Cinq ans après sa création pour le bicentenaire d’Offenbach de 2019 (l’œuvre fut montée à Lyon en juin puis à Marseille en décembre), la reprise de cette farce rurale est décidément d’actualité dans ce début d’année orageux : on peut dire que l’opéra de Lyon a eu la main heureuse !
Avec Barbe-Bleue à l’Opéra de Lyon, Laurent Pelly signe une adaptation joyeuse du conte de Perrault composée par Offenbach. La transposition de l’œuvre de nos jours répond à l’idée que les despotes ridicules de la fin du dix-neuvième renvoient aux tyrans contemporains « qui font des choses épouvantables et qu’on ne comprend pas forcément… un miroir tendu au pouvoir » (Laurent Pelly).
Barbe-bleue est un opéra-bouffe de Jacques Offenbach en trois actes et quatre tableaux sur un livret d’Henri Meilhac et de Ludovic Halévy. Créé au Théâtre des Variétés le 5 février 1866, entre La Belle Hélène et La Vie parisienne, Barbe-Bleue n’a pas conquis leur popularité : sans doute action et musique sacrifient-elles trop les seconds rôles. Jules Vallès dira, cette même année, que « Barbe-Bleue est la partie grasse du Moyen Âge. Innocent et fou, (il n’) a du respect pour rien ». Pour cette reprise de la coproduction des Opéras de Lyon et de Marseille, l’orchestre et le chœur de l’Opéra de Lyon, à l’entrain communicatif, sont placés sous la direction alerte du jeune chef d’origine britannique James Hendry. La lecture de Laurent Pelly, qui concilie divertissement populaire et lecture personnelle, apparaît judicieuse. Cela confère une vie saisissante à la campagne sinistrée, dévoilée dès le premier acte !
Florian Laconi, homme de pouvoir érotomane, barbe noire aux reflets bleus, vêtu d’un manteau de cuir noir, cigarette se consumant à la portière d’une berline de luxe, incarne Barbe-Bleue. Comme lui, il choisit ses proies comme on décide du sort des poules dans un poulailler. Il doit épouser Boulotte mais il préfère la charmante Fleurette, la future Princesse Hermia ; laquelle aime Saphir. Pourquoi choisir ? Il les veut toutes ! Il en a déjà eu cinq, il en veut une douzaine, peut-être plus. Dans ce rôle exigeant, Florian Laconi s’en donne à cœur joie ! C’est Héloïse Mas (un Rubens…) qui tient le rôle de Boulotte, femme libre, avec un accent du terroir. Pour le livret comme sur scène, elle s’affirme ! Joyeuse, délicieuse savoureuse, magnifique prestation de l’un et de l’autre, ils se méritent : elle a du répondant et « lui a besoin de quelqu’un qui en ait » !
Une distribution à la hauteur d’un public qui ne boude pas son plaisir : Offenbach, c’est du bonheur, et l’époque en a besoin, comme à la fin du Second Empire. En 1866, » Il vous reste Popolani (Napoléon ?), toujours, toujours Popolani » répondent les cinq premières épouses. En 1870, « maintenant, N. I. Ni, fini », répond le chœur. La société parisienne, sous Napoléon III s’amuse, y compris d’elle-même. Roi de Paris, Offenbach a un talent, une invention, un esprit ébouriffant, il n’a pas la moindre illusion sur ceux qui le fêtent, mais « il sait jusqu’où il peut aller trop loin » comme disait Cocteau.
Laurent Pelly et son équipe se libèrent des aimables conventions qui étouffaient cet opéra-bouffe et le décapent jusqu’à sa férocité secrète. Sans craindre d’aller trop loin.
Florian Laconi puissant et juste, danse, bouge et entraîne toute la troupe dans ce drame lyrique. Mais au finale, ce « je suis Barbe-Bleue, ô gué », ne devrait-il se transformer en « je suis Boulotte, et oui ! »… Car si le rôle fut créé par Hortense Schneider, la perpétuation d’Héloïse Mas place ce personnage au premier plan.
À l’exception de Fleurette (Jennifer Courcier), les autres chanteurs apparaissent plus effacés, à l’image de Jérémy Duffau (Saphir), Guillaume Andrieux (Popolani) ou encore Christophe Mortagne (Bobèche) plus acteur que ténor.
Barbe Bleue : Florian Laconi
Prince Saphir : Jérémy Duffau
Princesse Hermia, Fleurette : Jennifer Courcier
Boulotte : Héloïse Mas
Popolani : Guillaume Andrieux
Comte Oscar : Thibault De Damas
Roi Bobeche : Christophe Mortagne
Reine Clémentine : Julie Pasturaud
Alvares : Dominique Beneforti
Les cinq femmes de Barbe Bleue : Sharona Applebaum, Marie-Eve Gouin, Alexandra Guérinot, Sabine Hwang, Pascale Obrecht
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, dir. James Hendry
Direction des chœurs : Benedict Kearns
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Adaptation des dialogues : Agathe Mélinand
Décors : Chantal Thomas
Scénographie : Annette Murschetz
Lumières : Joël Adam
Barbe-Bleue
Opéra-bouffe en 3 actes et 4 tableaux de Jacques Offenbach, livret d’Henry Meilhac et Ludovic Halévy, création à Paris en 1866.
Représentation du 24 janvier 2024, Opéra national de Lyon.