Le « divin ravissement » des PÊCHEURS toulousains
Les Pêcheurs de perles, Opéra national du Capitole, 3 octobre 2023
La prestigieuse scène d’opéra toulousaine du Capitole nous invite, pour ouvrir sa saison centrée autour du voyage, à une excursion colorée sur l’ile de Ceylan, portée par un plateau vocal francophone prestigieux. La représentation des Pêcheurs de perles de Bizet sera, en ce 3 octobre 2023, dédiée à Michel Plasson, chef d’orchestre emblématique de la maison toulousaine et ardent défenseur du répertoire français, qui fêtait la veille ses 90 ans.
C’est avec les Pêcheurs de perles, joyau du répertoire français créé en 1863 au Théâtre-Lyrique, que le jeune Bizet, alors âgé de 24 ans, accède à une notoriété nouvelle. Il est connu pour son talent de pianiste et ses transcriptions, que le maestro Victorien Vanoosten a souhaité partager avec le public. C’est donc avec étonnement que l’auditoire a entendu l’adaptation pour orchestre de 5 des 12 pièces des Jeux d’enfants composées en 1871, en intermède lors du changement de décor de l’acte I. Ce brillant chef français fait des débuts remarqués avec les forces de l’Orchestre national du Capitole dans cet ouvrage qu’il affectionne particulièrement car il avait marqué sa première collaboration avec Daniel Barenboim. Sa direction précise, dynamique, élégante, pleine de couleurs, accompagne l’orientalisme assumé des décors avec beaucoup de subtilité. Les différentes atmosphères de l’ouvrage principalement diurne sont magnifiées avec beaucoup de raffinement et de poésie. Cette étoile montante de la musique classique rend hommage au compositeur en mettant en relief, avec cette douce mélopée de notes venues d’orient, le talent du jeune Bizet pour la composition de mélodies et l’orchestration.
La nouvelle production portée par le metteur en scène et chorégraphe Thomas Lebrun est structurée autour de l’imaginaire d’inspiration exotique présent dans l’opéra. Le spectateur est projeté dans un village sur des pilotis de bambous, au bord de la plage. Une multitude de couleurs chatoyantes complète le tableau lors de l’entrée des chœurs habillés en sahri. Les décors de végétation luxuriante en carton-pâte peint d’Antoine Fontaine, les costumes d’inspiration traditionnelle du Sri-Lanka de David Belugou et les lumières de Patrick Méeüs proposent un univers où l’on retrouve tous les codes de l’orient romantique fantasmé du XIXe siècle. Les processions, danses de joie ou sacrificielles, feux de bois et tempêtes présents dans l’ouvrage de Bizet et largement inspirés de la fascination de l’ailleurs, mais aussi des œuvres des réalistes et naturalistes Alfred Bruneau et Félicien David, sont plutôt réussies. Le ballet est présent en filigrane tout au long de l’opéra. Les douze danseurs jalonnent la progression dramatique des personnages et soulignent les passages clés du livret. Une gracieuse danseuse voilée accompagne de ses pointes chaque apparition du thème du célébrissime duo évocateur de la déesse, donnant à voir l’onirique objet des fantasmes masculins. Cette nouvelle production efficace et fidèle au livret est donc une réussite, bien que sous certains aspects, nous aurions souhaité un parti pris plus affirmé.
Cet ouvrage de jeunesse de Bizet, où nous retrouvons des profils vocaux très similaires à ceux de la Lakmé de Léo Delibes, est construit autour d’une intrigue amoureuse simple constituée du traditionnel triangle amoureux fréquemment retrouvé dans l’opéra. La thématique du serment d’amitié éternelle qui sera brisé permet de créer la tension dramatique et de faire progresser l’histoire. Cet univers à la fois naturel et exotique contraste avec la partition où l’on retrouve beaucoup de classicisme et de pureté. Elle doit être portée par un plateau vocal homogène et engagé pour donner leur pleine mesure à chacun des personnages.
Anne Catherine Gillet, heureuse de fêter les 20 ans de sa première apparition sur la scène toulousaine, revêt le long voile de la déesse Leïla. Elle délivre une performance totale, entre danse, chant et portés aériens pour soumettre la vision de cette femme déchirée entre son amour profond pour Nadir et son destin religieux. Elle explore toutes les facettes du personnage dont on ressent l’évolution. La soprano belge passe ainsi de la déesse insaisissable, abstraite, aux charmes irréels et à la voix cristalline, à une femme passionnée et amoureuse beaucoup plus dramatique et convaincante à nos yeux. La voix, bien que parfois fragile dans l’aigu et dont le vibrato est très marqué, est riche de nombreuses beautés séduisantes. Anne Catherine Gillet dégage beaucoup de fraicheur et de charme. Lors de sa cavatine, alors qu’elle se débarrasse de tous ses ornements religieux sur scène, le spectateur comprend très vite qu’elle ne sera pas prêtresse. Son duo avec Zurga est pleinement incarné et emporte l’adhésion de la salle.
Avec le Nadir de Mathias Vidal, on entend un artiste qui chante le texte, lui apporte des couleurs variées et retransmet le sens de chaque mot. Sa technique sans faille et sa formidable intelligence du chant émeuvent au plus haut point. Il incarne l’archétype du jeune homme amoureux plein de passion. Le ténor fait de sa romance, bien qu’amputée de l’aigu final ajouté dans la partition dans les versions plus tardives, un air envoutant et charmeur, rempli de finesse et de sensibilité, notamment par son phrasé et ses piani suspendus.
Alexandre Duhamel, dès son entrée en scène impose naturellement sa stature de chef, tant par sa gestuelle que par sa puissante et impressionnante voix. Le baryton module parfaitement son instrument et développe de superbes couleurs lors du célébrissime duo d’amitié avec Nadir, au tempo plus allant que d’usage, ou l’on retrouve l’urgence de la promesse qui va être faite. Son Zurga, d’abord méfiant et jaloux, se révèle plein de bonté d’âme alors qu’il va finalement mourir pour ses amis. Il livre au public un air d’adieu bouleversant de générosité.
Jean-Fernand Setti, avec sa large voix de basse, impose sa stature et complète parfaitement la distribution. Le personnage, dans lequel nous pouvons voir une référence à l’univers de Walt Disney, alterne entre la bienveillance du Génie et les aspirations autoritaires de Jafar, avec son sceptre à la main. Cette lecture apporte une dimension nouvelle au rôle.
La nouvelle production enthousiasmante de l’ouvrage rassemble avec beaucoup de succès une distribution internationale francophone de talent, et les trois forces artistiques de la maison réunies : le ballet, le chœur et l’orchestre national du Capitole, pour nous offrir un spectacle complet. La pure beauté musicale qui se dégage de chaque page de la partition de Bizet emporte le spectateur sur l’île de Ceylan, sous le scintillement des lumières nocturnes, l’ondoiement des vagues et les embruns de l’océan indien. Cette soirée à ne pas manquer sera rediffusée sur Radio Classique le 14 octobre prochain à 20h, ou encore prochainement sur Mezzo, Medici.tv ou Pom.tv.
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Retrouvez Anne-Catherine Gillet et Mathias Vidal en interview, ici et là !
Leïla : Anne-Catherine Gillet
Nadir : Mathias Vidal
Zurga : Alexandre Duhamel
Nourabad : Jean-Fernand Setti
Orchestre et chœur de l’Opéra national du Capitole, dir. Victorien Vanoosten
Ballet de l’Opéra national du Capitole
Mise en scène et chorégraphie : Thomas Lebrun
Assistant à la mise en scène : Angelo Smimmo
Collaboration artistique : Raphaël Cottin
Décors : Antoine Fontaine
Costumes : David Belugou
Lumières : Patrick Méeüs
Les Pêcheurs de perles
Opéra en trois actes de Georges Bizet, livret d’Eugène Cormon et Michel Carré, créé le 30 septembre 1863 au Théâtre-Lyrique (Paris).
Opéra national du Capitole, Toulouse, représentation du mardi 3 octobre 2023