Turin, La fanciulla del West, 22 mars 2024
Comme pour sa Tosca de Macerata en 2022, Valentina Carrasco propose une mise en scène « cinématographique » de La fanciulla de West au teatro Regio de Turin.
Arturo Toscanini, qui en avait dirigé la première à New York en 1910, avait qualifié cette œuvre de « poème symphonique de Puccini ». De fait,la musique déployée par le compositeur dans La fanciulla del West est opulente, presque trop par rapport à l’histoire racontée dans le livret et l’on est tellement transporté par la musique et captivé par l’orchestration raffinée que les interventions banales des mineurs se lamentant sur leur état et pleurant leur mère lointaine en deviennent presque gênantes.
Dans son désir incessant d’ « innover dans le style », Puccini a cherché, après Madama Butterfly, de nouvelles voies qui l’ont conduit au projet inhabituel de La Fanciulla et, plus tard, de La rondine, une « bande-son » dans le premier cas, une « opérette » dans le second. Même le Trittico qui suivra, sans être pour autant « expérimental », correspondra à quelque chose d’inédit pour le musicien. La Fanciulla fait entendre une musique somptueuse qui, au deuxième acte, ne craint pas de rappeler le suspense de la fusillade dans Tosca, tandis qu’au troisième acte, le plaidoyer de Minnie pour son Dick semble presque citer « N’est-ce plus ma main que cette main presse ? » de l' »autre » Manon, celle de Massenet. Puccini était un musicien attentif à la culture musicale de son époque, avec notamment une attention particulière à Strauss et Debussy, et dans Fanciulla cette ouverture aux autres musiciens est tout à fait évidente.
Mais le problème reste celui d’une œuvre se distiguant des autres par l’absence d’élans mélodiques sensuels auxquels Puccini avait habitué son public, prenant appui sur un livret quelque peu ingénue de Carlo Zangarini (retravaillé ensuite par Guelfo Civinini), qui n’atteint pas le degré de qualité de ceux d’Adami, de Forzano et surtout d’Illica & Giacosa. La fanciulla del west reste l’un des opéras les moins appréciés de Puccini. Je me dis, à chaque nouvelle représentation, que je changerai peut-être d’avis… mais cela n’a toujours été le cas cette fois-ci. Non pas en raison de l’interprétation, mais parce qu’il faudrait quelque chose de vraiment spécial pour que le miracle se produise… et cela n’a pas été le cas avec cette production du Teatro Regio.
La direction de Francesco Ivan Ciampa met en valeur la superbe orchestration et le ton dramatique de l’histoire, mais souligne également son caractère de « bande-son », avec une musique toujours au premier plan et des chanteurs souvent couverts par les instruments, soit en raison de l’acoustique imparfaite de la salle et du décor, soit en raison de la qualité des voix. La soprano américaine Jennifer Rowley est celle qui souffre le plus du volume orchestral : le timbre est beau, mais la projection et les aigus sont perfectibles. Le Dick de Roberto Aronica est au contraire très sonore, sûr dans les aigus mais avec une déclamation de stentor qui nuit au charme du personnage. Le baryton Gabriele Viviani évoque efficacement le caractère détestable de Jack Rance, tandis que dans le grand groupe des comprimari, le Nick de Francesco Pittari et l’Ashby de Paolo Battaglia se distinguent par d’incontestables qualités vocales et scéniques. Filippo Morace abandonne les rôles comiques habituels du théâtre napolitain pour esquisser le personnage le plus humain de toute l’histoire, Sonora. Des voix expérimentées et d’autres issues de l’école Regio Ensemble complètent la distribution : Gustavo Castillo (Wallace), Cristiano Olivieri (Trin), Eduardo Martínez (Sid), Alessio Verna (Bello et Harry), Enrico Maria Piazza (Joe), Giuseppe Esposito (Happy), Tyler Zimmerman (Larkens), Adriano Gramigni (José Castro) et Alejandro Escobar. Ksenia Chubunova incarne Wowkle, le personnage de la squaw dont le langage fait de verbes à l’infinitif et de Ugh ! fait se lever même ceux qui ne supportent pas le politiquement correct – et la metteuse en scène fait ironiquement entrer Billy sur scène en brandissant la pancarte « Native Lives Matter » (les vies indigènes comptent) !
Sur l’affiche de la première au Metropolitan Opera House de The Girl of the Golden West – Minnie était alors Emmy Destinn, Dick Enrico Caruso et le chef d’orchestre Arturo Toscanini – un régisseur, un chef de chœur et un directeur technique sont mentionnés, mais pas le metteur en scène, comme c’était l’usage à l’époque. Aujourd’hui, les metteurs en scène ont bien sûr toute leur place dans la réalisation du spectacle et les noms de Valentina Carrasco (metteuse en scène), Carles Berga et Peter van Praet (décors), Silvia Aymonino (costumes) et Peter van Praet (lumières) figurent en toutes lettres à côté de ceux des interprètes sur scène. La metteuse en scène originaire de Buenos Aires sous-tend toujours ses spectacles d’une idée forte : cette Fanciulla est présentée comme la reprise d’un film de western. Le saloon où les mineurs se rafraîchissent après un dur labeur et la cabane de Minnie sont des décors isolés dans le dépouillement de la scène transformée en plateau de tournage où apparaissent des caméras, un metteur en scène et quelques assistants. L’idée n’est pas des plus originales – la metteuse en scène l’avait elle-même déjà utilisée dans sa Tosca à Macerata – mais elle se justifie par la fascination de Puccini pour la nouvelle muse qui, dans ces années-là, a produit d’innombrables films sur l’épopée de la « ruée vers l’or » dans l’Ouest américain, même si Carrasco pense aux « westerns spaghetti » et aux films de Sergio Leone plutôt qu’aux lointains films muets et en noir et blanc. Robert Carsen avait également utilisé une lecture cinématographique dans sa production à la Scala, mais avec des résultats plus convaincants. Dans le spectacle de Carrasco, les images sont projetées sur un écran qui descend des cintres et sont filmées en temps réel, parfois pour mettre en valeur les gros plans des personnages ou pour nous faire vivre l’histoire d’un point de vue différent, comme celui de Dick qui se cache dans la cabane de Minnie à l’arrivée du shérif Jack. L’expédient, cependant, n’est pas utilisé de la meilleure façon possible, l’utilisation des caméras n’a pas de logique claire et les interprètes du « film » se confondent avec ceux de la « réalité » de l’œuvre, comme lorsque le réalisateur participe également à la collecte pour Larkens ou lorsque la recherche du bandit n’est pas seulement effectuée par des mineurs armés de fusils mais aussi par les conducteurs de train avec leurs marteaux, en manches de chemise dans la neige…
Dans l’acte II, le procédé est plus efficace, avec son opposition intérieur-extérieur et la chute de neige, les flocons blancs dispersés d’en haut et le grand ventilateur. Le troisième acte est encore meilleur lorsqu’il nous montre le couple prête à s’engager sur la voie d’un avenir plus serein, avec une citation de la célèbre fin des Temps modernes de Charlie Chaplin.
Après les derniers applaudissements, le générique du film que nous avons regardé en direct défile. Et les applaudissements se font chaleureux pour tous les artistes.
Minnie : Jennifer Rowley
Jack Rance : Gabriele Viviani
Dick Johnson (Ramerrez) : Roberto Aronica
Nick : Francesco Pittari
Ashby : Paolo Battaglia
Sonora : Filippo Morace
Trin : Cristiano Olivieri
Sid & Billy Jackrabbit : Eduardo Martínez
Bello : Alessio Verna
Harry : Enzo Peroni
Joe : Enrico Maria Piazza
Happy : Giuseppe Esposito
Larkens : Tyler Zimmerman
Wowkle : Ksenia Chubunova
Jake Wallace : Gustavo Castillo
José Castro : Adriano Gramigni
Un postiglione : Alejandro Escobar
Orchestre et chœur du Teatro Regio Torino, dir. Francesco Ivan Ciampa
Chef de chœur : Ulisse Trabacchin
Mise en scène : Valentina Carrasco
Décors : Carles Berga & Peter van Praet
Costumes : Silvia Aymonino
Directeur de la photographie : Gianluca Mamino
Lumières : Peter van Praet
Assistant à la mise en scène : Lorenzo Nencini
Assistante décors : Chiara La Ferlita
Assistante costumes : Agnese Rabatti
La fanciulla del West
Opéra en 3 actes de Giacomo Puccini, livret de Guelfo Civinini et Carlo Zangarini, d’après le drame de David Belasco, créé à New York en 1910.
Turin, Teatro regio, représentation du vendredi 22 mars 2024.