Il Lombardi alla prima crociata sont une œuvre particulièrement difficile à monter. Pari relevé pour le Festival Verdi de Parme, qui propose un spectacle fort apprécié du public !
Il Lombardi alla prima crociata sont une œuvre particulièrement difficile à monter : si la partition comporte de superbes pages, le livret est pour le moins alambiqué et est peut-être moins parlant que d’autres pour le public du XXIe siècle ; et l’œuvre exige une distribution nombreuse et de qualité, avec notamment un rôle pour soprano particulièrement exigeant et exposé. Le pari a été relevé par le Festival Verdi de Parme, qui propose un spectacle fort apprécié du public.
Parme s’attache à proposer des versions musicales basées sur les versions critiques reconnues, ce n’est donc pas là que nous entendrons des œuvres mutilées, avec des pages supprimées ou des airs dont les codas et les reprises passent à la trappe – une démarche qui, faut-il le rappeler, ôte aux œuvres leur colonne vertébrale et trahit le peu de crédit que leur accordent les artistes qui la pratiquent. C’est donc une version intégrale des Lombards que propose Francesco Lanzillotta, mais les qualités de sa prestation sont loin de se résumer à ce seul point : sa lecture de ce quatrième opéra de Verdi est flamboyante, comme il se doit, tout en échappant au clinquant vide et « tape-à-l’oreille » qui peut vite rendre lassants certains couplets guerriers que les croisés sont toujours prompts à entonner… Ici, les chants de guerre ou de vengeance ont des accents vraiment martiaux et inquiétants, et l’on se surprend à entendre ici ou là des pages qui semblent anticiper sur les chefs-d’œuvre à venir : ainsi le finale du I annonce celui du premier acte de Macbeth, lorsque la foule, horrifiée, apprend que Duncan a été assassiné ; de même, le court dialogue entre Pirro et Pagano au cours duquel les deux hommes projettent le meurtre d’Arvino, prend, sous la direction de Lanzillotta, les mêmes couleurs sombres et dramatiques que celles du dialogue entre Pietro et Paolo dans Simon Boccanegra. Enfin, la mise en valeur de certains détails (telles les lignes sinueuses des cordes qui introduisent l’air de Pagano « Sciagurata! hai tu creduto« , qui auront rarement dépeint avec autant d’efficacité la noirceur de l’âme du personnage !) ne nuit jamais à la progression du drame, qui avance sans rupture ni temps morts malgré les maladresses du livret. Bravo enfin à l’orchestre et aux chœurs maison, qui remportent un grand succès amplement mérité.
La distribution réunie pour ces représentations, sans être parfaite (mais existe-t-il une distribution parfaite pour cette œuvre si exigeante ?), s’est révélée particulièrement excitante. Bravo tout d’abord aux seconds rôles, dont aucun ne dépare la qualité d’ensemble, avec une mention spéciale à Antonio Corianò en Arvino : le rôle est en effet ingrat dans la mesure où il offre peu d’occasions de briller ; il ne peut cependant être confié à un chanteur médiocre tant l’impact dramatique du personnage est important. Le ténor italien parvient à donner une belle épaisseur à un personnage dans lequel il s’implique pleinement, vocalement et scéniquement.
Mais l’œuvre repose avant tout sur un trio basse, ténor, soprano de premier plan. Malgré presque 40 ans de carrière, Michele Pertusi a conservé une étonnante assise vocale : la ligne de chant est toujours très assurée et la projection vocale, quant à elle, n’a rien perdu de son autorité. Son Pagano, crédible et émouvant, a conquis le public qui applaudit au rideau final tant la prestation du soir que, sans doute, l’ensemble d’une très belle carrière. Antonio Poli a de toute évidence beaucoup écouté José Carreras : sa manière de conférer aux mots un caractère urgent, le fait d’ouvrir très largement les voyelles, d’attaquer certaines syllabes par une petite déchirure du timbre évoquant un léger sanglot rappellent en effet constamment l’art du ténor espagnol. L’aisance incroyable de la projection surprend l’auditeur, mais on regrette que, dans un rôle où le chant spianato est si souvent requis (« La mia letizia infondere », « Fuggi, abbandoni, o misera », le trio avec Giselda et Pagano), le ténor ne fasse pas plus souvent appel à la nuance, au clair-obscur, à la mezza voce, dont il se montre pourtant capable à plus d’une reprise. Les premières interventions de Lidia Fridman, enfin, nous laissent penser que nous tenons peut-être là un nouveau soprano drammatico d’agilità, une espèce rare entre toutes ! La voix est ample, avec un medium et un grave nourris, une projection péremptoire. Le cantabile de la prière du I est respecté, même si l’on aimerait parfois que la nuance piano de l’aigu aille jusqu’au pianissimo ; et les vocalises di forza de l’épuisante scène du II (« No! … giusta causa – non è d’Iddio ») maîtrisées. D’où vient alors que la soprano ne remporte qu’un beau succès, mais pas tout à fait le triomphe attendu ? C’est que l’aigu se fait rebelle au fil de la soirée : la chanteuse va jusqu’à abréger certains points d’orgue, et à deux ou trois reprises, la voix se tend au point de connaître quelques problèmes de justesse… S’agit-il d’un problème ponctuel, d’une méforme passagère ou d’une écriture vocale trop tendue pour les moyens actuels de la chanteuse ? L’avenir le dira…
Enfin Pier Luigi Pizzi signe une mise en scène particulièrement sobre : la scénographie est simplissime (un plateau circulaire, quelques tables, des bancs), la profondeur et la variété des décors étant apportées par les projections, le plus souvent d’une grande élégance. Le metteur en scène semble avoir pris appui sur le finale de l’œuvre pour construire sa lecture de l’œuvre : au-delà de la réconciliation entre les deux frères Arvino et Oronte, c’est une réconciliation générale qui semble s’opérer, entre les guerriers qui viennent de se combattre et de s’entretuer… et qui se relèvent pour se livrer à de chaleureuses accolades. Un message de paix, d’amour, de pardon, qui semble véhiculé et favorisé par la musique elle-même, comme le suggère l’apparition finale de deux enfants portant un violon et un archet. La musique, au demeurant, est mise à l’honneur visuellement à plusieurs reprises dans le spectacle, avec l’apparition sur scène de plusieurs instrumentistes, dont la violoniste Mihaela Costea pour le solo du III.
On pourra au choix, en fonction de ses goûts et de sa sensibilité, trouver cette mise en scène trop simple, trop traditionnelle – et le message délivré un brin naïf et trop optimiste ; ou au contraire, se laisser porter par des images élégantes qui accompagnent la musique sans la violenter, sans qu’on ait à se demander toutes les minutes quelle peut bien être l’histoire que le metteur en scène cherche à nous raconter… et trouver qu’un tel message de paix et d’espoir ne fait finalement pas de mal…
Arvino, fils de Folco seigneur de Rò : Antonio Corianò
Pagano, fils de Folco seigneur de Rò, futur ermite : Michele Pertusi
Viclinda, épouse d’Arvino : Giulia Mazzola
Giselda, sa fille : Lidia Fridman
Pirro, écuyer d’Arvino : Luca Dall’Amico
Un prieur de la ville de Milan : Zizhao Chen
Acciano, tyran d’Antioche : William Corrò
Oronte, son fils : Antonio Poli
Sofia, épouse du tyran d’Antioche : Galina Ovchinnikova
Violono solista : Mihaela Costea
Philharmonie Arturo Toscanini
Orchestra giovanile della via Emilia, dir. Francesco Lanzillotta
Chœur du Teatro regio di Parma, dir. Martino Faggiani
Mise en scène, décors, costumes et vidéo : Pier Luigi Pizzi
Lumières : Massimo Gasparon
Chorégraphie : Marco Berriel
I lombardi alla prima crociata
Opéra de Guiseppe Verdi, livret de Temistocle Solera, créé à la Scala de Milan le 11 février 1843.
Festival Verdi de Parme, Teatro regio di Parma, représentation du vendredi 29 septembre 2023.