À Marseille, des Noces de Figaro galvanisées par Michele Spotti

Hélène Carpentier, Eléonore Pancrazi et Michele Spotti, dans une mise en scène surréaliste voire loufoque, triomphent dans Les Noces de Figaro à l’Opéra de Marseille le mercredi 24 avril 2024.

Les Noces sont données à l’Opéra de Marseille en avril, mais les amoureux de Mozart ont de la chance : ils pourront assister à une autre version en juillet à Aix-en-Provence. L’œuvre, l’une des plus souvent représentées au monde, est régulièrement donnée en Provence. L’opera buffa fut créé en 1786 sur un livret de Lorenzo Da Ponte d’après la comédie de Beaumarchais.

L’action se passe à Séville : Figaro, le valet du comte Almaviva, et Suzanna, la camériste de la comtesse, préparent leurs noces. Mais le comte a des vues sur la future mariée… Figaro et Susanna, aidés de la comtesse, vont devoir déjouer les manigances du comte, ainsi que celles de Marcellina, du docteur Bartolo et du maître de musique Basilio ; quant au jeune page amoureux de la comtesse, Chérubin, il multiplie les maladresses. Ainsi se déroule cette folle journée pleine de rebondissements.

La mise en scène de Vincent Boussard est assez réussie, avec des trouvailles et des effets intéressants, mais parfois déroutants voire hermétiques. Par exemple, les chœurs sont placés en hauteur, en fond de scène, derrière le décor, comme s’ils regardaient ce qui se passe sur scène, habillés à la vénitienne, emplumés (à la manière d’un chœur antique qui commente sans véritablement participer à l’action), alors que les personnages sur scène ont des costumes plus modernes, hétéroclites, symbolisant l’intemporalité du sujet. Que ce soit pour les décors signés Vincent Lemaire ou les lumières de Bertrand Couderc, il est certain que le plaisir était grand de contribuer à une adaptation surréaliste, presque fantasmagorique.
Au lever de rideau du premier acte, des objets très variés s’entassent ; on a l’impression d’un vide-grenier, peut-être s’agit-il du trousseau que la future mariée apporte en dot ? Le comte donne un local à Figaro, censément entre la chambre du son maître et celle de la comtesse, afin que lui-même ou Suzanna se rendent chez l’un ou chez l’autre. Dans cet esprit, il y a peut-être une métaphore filée avec l’entassement des temporalités suggérées par les costumes de toutes époques.
Certains objets ou situations sont difficilement compréhensibles. Ainsi, dans le jardin du comte, un renard et un faisan (empaillés ?) sont accrochés à des panneaux… Don Curzio se retrouve sur une échelle avec un masque d’oiseau, bégayant une sorte d’air à la Papageno (acte III) qui ne figure pas comme tel dans la partition ; normalement, il ne chante que dans le sextet (n°18) si souvent cité pour décrire la modernité de cet opéra. Une tête de lapin énorme en peluche gît aux côtés de Chérubin et de Barberine en train de chercher la fameuse épingle…  Est-ce symbolique ? Le public ne le perçoit pas immédiatement, voire jamais.
L’ensemble est très noir et blanc, que ce soit les costumes ou les décors. De ce fait, les bouquets colorés lors du mariage, par exemple, ressortent particulièrement. (Nous regrettons que le ballet soit supprimé, sûrement pour des raisons budgétaires, l’œuvre étant connue aussi pour le ballet décrivant le mariage villageois ; d’où son titre : les Noces...)  

Deux chanteuses nous ont coupé le souffle. Nous avons apprécié en premier lieu Chérubin, incarné par la mezzo-soprano Eléonore Pancrazi, que nous entendons souvent à Marseille, et qui à chaque fois nous charme par la beauté de son timbre et la subtilité de ses interprétations. Comme cela se pratique dans le chant baroque, elle agrémente le da capo (la reprise du début de l’air) d’ornements raffinés qui donnent un air de nouveauté à cette pièce si connue. La voix est très ronde, puissante et sûre, à la hauteur de son jeu de scène, absolument excellent. Elle campe un Chérubin très crédible, un adolescent ayant grandi trop vite, emprunté dans ses mouvements, maladroit : elle est Chérubin.
La soprano Hélène Carpentier, en robe noire et petit col blanc, collant bleu-vert, très sage, prend le rôle de Suzanne (contraste paradoxal, certainement, car cette dernière n’est pas si sage en réalité…). Elle aussi ornemente son deuxièment air « Deh vieni non tardar… » (acte IV). La cantatrice française est parfaite : c’est la voix la plus puissante, la plus sonore, la plus homogène de la soirée, au timbre magnifique. 
Le Figaro de Robert Gleadow, baryton basse, arbore un pantalon et une chemise noirs, avec un gilet à fleur. Au début de l’air « Se vuol ballare… » (acte I), le premier fa aigu n’est pas parfait, peut-être en raison du trac – il se donne pour la première fois à Marseille –, mais par la suite, sa très jolie voix  gagne en assurance et en plénitude, bien soutenue par un jeu scénique extraordinairement expressif, servi par une diction parfaite : quel comédien idéal pour l’opéra bouffe !
La célèbre soprano Patrizia Ciofi, qui incarne Comtesse, accuse, dans son grand air « E Suzanna non vien » (acte III), un très léger voile sur la voix : cela donne l’impression qu’elle n’est pas possession de tous ses moyens ce soir (peut-être était-elle un peu souffrante car elle nous a habitués à beaucoup plus d’éclat). En revanche, ses notes pianissimi sont magnifiques, à l’instar de sa technique vocale.
Le Comte Almaviva Jean-Sébastien Bou, baryton, se fond dans un rôle très aristrocratique ; sa voix souple est mise en valeur dans les vocalises de son air superbe « Vedro, mentre io sospiro… » (acte III).
Mireille Delunsch, mezzo-soprano, campe avec subtilité une Marcellina voulue quelque peu vulgaire par la mise en scène. Son interprétation toute en nuances oscille entre effets comiques et dramatiques apportant fraîcheur et drôlerie.
La Barberine d’Amandine Ammirati, soprano, apparaît au début de l’acte IV ; elle offre une très belle scène avec Chérubin. Son air « L’ho perduta » qui ouvre l’acte est servi par une voix au timbre pur et cristallin.
Toute la distribution a contribué avec efficacité à cette représentation réussie : il faut citer également Frédéric Caton en Bartolo,  Raphaël Brémard en Don Basilio,  Renaud Delaigue en Antonio.

L’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Marseille, dirigés de façon très enlevée et dynamique par Michele Spotti – dans le sillage de Mozart, espiègle et joueur –, a participé à insuffler l’esprit de commedia qui traverse également la mise en scène. Emporté dans ce tourbillon, les effets comiques se multipliant, le public rit franchement – un merci également au surtitrage –, ce qui est assez rare à l’opéra. Servi par une distribution de grande qualité, un tel cocktail musico-dramatique conduit invariablement au succès.

Les artistes

La Comtesse : Patrizia CIOFI
Suzanne : Hélène CARPENTIER
Chérubin : Eléonore PANCRAZI
Marceline : Mireille DELUNSCH
Barberine ; Amandine AMMIRATI
Le Comte Almaviva : Jean-Sébastien BOU
Figaro : Robert GLEADOW
Bartolo : Frédéric CATON
Don Basilio : Raphaël BRÉMARD
Antonio:  Renaud DELAIGUE
Don Curzio : Carl GHAZAROSSIAN

Mise en scène et costumes : Vincent BOUSSARD
Décors : Vincent LEMAIRE
Lumières : Bertrand COUDERC

Le programme

Le nozze di Figaro

Opera buffa en quatre actes de W.A Mozart, livret de Lorenzo da Ponte d’après Beaumarchais, créé à Vienne en 1786

Opéra de Marseille, représentation du mercredi 24 avril 2024.