Revisiter La Traviata, il fallait oser. Et quelle vaste entreprise !!! Donner un éclairage nouveau au chef-d’œuvre de Verdi même quand on prétend revenir aux sources littéraires et à Dumas fils n’est pas chose aisée, surtout quand le spectateur a ses petites habitudes musicales bien ancrées.
A l’opéra, le spectateur a ses bonnes ou mauvaises habitudes, quitte à ce que la routine s’installe dans ses yeux et ses esgourdes. Dérogez à l’habitus operaticus et ce sont les repères qui s’effondrent et la contrariété qui pointe le bout de son nez. Avouons-le, cette Traviata revisited présentée à l’Opéra de Bordeaux nous a bien bousculé. Pour une fois, ce n’est pas la mise en scène, intelligemment illustrative d’Eddy Garaudel, qui aura été à l’origine de nos doutes. Moderne, contemporaine, mêlant efficacement chant et dialogues parlés, l’histoire de la dame aux camélias se raconte sans effets superflus. Nonobstant la difficulté à comprendre et parfois à entendre la langue française de la bouche des chanteurs non-francophones, la narration se déroule sans accroc. Le recyclage des costumes et des décors de l’Opéra National de Bordeaux permet de faire du neuf avec du vieux. Politiquement dans l’air du temps, la contrainte n’oblitère pas le résultat. Georgia Tavares signe la scénographie mais également des lumières inspirées et perspicaces.
Là où le spectateur trépigne, c’est à l’écoute de la rencontre musicale entre Verdi et la compositrice Lise Borel. Verdi est pourtant bien présent, dans la splendeur de ces lignes vocales souvent entendues, parfois fredonnées et si viscéralement inhérente à La Traviata. Les mélodies sont là mais les harmonies n’y sont plus et c’est un nouvel univers sonore qui s’ouvre à nous. En choisissant un instrumentarium inattendu (piano, vibraphone, harpe, accordéon, percussions), Lise Borel nous embarque dans un monde auditif puissant, mordant et imprégnant où la polyphonie instrumentale substitue la verticalité à l’horizontalité de la ligne. Berg, Stravinsky ou Villa-Lobos pointent le bout de leurs nez et nos oreilles perdues cherchent des repères auxquels se raccrocher. Les lignes vocales de Verdi semblent parfois à la lutte avec les notes de la compositrice. Peut-être justement parce qu’elles sont chantées comme du Verdi et non pas comme du Verdi/Borel avec une recherche nouvelle sur les phrasés, la scansion ou la vocalité.
Entre Verdi et Borel, on se perd un peu mais n’est-ce pas l’intérêt de la revisite ? Revenir, redécouvrir et s’interroger. L’œuvre est bousculée, le spectateur aussi, la représentation est un succès.
Les interprètes sont à la hauteur de l’enjeu. Déborah Salazar est une Violetta Valéry jeune et volontaire aussi à l’aise dans la légèreté que dans le drame. Davide Tuscano est un magnifique Alfredo Germont à la ligne bien conduite et aux aigus assurés. Le Giorgio Germont de Yosif Slavov à la couleur et la patte des grands titulaires du rôle.
Xinhui Wang au piano, Mathilde Vervliet à harpe, Jan Myslikovjan à l’accordéon et Louise Jégou aux percussions sont aussi investis musicalement que théâtralement.
Au final, cette Traviata revisited met à mal les habitus opératicus du spectateur. Il en avait peut-être bien besoin…
Violetta Valéry : Déborah Salazar
Alfredo Germont : Davide Tuscano
Giorgio Germont : Yosif Slavov
Xinhui Wang, piano
Mathilde Vervliet, harpe
Jan Myslikovjan, accordéon
Louise Jégou, percussions
Eddy Garaudel, mise en scène et costumes
Georgia Tavares, scénographie et lumières
Marie-Lys Navarro, régie générale
La Traviata revisited , d’après l’opéra de Verdi.
Lise Borel, composition et arrangements
Opéra national de Bordeaux, représentation du samedi 3 février 2024.