LA BOHÈME investit le grand plateau de l’Opéra Berlioz à Montpellier

La bohème, Opéra Berlioz/Le Corum (Montpellier), mercredi 22 mai 2024.

À l’Opéra Berlioz de Montpellier, l’année Puccini est fêtée avec une mise en scène « cabaret 1930 » de La Bohème. Sous la baguette de Roderick Cox, futur directeur musical de l’Opéra Orchestre national, l’émotion amoureuse et le panache de l’acte chez Momus sont au rendez-vous.

Amours et jeunesse

« Che gelida manina ! Se la lasci riscaldar » (Que cette petite main est froide ! laissez-moi la réchauffer) chante l’étudiant Rodolphe à sa voisine de mansarde, Mimi la brodeuse. La metteuse en scène Orpha Phelan choisit adroitement ce référent des mains qui parcourt la trame narrative des Scènes de la vie de bohème d’H. Murger, source de l’opéra culte de Giacomo Puccini. Car il symbolise leur vécu, amoureux autant que social, via cet air iconique. Mimi figure d’ailleurs en photo sur le rideau de scène, ses mains de brodeuse apposées sur une vitre brisée (impact de la maladie ? de la pauvreté ?). Au fil des 4 actes, fidèlement contés d’après les didascalies du livret, cette thématique est exploitée par diverses gestuelles sur le large plateau de l’Opéra Berlioz. Des mains tactiles de jeunes couples – Mimi/Rodolfo, Musetta/Marcello – jusqu’aux mains fébriles sous le manchon de la jeune grabataire, le cycle de vie se consume. Entre temps s’agitent les bras et mains du peuple au réveillon et celles de l’effeuilleuse Musetta (2e acte). Grâce à la panoplie de costumes 1930, tout l’imaginaire de l’entre-deux-guerres est décliné dans les tableaux alternativement burlesques (le quatuor d’étudiants,1er acte), pittoresque (Chez Momus), réaliste sous la neige (3e acte) et tragique lors de la mort de Mimi entourée de ses amis.es (4e acte). Pour englober ces tableaux aux éclairages « cinéma des années 30 » (lumières de Matt Haskins), le dispositif scénographique modulable (Nicky Shaw) est très architecturé sans évoquer précisément l’urbanisme haussmannien. Des façades d’arcatures en ligne de fuite suggèrent les grands ateliers de peintres et étudiants affluant à Paris après la Grande guerre. Les mêmes arceaux du bas accueillent les tables et le podium du cabaret, devant lequel l’espace extérieur est foulé par le peuple joyeux. A contrario, cet espace quasi désertifié d’un petit matin hivernal devient l’octroi parisien, planté de réverbères à la Prévert. Si l’espace de la mansarde (1er et 4e actes) est recadré par divers accessoires pour festoyer et travailler (dont un cadre du peintre Marcello, requis pour chaque air de Rodolfo, de Mimi), et plus tard vidé pour pointer la pauvreté estudiantine, est-ce suffisant pour véhiculer l’intimité des sentiments ? Celle des émotions amoureuses, puis de la bouleversante agonie de Mimi …

En revanche, ce qui caractérise le travail au plateau, c’est la mobilité de jeu pour chaque rôle et chaque collectif, en écho à l’audacieuse mouvance de la partition. Deux réussites absolues, à la manière d’un Jean Renoir : d’une part la scène quasi chorégraphiée des étudiants potaches, rejoints par le concierge blousé ; l’effervescence du réveillon chez Momus d’autre part. La masse d’enfants trépidants (Opéra Junior) s’entremêle aux gesticulations des fêtards (le chœur) autour des marchands de bouche. Les ballons rouges distribués par Parpignol englobent le couple amoureux avant la suspension magique qu’offre le numéro glamour de music-hall : Musetta en frac masculin et haut de forme, à l’instar de Colette ou de Marlène.

Une distribution homogène sous la baguette de R. Cox

Dans l’Opéra Berlioz rempli, l’irrésistible générosité lyrique et orchestrale de Puccini emballe le public. D’autant que cette soirée tendance affiche une jeune distribution internationale pour le 3e et dernier opéra de la saison montpelliéraine. Et la présence en fosse de Roderick Cox, le chef étasunien qui prendra ses fonctions de directeur musical de l’OONM n’est pas le moindre attrait de la production made in Irish National Opera.  

L’orchestration rutilante ou transparente de Puccini, les ruptures tranchantes de tempi sont totalement maîtrisées par l’Opéra Orchestre national de Montpellier Occitanie en grande forme sous sa baguette. La recherche de couleurs pourrait cependant être plus nuancée. Le Chœur de l’Opéra national de Montpellier (Noëlle Gény) assure d’honnêtes prestations, y compris en coulisse tandis que le chœur d’enfants (Noëlle Thibon), d’une jolie vocalité, bouscule à peine ses attaques le soir de première.

Le casting du couple Mimi/Rodolfo est parfaitement assorti :  aigus rayonnants et ampleur puccinienne. Généreusement conduite chez la soprano polonaise Adriana Ferfecka, la ligne de chant s’affirme depuis l’air poétique et sensible de la timide brodeuse (« Mi chiamano Mimi ») vers le bouleversant duo avec Marcello (3e acte) et les accents sobrement maladifs de son agonie. Le ténor Long Long affiche une belle ardeur dans l’air iconique cité (aigus triomphants tenus) mais accuse des problèmes de justesse dans certains ensembles. Leur duo du 3e acte résonne avec une tendre volupté dans l’écriture puccinienne caressante qui les caractérise. Tout en les opposant aux canailleries du couple orageux.

Ce couple Musetta/ Marcello est d’une constante excellence vocale. Lorsque Mikołaj Trąbka campe un Marcello tour à tour trublion (voix de tête lors du déguisement en demoiselle) et profondément humain, ses qualités de timbre, d’élocution et son entregent y contribuent. Déjà entendue à Montpellier dans Gilda (Rigoletto) et Norina (Don Pasquale), la soprano russe Julia Muzychenko sculpte adroitement les méandres capiteux de sa valse (« Quando me vo soletta ») sans omettre l’expressivité solidaire dans l’adversité (4e acte). Les barytons-basses Dominic Sedgwick, (Schaunard) et Dongho Kim (Colline) sont de parfaits comparses de jeu et de chant au vu du travail abouti des ensembles (notamment les deux quatuors d’étudiants). Signalons les beaux graves déployés par le philosophe Colline dans l’air du paletot (4e acte). Les comprimari s’intègrent par la justesse de leurs prestations, tel le Parpignol véhément de Hyoungsub Kim, alors que la vocalité de Yannis François (Benoît, Alcindor) est mineure.

Lorsque le public acclame ce beau collectif de La Bohème, il semble garder en mémoire l’ardeur joyeuse du final de l’acte chez Momus, un hymne vibrant à l’amour, la jeunesse et au quartier latin. Prochaines représentations à l’Opéra Berlioz : vendredi 24 mai à 20 h, dimanche 26 mai à 17 h.

Les artistes

Mimì : Adriana Ferfecka 
Musetta : Julia Muzychenko
Rodolfo : Long Long
Marcello : Mikołaj Trąbka
Schaunard : Dominic Sedgwick
Colline : Dongho Kim
Benoît, Alcindoro : Yannis François
Parpignol : Hyoungsub Kim
Le sergent : Jean-Philippe Elleouët
Le douanier : Laurent Sérou

Orchestre national de Montpellier, dir. Roderick Cox
Chœur de l’Opéra Orchestre national de Montpellier, dir. Noëlle Gény 
Chœur d’Opéra Junior, dir. Noëlle Thibon

Mise en scène : Orpha Phelan
Décors et costumes : Nicky Shaw
Lumières : Matt Haskins
Chorégraphie : Muirne Bloomer

Le programme

La Bohème 

Opéra en quatre tableaux de Giacomo Puccini, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d’après le roman de Henri Murger Scènes de la vie de bohème, créé le 1er février 1896 au Teatro Regio de Turin.
Opéra Berlioz/Le Corum (Montpellier, représentation du mercredi 22 mai 2024.