LA MEURTRIERE de Giorgos Koumendakis à l’Opéra d’Athènes – Kyrie, kyrie, kyrie

Au cours de la saison 2021-2022, l’Opéra national de Grèce reprenait La Meurtrière, opéra de Giorgos Koumendatis créé avec un grand en 2014. Cette œuvre forte a fait l’objet d’une captation et pourra très prochainement être vue sur Mezzo.

Il est rare qu’un opéra contemporain bénéficie d’une reprise quelques années après sa création, même dans la maison où il a vu le jour. C’est pourtant le cas de La Meutrière de Giorgos Koumendatis. Créée à Athènes en novembre 2014, l’œuvre a été reprise au cours de la saison 2021-2022 ; entre-temps, Koumendakis était devenu directeur artistique de l’Opéra national de Grèce, mais c’est évidemment le succès de la première qui justifie ce retour sur la scène, dans la même production, avec une distribution en partie renouvelée. On est donc conduit à s’interroger sur les raisons de cette réussite, et il n’est pas difficile d’en trouver plusieurs.

D’abord, un livret clair et efficace, avec des vrais personnages, construits autour de la narration linéaire d’une anecdote simple, d’après une nouvelle d’Alexandros Papadiamantis (1903). Au début du XXe siècle, une vieille paysanne décide de sauver le monde en éliminant des enfants de sexe féminin, perçus comme un fardeau. Cette évocation du sort des filles dans une société ultra-patriarcale a quelque chose de glaçant, mais le personnage principal est assez complexe pour que l’on s’intéresse à sa trajectoire. On songe bien sûr à Jenufa, où l’infanticide joue aussi un rôle central, mais il reste unique et est guidé par des modifications bien différentes.

On peut aussi penser à Janáček en écoutant cette musique, car la partition de Giorgos Koumendakis reflète son intérêt pour la musique traditionnelle, notamment les chants polyphoniques d’Épire ; La Meurtrière possède une certaine saveur populaire, on y entend un accordéon, et les sonorités s’inscrivent souvent dans une mouvance qu’on pourrait qualifier de post-britténienne. Sur le plan vocal, les chœurs sont très présents, y compris un chœur d’enfants très sollicité, qui renvoie bien sûr aux victimes de la protagoniste. Pour son cinquième opéra, en deux actes avec de nombreux passages parlés, Koumendakis cultive une agréable veine mélodique, non sans paroxysmes pucciniens (même si l’évocation des crimes peut sembler étonnamment « calme » dans la fosse d’orchestre). Pas de grand rôle de ténor, c’est toujours un avantage pour un opéra, et l’héroïne offre à une mezzo une occasion de se mettre en avant.

Pour cette reprise, la criminelle est incarnée avec une énergie sans faille – le personnage ne quitte pas la scène pendant la grosse heure et demie que dure l’opéra – par Mary-Ellen Nesi, bien connue pour sa participation à de nombreuses productions d’opéra baroque en Allemagne ou en Italie, et à qui l’opéra d’Athènes confie des personnages du répertoire romantique, comme Nicklausse des Contes d’Hoffmann ou Maddalena dans Rigoletto. Difficile d’oublier l’intensité de sa prestation, comme lors de ce moment où elle répète à l’infini le mot « Kyrie » (« Seigneur ! ».) À ses côtés, tous les autres personnages paraissent presque secondaires : on signalera du moins la soprano Anna Stylianaki, dans le rôle de Maroussò, l’amie avec laquelle la meurtrière évoque le bon vieux temps, et le baryton Tassos Apostolou en ermite Ioassaf, auquel l’héroïne voudrait se confesser (elle préfère finalement se suicider en se jetant à l’eau, comme elle noyait ses victimes).

La production d’Alexandros Efklidis vise elle aussi la lisibilité, avec une représentation claire des événements, dans un décor tournant derrière lequel une sorte d’échafaudage en bois permet au chœur d’assister à toute l’action. Sans s’astreindre au réalisme historique, les costumes renvoient au monde méditerranéen des années 1900. Pour autant, la mise en scène s’autorise quelques incursions dans un certain symbolisme, à travers la présence de figures allégoriques muettes présentes dès le début du spectacle et revenant à intervalles réguliers. La noyade finale est d’ailleurs évoquée de façon forcément allusive.

À écouter sur France Musique jusqu’au 29 novembre ; captation vidéo à voir sur Mezzo les 10, 12, 15, 17, 18 et 20 décembre 

Les artistes

Frangoyannou (la Meurtrière) : Mary-Ellen Nesi
Marousso : Anna Stylianaki
Ioassaf : Tassos Apostolou
Delcharo : Myrto Bokolini
Yannis Perivolas : Vangelis Maniatis
Yannou : Sophia Kyanidou
Mère de Xenoula : Fylli Georgiadou
Policier A : Yannis Christopoulos
Juge de paix : Yiannis Yannissis
Policier B / Assesseur : Nicolas Stefanou
Kriniou : Marilena Striftobola
Toula : Stelina Apostolopoulou
Myrsouda : Miranda Makrynioti
Médecin :  Giorgos Papadimitriou
Amersa : Maria Konstanta
Konstantis : Angelos Nerantzis

Ensemble polyphonique
Martha Mavroïdi, Maria Melachrinou, Alkmini Bassakarou, Ioanna Forti
Chœur d’enfants de l’Opéra National de Grèce
Chœur de l’Opéra National de Grècehef de chœur : Konstantina Pitsiakou
Orchestre de l’Opéra National de Grèce, dir. Vassilis Christopoulos

Mise en scène : Alexandros Efklidis
Décors : Petros Touloudis
Costumes : Petros Touloudis – Ioanna Tsami
Lumières : Vinicio Cheli

Le programme

La meurtrière

Opéra en deux actes de  Giorgos Koumendakis, livret de Yannis Svolos d’après le roman homonyme d’Alexandros Papadiamantis, créé à Athènes, Opéra National de Grèce, le 21 novembre 2014.

Production 2021-2022.