À l’Atrium de Chaville : une Flûte enchantée pour petits et grands, connaisseurs et néophytes
Si La Flûte enchantée peut donner lieu à des lectures diverses et variées (de l’initiation maçonnique aux relectures « sociétales », par exemple féministes, ou dénonçant le règne des fake news[1]), on peut déplorer que la dimension « conte merveilleux » du livret de Schikaneder soit peut-être quelque peu négligée ces temps-ci. On sait pourtant que, parallèlement aux leçons maçonniques délivrées par le texte, cette dimension est essentielle à l’œuvre – et d’une manière plus générale, aux opéras-féeries auxquels Mozart apporta sa contribution et qui furent créés au Theater an der Wien dirigé par Schikaneder.
Renaud Boutin n’a, pour sa part, certainement pas oublié cette facette de l’œuvre, dans la production qu’il monte en cette fin d’année dans la belle salle de l’Atrium de Chaville. Les péripéties vécues par Tamino et Pamina sont en effet racontées sur le mode du conte fantastique – un fantastique à la Magritte, mettant l’accent, comme les toiles du peintre belge, sur l’aspect trompeur des apparences. De fait, dans la scénographie conçue par Cécilia Delestre, de très nombreux éléments font référence à l’univers du peintre surréaliste : les nuages blancs, les pommes, les chapeaux melon, le parapluie, et jusqu’au voile blanc couvrant le visage des deux protagonistes lors des épreuves (allusion possible aux célèbres Amants de 1928). Sarastro lui-même apparaît non pas comme le « Grand architecte de l’Univers » cher à certains rituels maçonniques, mais comme un peintre (Magritte lui-même ?), agençant à sa façon les événements et les personnages sur la toile qu’il est en train de peindre. Le procédé est simple, efficace, et génère un fantastique plein de fraîcheur, n’excluant nullement une réflexion sur nos possibles erreurs de perception et de jugement.
Fidèles à ses principes, Renaud Boutin a choisi de monter cette Flûte en faisant participer à sa conception et à sa réalisation des amateurs passionnés, en amont du spectacle (des élèves du lycée La Source de Nogent et de l’École La Générale de Montreuil ont ainsi contribué à la réalisation des décors et des costumes) ou pendant le spectacle lui-même, avec la participation d’instrumentistes – l’Orchestre Bernard Thomas –, de choristes – le Chœur Éolides – et de solistes vocaux – le Groupe Lyrique – comportant plusieurs musiciens non-professionnels. L’ensemble de la troupe est placée sous la direction de Laurent Zaïk, qui préserve toutes les qualités de cette partition faisant, comme on sait, alterner humour et délicatesse, tendresse et légèreté, hiératisme et fraîcheur, et reste constamment d’une belle précision (sauf peut-être dans le chœur succédant aux épreuves du feu et de l’eau, où surgissent des décalages entre l’orchestre et le chœur ; on doit cependant reconnaître que cette page donne parfois du fil à retordre même aux plus grandes formations !).
De la distribution homogène réunie pour ce spectacle, la première qualité réside sans doute dans la clarté de la diction, rendant compréhensible le livret habilement traduit en français par le metteur en scène : le public réagit ainsi spontanément aux propos des personnages, et le but poursuivi par Renaud Boutin, à savoir rendre le texte immédiatement accessible à l’ensemble des spectateurs, petits et grands, connaisseurs et néophytes, est donc parfaitement atteint. Qui plus est certains artistes (Emmanuel Énault, Clara Pacaud, Mathieu Guigue) se montrent particulièrement convaincants dans la façon de dire le texte parlé. Vocalement, Clara Pacaud se montre soucieuse de soigner sa ligne de chant (avec un « Ach, ich fühl’s » aux mélismes maîtrisés) et campe une Pamina attachante. Le timbre frais et clair de Didier Chalu semble effectivement le destiner à certains emplois mozartiens : n’étaient quelques accros dans l’aigu, surtout en début de représentation (effets possibles du trac ?), son Tamino, empreint tout à la fois de douceur et de volonté, convainc. Si Cécile Bonnemain a tendance, ici ou là, à presser un peu le tempo des vocalises de ses deux redoutables airs, elle n’en fait pas moins preuve d’une belle maîtrise de la technique du chant colorature. Emmanuel Énault possède les graves abyssaux de Sarastro, dont il propose un portrait dénué de hiératisme mais plein d’humanité. Enfin Mathieu Guigue remporte tous les suffrages avec un Papageno tour à tour espiègle (mais sans cabotinage) ou émouvant (la scène du faux suicide), avec une voix claire, bien projetée et une clarté dans la diction très appréciable. Bravo enfin aux artistes incarnant les rôles secondaires pour leur parfaite implication, en particulier aux trois dames, d’une belle homogénéité vocale (Marine Gueuti, Hombeline Thomé, Joëlle Brun-Cosme) ou à l’espiègle Papagena de Nora Kétir.
Un spectacle réussi et très utile, puisque, tout en permettant à des amateurs de vivre pleinement leur passion, il amène l’opéra là où son accès est sans doute moins facile qu’ailleurs, et favorise l’implication de jeunes dans une forme artistique dont ils sont a priori très peu (voire pas du tout) familiers !
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[1] Mise en scène de Samuel Sené pour l’Opéra de Vichy.
Retrouvez ici Renaud Boutin en interview.
Tamino : Didier Chalu
Pamina : Clara Pacaud
La Reine de la Nuit : Cécile Bonnemain
Sarastro : Emmanuel Enault
Papageno : Mathieu Guigue
Papagena : Nora Kétir
Monostatos : Bernard Zakia
Les trois Dames : Marine Gueuti, Hombeline Thomé, Joëlle Brun-Cosme
Les trois Garçons : Clara Azémard, Marie-Charlotte Alary, Sophie Bièque
L’Orateur : Gilbert Lemasson
Le chœur du Groupe Lyrique, le Chœur Eolides (dir. Benjamin Fau)
Orchestre Bernard Thomas, dir. Laurent Zaïk
Mise en scène, adaptation, traduction : Renaud Boutin
Scénographie, costumes et maquillages : Cécilia Delestre
Lumières : Pierre Daubigny
La Flûte enchantée
Singspiel en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret d’Emanuel Schikaneder (traduit par Renaud Boutin), créé à Vienne en 1791.
Atrium de Chaville, représentation du samedi 2 décembre 2023.