Séisme sous contrôle à l’Opéra Comédie de Montpellier
Séisme, Opéra Comédie de Montpellier, 10 février 2024
Séisme est une création collective d’Ar Guens (poète), Alex Ho (compositeur) et de Franciscka Éry (metteuse en scène), commande de l’Opéra national de Montpellier en 2024. Elle propose un spectacle d’immersion sonore et sensorielle pour le public. L’alerte pour l’action climatique y est saisie à bras-le-corps.
La tectonique des médias dans un opéra numérique
À l’Opéra-Comédie, bienvenue dans l’âge numérique de l’opéra avec la création mondiale de Séisme ! Imaginée et produite par la jeune génération en résidence à l’Opéra de Montpellier, l’œuvre collaborative du trio constitué par Franciska Éry (concept et mise en scène), Ar Guens Jean Mary (poésie) et Alex Ho (musique) fait suite à leur premier opus, Etape par étape (2021). Avec Séisme, ils s’entourent d’autres médias – notamment vidéo (Kati Katona) et design sonore (Julien Guillamat) – pour fabriquer une expérience d’immersion totale avec le public au centre de leur installation. La conceptrice hongroise dit s’inspirer de « la dissection d’un séisme dans ses différentes étapes de formation et à l’utiliser comme structure pour créer une nouvelle expérience d’opéra interactive » (notes de programme).
Lors de chaque concert de rentrée, l’Opéra Orchestre national de Montpellier (OONM) invitait déjà son auditoire « Au cœur de l’orchestre », dispositif inclusif avec auditeurs et musiciens entremêlés sur le plateau de l’Opéra Berlioz. Pour Séisme, l’inclusion est plus radicale puisque le public en fraction réduite se trouve seul sur le plateau de l’Opéra-Comédie, face aux propositions musicales et théâtrales toutes enregistrées, diffusées les unes par une vingtaine de haut-parleurs, les autres (textes et vidéos) sur quatre écrans formant une matrice lumineuse. Celle-ci, tournante, désoriente le public, sciemment fragilisé. La 5e dimension, le sol – ici des copeaux de liège brûlé et odorant – permet de conscientiser les sensations dans l’hypothèse d’une planète en fin de vie. D’autant que les spectateurs, emmaillotés dans leur gilet SubPac, sont ponctuellement connectés aux vibrations de leurs pas (enregistrés par capteurs enterrés), tout en écoutant les vagues submersives du design sonore en sus des musiques enregistrées par les interprètes de l’Opéra de Montpellier. Sollicitée par des consignes sur écran, l’interactivité des participants.es consiste en déambulation, gestes tactiles au sol. Geste plus militant, leurs messages à la Terre, susurrés devant un micro, sont aussitôt médiés sur l’écran (par l’IA de l’école Epitech Montpellier). Ce travail d’équipe, bien coordonné, offre une expérience sensorielle non virtuelle au public afin de transmettre un message politique fort, dans le droit fil du théâtre musical des années 60 (Ligeti ou Aperghis). Dans Séisme, la dénonciation des conséquences de notre civilisation industrielle est un cri d’alarme pour l’anthropocène.
Une réalisation interdisciplinaire
Lorsque le message du poète haïtien Ar Guens Jean Mary devient un manifeste vibrant dans ses monologues de performeur (« Je suis … »), c’est son passé qui le guide. Avoir vécu le tremblement de terre de 2010 en Haïti. En évacuant la dimension scientifique ou journalistique du séisme, ses vers d’inspiration surréaliste interpellent les « Compagnons » de la terre pour agir lorsque mère Nature est violée « par le sexe des industriels ». Secouant nos éventuelles paresses, sa poésie éruptive secoue tout citoyen.ne, bien que certaines facilités de comparaison ou de métaphore outrepassent les figures de style. Le pamphlet est également mis en musique par le compositeur sino-britannique Alex Ho. Ce dernier mise sur la diversité des langages au fil des prestations enregistrées faisant intervenir une fraction des phalanges de la maison : Chœur de l’Opéra national de Montpellier, Opéra Junior, dix musiciens de l’OONM. Au lyrisme solennel du chœur introductif et du solo de baryton basse (Albert Alcaraz) se substituent les phases chaotiques d’un instrumentarium inédit : 4 contrebasses et 3 trombones qui cultivent le glissando, et des percussions, soit peaux soit scintillantes. Le solo amplifié de la soprano coréenne Hwanyoo Lee renoue subtilement avec l’esthétique de la vocalité d’opéra. Si l’écriture devient ludique pour l’intervention du chœur d’enfant, cette parenthèse musicale n’éteint pas pour autant la virulence du message, véhiculé par la génération qui grandira sous les désordres planétaires. Quant à la simplicité chorale de la séquence finale – le plus souvent monodique et a cappella – elle semble rejoindre l’esprit des thrènes de l’Antiquité. L’amalgame de ces médias produit un spectacle intrigant de 45 minutes qui apostrophe indéniablement le spectateur, mais sans l’émotion que génère le spectacle vivant. Reste à savoir si une telle production – 20 séances de 40 personnes ces 10/11 février – est un modèle économique pour l’avenir des maisons d’opéra …
Quoiqu’il en soit, sous l’impulsion de Valérie Chevalier (directrice de l’OONM), le public occitan est sensibilisé aux nouveaux récits d’opéra, imprégnés de préoccupation environnementale depuis l’incomparable création Like Flesh de Sivan Eldar & Cordelia Lynn, dans la mise en scène de Silvia Costa (février 2023). Et sans omettre le militantisme d’Opéra Junior dans Climat de Russell Hepplewhite et Helen Eastman.
Hwanyoo Lee, soprano
Albert Alcaraz, basse
Ar Guens Jean Mary, voix parlée
Musiciens de l’Orchestre national de Montpellier, choristes de l’Opéra national de Montpellier et d’Opera Junior
Lumières : Mathieu Cabanes
Mapping vidéo : Kati Katona
Design sonore : Julien Guillamat
Illustrations : Kiihwan Lim
Traductions : Natasha Lehrer
Webmaster : Audrey Brahimi
Séisme
Opéra immersif et interactif en création mondiale, de Franciska Éry (concept et mise en scène), Alex Ho (musique) et Ar Guens Jean Mary (livret).
Opéra Comédie de Montpellier, représentation du samedi 10 février 2024.