Genève, Der Rosenkavalier, 13 décembre 2023
Le Grand Théâtre de Genève propose un nouveau Chevalier à la rose : une très belle réussite, scénique et musicale !
Richard Strauss rompant avec les excès sonores et scéniques d’Elektra et de Salome, développe avec Der Rosenkavalier une telle facture qu’il devient immédiatement un classique intemporel. Avec ce livret plus ambitieux que les précédents, il fait tout pour maîtriser « cette maudite beauté sonore qui s’échappe malgré [lui] » et déploie ici une imagination sans limite.
L’opéra compte quatre personnages principaux : la Maréchale ; son jeune amant, le Comte Octavian Rofrano ; son cousin truculent, le Baron Ochs et sa future fiancée, Sophie von Faninal, la fille d’un riche bourgeois. Bien qu’il s’agisse d’une Komödie für Musik, l’œuvre aborde des thèmes très graves comme l’infidélité, le vieillissement, la prédation sexuelle et l’altruisme en amour.
Il faut assurément être Viennois pour comprendre et développer le propos de Hugo von Hofmannsthal dont Stephan Zweig disait « qu’il est un des plus grands miracles de la perfection précoce ».
Christoph Waltz, fils de décorateurs et costumiers, petit-fils de comédiens de théâtre et ancien élève de l’école d’art dramatique Lee Strasberg à New York, est aussi un habitué de la scène, mais il ne s’était encore jamais frotté à l’opéra. C’est le travail réalisé en 2013 à Anvers qui est présenté au Grand Théâtre de Genève pour cette fin d’année.
Sa mise en scène transpose l’esprit Viennois et rend si sensible cette mascarade qu’il transforme en drame. Usant de son expérience au cinéma pour théâtraliser un espace resserré, dans une chambre où tout se noue, il développe le parti pris angoissant qu’il donne à la pièce de Richard Strauss.
D’où son accentuation très forte sur le personnage du baron Ochs dont il fait le protagoniste essentiel de ce jeu d’échecs du mal. L’incarnation du patriarcat, de la toute-puissance, de la suffisance est mise en scène, se développe, s’affirme, s’effondre et devient le pivot de l’intrigue grâce à l’interprétation magistrale de la basse lyrique Matthew Rose, au nom prédestiné. Ce débonnaire géant incarne le rôle en faisant siennes la vulgarité et l’insolence du baron, passant de la truculence à la bestialité pour offrir une prestation parfaite.
Celle-ci permet de mieux comprendre qu’il ne s’agit pas là d’une farce mais d’une situation de brutalité dénoncée, bien avant l’heure, dans ce livret de génie développé en pleine « apocalypse, joyeuse ». Cette radicalité laissera insatisfaits ceux qui espéraient une pièce légère, des perruques poudrées et une ambiance viennoise rococo qui sont les identifiants bien ancrés du Chevalier à la rose. Ici, il ne faut pas espérer un spectacle sucré comme de la crème fouettée sur un chocolat viennois !
Ils se contenteront donc de la beauté incomparable de la musique de Strauss, si bien servie par la production. Car la distribution rassemble, sous la baguette experte de Jonathan Nott, certaines des plus belles voix straussiennes du moment, avec María Bengtsson, reprenant le rôle de la Maréchale qu’elle tint à Anvers. Elle acquiert dès les premières notes, la prestance et la stature de l’aristocrate. Très attendue, Michèle Losier dans le rôle d’Octavian se hisse, dès les premières mesures, au niveau requis par le rôle. Ensemble elles cheminent vers Sofie (Mélissa Petit) dans le sublime trio final qui transforme ce drame en une farce.
Le puissant baron Ochs perd tout, vraiment tout, sans y croire. Pour lui, tout est fini, vraiment fini, comme en leur temps pour Harvey Weinstein ou Dominique Strauss Kahn.
Reste un mouchoir que se disputent sur l’air final les laissés pour comptes de l’époque avant le grand effondrement du « Monde d’hier ».
La Maréchale, princesse Werdenberg : Maria Bengtsson
Octavian : Michèle Losier
Le Baron Ochs von Lerchenau : Matthew Rose
Monsieur de Faninal : Bo Skovhus
Sophie de Faninal : Mélissa Petit
Valzacchi, un intrigant : Thomas Blondelle
Annina : Ezgi Kutlu
Demoiselle Marianne Leitmetzerin, duègne : Giulia Bolcato
Un ténor italien : Omar Mancini
Un commissaire de police : Stanislas Vorobyov
Le majordome de la Maréchale : Louis Zaitoun
Le majordome de Faninal : Marin Yonchev
Un notaire : William Meinert
Un aubergiste : Denzil Delaere
Orchestre de la Suisse Romande, dir. Jonathan Nott
Chœur du Grand Théâtre de Genève, dir. Alan Woodbridge
Mise en scène : Christoph Waltz
Scénographie : Annette Murschetz
Costumes : Carla Teti
Lumières : Franck Evin
Der Rosenkavalier
Opéra en trois actes de Richard Strauss, livret de Hugo von Hofmannsthal, créé à Dresde le 26 janvier 1911.
Grand Théâtre de Genève, représentation du mercredi 13 décembre 2023
3 commentaires
Merci pour cette magnifique critique
Merci oui pour cette critique
Profitons en , ressortons Carlos Kleiber ….
Cette critique, très intéressante, donne envie de voir cette mise en scène. Dans son descriptif, elle est très fouillée et donne à comprendre la complexité de cette œuvre. On sent que la qualité des chanteurs et celle de la mise en scène ont participé à cet état de fait. Merci.