Stabat Mater de Scarlatti aux Bouffes du Nord – Objet performant non identifié
Pour les spectateurs qui n’auraient pas l’habitude de fréquenter le Théâtre des Bouffes du Nord, ou pour tous ceux qui verraient ce Stabat Mater durant l’une des nombreuses étapes prévues au cours des saisons à venir, quelques mots d’avertissement ne seront peut-être pas inutiles. Qu’ils ne s’attendent surtout pas à une exécution « traditionnelle » de cette partition composée par Domenico Scarlatti, probablement vers 1715 pour Saint-Pierre de Rome. La mention « d’après Scarlatti » doit ici prendre tout son sens : d’une œuvre pour chœur à dix voix et basse continue, Simon-Pierre Bestion a tiré une adaptation pour dix musiciens qui sont pour la plupart à la fois chanteurs et instrumentistes, lesdits instruments nous éloignant beaucoup de toute interprétation « historiquement informée » puisque l’on y trouve notamment une guitare électrique, un accordéon et un piano. On comprend d’emblée qu’une grande liberté a présidé à cet arrangement, alors même que Simon-Pierre Bestion connaît intimement cette partition qu’il a explorée jadis en tant que claveciniste et chef assistant.
Deuxième remarque : comment passe-t-on d’une pièce dont la durée n’excède guère une demi-heure à un spectacle qui dure trois fois plus longtemps ? C’est là qu’entrent en jeu Maëlle Dequiedt et Simon Hatab à la dramaturgie. Clairement, l’objectif n’était pas d’illustrer littéralement le poème de Jacopone da Todi, mais de se livrer à une réflexion ou à une rêverie sur le message qu’il peut encore véhiculer de nos jours, à une époque déchristianisée. Pour « performer » ce Stabat Mater, le spectacle associe théâtre parlé et musique chantée et jouée, le texte latin mis en musique par Scarlatti ne bénéficiant pas d’un sous-titrage, alors qu’une traduction des scènes dialoguées en italien est projetée de part et d’autre de la scène. C’est donc moins le sens mot à mot du Stabat Mater qui entre en jeu que la sensualité de la musique où les voix se superposent, la représentation étant découpée en huit parties.
La première, « Rome 1700 », revisite la notion de sacré sur un mode quasi blasphématoire, avec défilé de mode ecclésiastique à la Fellini-Roma et concile/combat entre cardinaux, le vainqueur étant nommé pape, le tout commenté en italien comme un événement (sportif ?) par le clarinettiste Matteo Pastorino. On voit ensuite la mère de Scarlatti lisant en VO une prétendue lettre de son fils lui parlant de la commande reçue du Vatican, lecture qui dégénère en liste de commissions, avec une séance d’épluchage de pommes de terre. On passe ensuite au français, avec le monologue de la stupéfiante Emilie Incerti Formentini qui incarne à la fois un personnage et sa mère. Certaines scènes sont plus physiques, plus agitées, les Enfers sont évoqués en écho à l’ « Inflammatus » du Stabat Mater, et la dernière scène nous ramène à la relation mère-fils à travers l’affrontement de deux comédiens.
À l’arrivée, le spectateur aura vu beaucoup de vrai théâtre et entendu beaucoup de belle musique, à condition d’avoir savouré sans œillères mentales, et sans chercher surtout à classer ce qui est offert à l’œil et à l’oreille. Un concert ? Sûrement pas. Une pièce de théâtre ? Pas vraiment. Du théâtre musical, comme cela se pratiqua beaucoup dans les années 1970 ? On s’en rapproche. Un OPNI ? peut-être bien.
Mise en scène : Maëlle Dequiedt. Direction musicale et arrangement : Simon-Pierre Bestion
Avec Youssouf Abi-Ayad, Emilie Incerti Formentini, Frédéric Leidgens, Maud Pougeoise
Et la Compagnie La Tempête : Annabelle Bayet soprano et basse électrique, Guy-Loup Boisneau ténor, percussions et piano, Jean-Christophe Brizard basse et accordéon, Myriam Jarmache mezzo-soprano, Lia Naviliat-Cuncic soprano et flûte traversière, Matteo Pastorino clarinette et clarinette basse, René Ramos-Premier baryton et piano, Hélène Richaud mezzo-soprano et violoncelle, Abel Rohrbach bugle et tuba, Vivien Simon ténor, scie musicale et piano
Direction musicale et arrangement : Simon-Pierre Bestion
Mise en scène : Maëlle Dequiedt
Stabat Mater d’après Domenico Scarlatti. Création collective La Phenomena / La Tempête.
Représentation du 12 octobre 2023, Théâtre des Bouffes du Nord (Paris)