Britten, A Midsummer Night’s Dream, Opéra Carlo Felice de Gênes, 13 octobre 2023
Comme l’an dernier, la saison commence à Gênes avec une production peu conventionnelle : le Songe d’une nuit d’été de Britten, dans une collaboration italo-anglo-omanaise. Comme l’an dernier, également, la direction choisit de débuter avec une mise en scène à la fois spectaculaire et consensuelle.
Le metteur en scène, Laurence Dale, est un habitué des récits de mise en abyme opératiques : il a déjà mis en scène Arianne à Naxos de Strauss, grand exemple du répertoire d’ « opéra dans l’opéra ». Il choisit ici de créer un décor modulable, dont le chœur du dispositif, simple est efficace, est la présence de gigantesques arbres mobiles sur la scène, qui créent, selon les merveilleux jeux de lumière de John Bishop, tantôt une atmosphère de fable, tantôt une ambiance plus terrienne, ou encore un cadre symbolique, évoquant les barreaux d’une prison à l’acte II. Le dispositif est complété par un avant-scène végétal, plus ouvert, et un immense cadre lumineux qui entoure la scène et suscite l’idée du théâtre dans le théâtre, élément graphique et scénique sur lequel repose, par ailleurs, le dernier film de Wes Anderson, Asteroid City. L’exhibition de la théâtralité reste pourtant subtile et centrée sur des détails, comme les ficelles apparentes de Puck évoluant dans les airs. Le respect de l’esprit shakespearien (de la part des metteurs en scène et des interprètes), notamment dans la représentation finale de la pièce – génialement ratée – des marchands devant le duc, faite de carton-pâte, ou de la tirade finale de Puck demandant l’indulgence du public, contribue pour beaucoup à la réussite du spectacle.
La communication de l’opéra Carlo Felice avait beaucoup insisté sur la qualité et la nouveauté des costumes, notamment des fées. Ils sont en effet superbes, et les design volumineux et structurés à la Alexander McQueen prennent une dimension proprement magique lors des scènes dansées (dans le premier tableau, l’ondulation du groupe des fées évoque un animal endormi), et ce toujours grâce aux effets d’ombre créés par John Bishop.
En creux, la mise en scène de Laurence Dale suggère la fragilité des êtres vivants, où se construisent en miroir les thèmes shakespeariens, baroques, de la mutabilité, et les considérations plus contemporaines de l’anthropocène. Ainsi, les arbres sur scène semblent parfois secs, morts, voire, inondés de lumière rouge, en proie à un incendie ravageur, évoquant les tristement télégéniques « mégafeux » que nous connaissons depuis plusieurs années. Le livret de Britten et Pears répond de façon troublante à cette thématique, lorsque Oberon et Tytania chantent à l’acte I leur responsabilité dans l’altération des saisons : « The seasons alter : the spring, the summer, / The childing autumn, the angry winter, change /Their wonted liv’ries, and the mazed world, / By their increase, now knows not which is which; / And this same progeny of evils comes / From our debate, from our dissension; / We are their parents and original, we are.”
À la baguette, Donatto Renzetti parvient à rendre la complexité du récit et de la partition. Les musiciens semblent prendre beaucoup de plaisir à l’instrumentation quasi-chambriste et très solistique de Britten : effectifs de cordes très limités, petite harmonie réduite au minimum, cuivres et percussions à l’honneur. L’orchestre peut ainsi exprimer non seulement sa grande virtuosité, mais aussi une très large palette d’expressions, de l’onirisme au comique. Particulièrement dignes d’éloges l’introduction et les transitions, portés par les glissendi des cordes graves, à la fois ludiques et angoissants, ou les nombreux solos de trompette.
Les chanteurs brillent aussi par leurs talents dramatiques, en particulier les interprètes anglophones de la troupe, qu’on sent habitués au registre shakespearien. Le contre-ténor Christopher Ainslie et la soprano Sydney Mancasola sont tous les deux incroyables de qualité vocale et scénique. Dans le quatuor pastoral des amoureux, se détache particulièrement la soprano Keri Fuge, qui, faisant montre d’une voix puissante, agile, d’un timbre chaud, parvient à habiter vocalement le personnage d’Helena, à la fois « stalkeuse » (harceleuse) ridicule, amie blessée, femme déterminée. David Shipley donne vie à Bottom avec des qualités similaires, proprement hilarant dans sa manie d’omnipotence, prêt à faire tous les rôles de la pièce, incarnant même un âne de façon très réaliste, le tout sans jamais que la qualité musicale s’en ressente. Toute la scène chorale entre Bottom et es fées est une réussite totale, oscillant en permanence entre le comique et une forme de tension qui presse et fige le spectateur.
Le public a semblé conquis par cette alliance de talents scéniques et de bonnes idées théâtrales, portées par un dispositif technologique minimum (du moins discret) mais évocateur.
Oberon : Christopher Ainslie
Tytania : Sydney Mancasola
Puck : Matteo Anselmi
Theseus : Scott Wilde
Hippolyta : Kamelia Kader
Lysander : Peter Kirk
Demetrius : John Chest
Hermia : Hagar Sharvit
Helena : Keri Fuge
Bottom : David Shipley
Quince : David Ireland
Flute : Seumas Begg
Snug : Sion Goronwy
Snout : Robert Burt
Starveling : Benjamin Bevan
Cobweb : Michela Gorini
Peasebossom : Sofia Macciò
Mustardseed : Lucilla Romano
Moth : Eliana Uscidda
Changeling : Francesco Pagliarusco
Mimo acrobata: Davide Riminucci
Mimi : Armando De Ceccon, Francesco Tunzi
Directeur d’orchestre: Donato Renzetti
Mise en scène : Laurence Dale
Décors et costumes : Gary McCann
Chorégraphie et assistance à la mise en scène: Carmine De Amicis
Lumières : John Bishop
A Midsummer Night’s Dream
Opéra en trois actes de Benjamin Britten, sur un livret de Benjamin Britten et Peter Pears, d’après Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, créé à Aldeburgh le 11 juin 1960.
Nouvelle mise en scène de la Fondation Teatro Carlo Felice en collaboration avec le Royal Opera House de Muscat (Oman). Représentation du 13 octobre 2023, teatro Carlo Felice, Gênes.