104 ans après sa création à Vienne, l’Opéra de Lyon inscrit La femme sans ombre, presque jour pour jour, à son répertoire.
Les thématiques de l’opéra de Richard Strauss, de ces jalousies croisées, de compassion rédemptrice, de fécondité inscrite dans la destinée féminine ont trouvé une transposition visuelle évidente qui se décline par « la persistance, l’imagination, l’exubérance et, par-dessus tout, une insatiable envie d’expérimentation[1]« .
L’excentricité du livret de Hugo von Hofmannsthal, l’audace folle de la partition, les effectifs hors normes – 80 musiciens à Lyon pour cette nouvelle production – en font aujourd’hui encore une entreprise audacieuse. Voici un livret qui joue de son actualité et c’est probablement pour cela qu’il est apprécié, tant par les mélomanes, que par toute une foule de jeunes qui représentent plus de la moitié de son public pour la Première. Ils n’ont pas boudé le plaisir de saluer le propos développé par Hugo von Hofmannsthal, car « nul n’affirme son humanité au mépris des autres, nul ne peut ouvrir son avenir en brouillant celui des autres[2] ».
La Femme sans ombre, c’est l’Impératrice, la fille du roi des Esprits. Attirée par l’espèce humaine, elle va et vient dans ses métamorphoses. Mariée à l’empereur, elle est toujours sans ombre, et sans enfant. Sa nourrice lui conseille d’acquérir l’ombre de la femme du Teinturier qui refuse de lui céder. Le plateau tournant suffit à faire comprendre que deux univers se touchent sans se mêler. Que la domination patriarcale et sexuelle de l’empereur chasseur sur l’impératrice stérile fait écho à la dépendance matrimoniale du teinturier. Avec la mise en scène didactique, le livret rétif devient à peu près aussi clair qu’une fable même si le secret de la Femme sans ombre reste impénétrable.
Cette mise en scène de Mariusz Treliński offre à Josef Wagner – le teinturier Barak – un rôle que le baryton a magnifiquement transformé. C’est Daniele Rustioni que l’on retrouve, dans la fosse, au pupitre de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon : cuivres tonitruants, cordes fugitives, contrepoints très nets, avec au second acte un solo de violon dû à Nicolas Gourbeix qui restera dans les mémoires, avant que l’orchestre ne redevienne un bloc survolté que son chef pousse au lyrisme, au-delà de ce qui paraît possible. Les hommes se taillent la part belle dans la distribution lyonnaise : Josef Wagner, est un Barak humain et musical. Vincent Wolfsteiner incarne un empereur émouvant d’humanité et de faiblesses.
Lindsay Ammann est précise dans ses interventions atonales et concassées, avec le timbre sombre et inquiétant d’une nourrice doublée d’une sorcière. Ambur Braid parcourt sans incidents notoires les immenses écarts mélodiques et expressifs du rôle de la teinturière, mais sa façon d’être sur scène trahit l’effort et n’exprime rien de particulier. Sara Jakubiak, dans le rôle de l’Impératrice, avec des gestes d’actrice américaine, semble se réserver vocalement pour le troisième acte, presque entièrement centré sur elle et arrache finalement un succès bien mérité. Mais c’est dans le chœur mixte que tout le talent des chanteurs principaux développe le mieux l’excellence de la partition de Richard Strauss.
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[1] Expression utilisée par le le jury du Pritzker à propos de l’œuvre de Jean Nouvel. Voir ici l’article de Marie Douce-Albert (2008).
[2] Christiane Taubira, 2013
L’Empereur – Vincent Wolfsteiner
L’Impératrice – Sara Jakubiak
Barak, le teinturier – Josef Wagner
La Teinturière – Ambur Braid
La Nourrice – Lindsay Ammann
Le Messager des esprits – Julian Orlishausen
La Voix du faucon / Le Gardien du seuil du Temple – Giulia Scopelliti
Apparition d’un jeune homme /Le Bossu – Robert Lewis*
Le Borgne – Pawel Trojak* –
Le Manchot Pete Thanapat*
Une Voix venue d’en haut – Thandiswa Mpongwana*
* Solistes du Lyon Opéra Studio
Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon, dir. Daniele Rustioni
Chef des Choeurs – Benedict Kearns
Violon soliste de l’Orchestre de l’opéra de lyon : Nicolas Gourbeix
Mise en scène – Mariusz Treliński
Décors – Fabien Lédé
Costumes – Marek Adamski
Lumières – Marc Heinz
Chorégraphie – Jacek Przybyłowicz
Vidéo – Bartek Macias
Die Frau ohne Schatten (La Femme sans ombre)
Opéra en trois actes de Richard Strauss, livret de Hugo von Hofmannsthal, créé à Vienne en 1919
Nouvelle production de l’Opéra de Lyon du 17 au 31 octobre 2023, représentation du 17 octobre 2023.
1 commentaire
Un article très documenté et inspirant. Un regard sensible sur cet opéra qui donne vraiment l’envie de le découvrir tant pour les sentiments exprimés que pour la palette des acteurs et bien sûr la richesse de la musique de Strauss. L’exubérance et, l’imagination auxquelles il est fait référence comme derniers arguments… Difficile de résister !