Quand le rideau se lève sur cette reprise de Salomé vue par Lyda Staier (qui sera de nouveau à l’affiche en juin prochain pour La Vestale), le mot qui nous vient est celui d’Hérode pour qualifier sa fille à la fin de l’opéra : monstrueux. Passons donc sur ce spectacle déjà analysé Passons donc sur ce spectacle déjà analysé en nos colonnes par Laurent Bury, mais redisons cependant que la danse des 7 voiles transformée en viol collectif avec simulation d’orgasmes et de pénétrations telles que Salomé en ressort la robe en lambeaux et couverte de sang est au-delà de la nausée. R revenons à l’essentiel, la musique et le chant. Et sur ces deux registres nous sommes comblés.
Salomé c’est Lise Davidsen, soprano norvégienne, très attendue sur ce rôle – et que Paris retrouve avec bonheur après son récital de Gaveau en octobre 2022, qui avait laissé le public pantois d’admiration. Lauréate des Opera Awards, elle est bizarrement absente des scènes lyriques françaises malgré ses triomphes à Londres, Bayreuth et notamment Elektra à New York en 2022. Familière de Strauss, elle est ici exceptionnelle en Salomé, d’autant plus méritante au vu ce que lui imposent les délires de la metteuse en scène. Elle parcourt ce rôle écrasant sans faiblir avec une aisance phénoménale des graves aux aigus en gardant la même puissance vocale et le sens de la diction. La façon dont elle module sa voix dans la scène, où en enfant capricieuse, elle réclame à plusieurs reprises la tête de Jochanaan avec colère contenue suscite d’admiration. Tout aussi extraordinaire est cette scène finale, où suspendue à 20 mètres du plateau, elle exulte en une forme d’accomplissement vocal couvrant plus de cent musiciens. Triomphe au rideau final. Elle sera en juillet à l’affiche de La Dame de Pique à Munich.
Jochanaan est chanté par le baryton danois Johan Reuter, qui a déjà montré l’étendue de sa voix exceptionnelle à Paris, notamment dans le rôle-titre de Wozzeck en 2022 ou l’an dernier dans L’Affaire Makropoulos. Il possède et le physique, et la puissance vocale requis par ce rôle écrasant. La façon dont il se refuse à Salomé en prononçant de façon lente et posée ce seul mot « niemals » (Jamais) dans un murmure qui glace le sang nous donne des frissons, provoquant dans la salle un mouvement qui ne trompe pas. Tout aussi impressionnante est, quelques minutes plus tard, la malédiction qu’il jette sur Salomé : « Du bist verflucht ! ». Voilà assurément un grand Jochanaan qui fera date, et qu’on a hâte de le revoir sur scène.
Le ténor allemand Gerhard Siegel est un habitué des scènes parisiennes, où il fut, entre autres, Mime en 2020, ou encore Aegisth en 2022. Le voilà donc à nouveau, roi, époux concupiscent et libidineux de la reine Herodias. Il fait preuve d’une grande expressivité sonore malgré le jeu incohérent qui lui est imposé, ce qui lui permet par son lyrisme et sa force vocale d’emplir aisément toute la salle de sa voix puissante.
Ekaterina Gubanova est elle aussi une habituée des scènes parisiennes ; on se souvient notamment de sa formidable Brangaene sur cette même scène en 2018. Elle assure le rôle d’Herodias mère de Salomé après Karita Mattila l’an dernier. Il est malheureusement difficile de se concentrer sur cette voix belle et puissante. Pourquoi avoir transformé ce personnage en vulgaire mère maquerelle affublée d’une paire de faux seins qui se font caresser ? On retiendra surtout la maîtrise de son vibrato et sa facilité à projeter les aigus. Ses dialogues avec Salomé, ou Hérode sont très bien équilibrés, même si l’obligation de bouger sans arrêt sur le plateau n’est pas idéale pour la projection de sa voix : un problème que son métier, heureusement, vient vite compenser.
Le ténor slovaque Pavel Breslik, ténor slovaque (excellent Tamino sur cette même scène en 2017), est un fort honorable Narraboth , même s’il montre de légers signes de fatigue en cours de soirée avec une légère baisse de puissance. Il faut reconnaître que le costume complet de CRS avec harnachement, casque , masque à gaz et mitraillette n’aide pas !
La contralto Katharina Magiera, reprend le rôle du page qu’elle avait déjà tenu. La voix est fort belle tout comme la diction.
Le duel entre les rabbins sur l’existence d’Elie est un peu en deçà, au vu de la puissance inégale des cinq voix dont certaines n’arrivent manifestement, pas à couvrir l’orchestre, tandis que les autres roles sont fort convenablement tenus.
Le britannique Mark Wigglesworth officie dans la fosse d’orchestre. Tous les pupitres sont comme à l’accoutumée excellents. Peut-être maque-t-il cependant un je ne sais quoi (une étincelle impulsée par le chef ?) qui aurait pu les rendre exceptionnels.
Au final, ne serait-ce que pour Lise Davidsen, cette soirée est à marquer d’une pierre blanche.
Salome : Lise Davidsen
Jochanaan : Johan Reuter
Herodes : Gerhard Siegel
Herodias : Ekaterina Gubanova
Narraboth : Pavol Breslik
Page der Herodias : Katharina Magiera
Erster Jude : Matthäus Schmidlechner
Zweiter Jude : Éric Huchet
Dritter Jude : Maciej Kwaśnikowski
Vierter Jude : Tobias Westman
Fünfter Jude : Florent Mbia
Erster Nazarener : Luke Stoker
Zweiter Nazarener : Yiorgo Ioannou
Erster Soldat : Dominic Barberi
Zweiter Soldat : Bastian Thomas Kohl
Ein Cappadocier : Alejandro Baliñas Vieites
Ein Sklave : Ilanah Lobel-Torres
Orchestre et chœurs de l’Opéra de Paris, dir. Mark Wigglesworth
Mise en scène : Lydia Steier
Décors et vidéo : Momme Hinrichs
Costumes : Andy Besuch
Lumières : Olaf Freese
Dramaturgie : Maurice Lenhard
Salome
Drame en un acte de Richard Strauss, livret du compositeur d’après Oscar Wilde, créé le 21 novembre 1901 à la Semperoper de Dresde.
Opéra National de Paris Bastille, représentation du jeudi 9 mai 2023.