malgré une légère lourdeur des vents dans l’ouverture, elle tire le meilleur parti de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris dont elle parvient à faire ressortir les plus délicates harmonies, notamment chez les cordes. Une mention pour le Chœur maison, très peu sollicité tout de même.
Retrouvez Julie Fuchs en interview ici .
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[1] Il avait chanté le rôle pour la première fois à Tours, déjà aux côtés de Florian Sempey, mais c’était en janvier 21, soit en pleine pandémie… Une captation du spectacle avait été réalisée.
Don Pasquale : Laurent Naouri
Norina : Julie Fuchs
Dottor Malatesta : Florian Sempey
Ernesto : René Barbera
Un notaro : Slawomir Szychowiak
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, dir. Speranza Scappucci et Alessandro Di Stefano
Mise en scène : Damiano Michieletto
Décors : Paolo Fantin
Costumes : Agostino Cavalca
Lumières : Alessandro Carletti
Vidéo : Rocafilm
Don Pasquale
Dramma buffo en trois actes de Gaetano Donizetti, livret de Giovanni Ruffini, créé au Théâtre-Italien de Paris le 3 janvier 1843.
Palais Garnier, représentation du jeudi 14 septembre 2023