À Florence, dans le cadre du 86e Festival del Maggio Musicale Fiorentino, a été créée une nouvelle mise en scène de Tosca de Giacomo Puccini, bien accueillie par le public qui, lors de la première le 24 mai, a occupé toutes les catégories de places de la grande salle du Teatro del Maggio ; à la tête de l’Orchestre, du Chœur du Maggio et celui d’enfants de l’Académie du Maggio officiait Daniele Gatti.
L’objectif déclaré du metteur en scène Massimo Popolizio était d’éliminer la majesté baroque en la remplaçant par une « majesté moderne » ; il transporte ainsi l’histoire de 1800 aux années 1930, en s’inspirant, pour le décor, de l’urbanisme romain classique avec des éléments du rationalisme italien, sans toutefois s’aventurer dans des solutions étranges : ce qui se passe et se dit sur scène est en tout cas ce qui est écrit dans le livret (Napoléon reste Napoléon, Marengo reste Marengo…) ; le changement d’époque se ressent dans les décors de Margherita Palli, qui évoquent la Rome du quartier de l’EUR, conçu précisément dans les années 1930 (le fait que nous sommes à Rome est rendu explicite grâce à une inscription sur le faux mur de travertin qui fait office de rideau). Les environnements sont suggérés plutôt que recontruits.
Le point de départ de l’inspiration est le film Le Conformiste de Bernardo Bertolucci, qui se déroule en 1938. Les gestes de Tosca dans la première partie évoquent ceux d’une diva “des téléphones blancs[1]”, tandis qu’à partir du deuxième acte elle ressemble presque à une actrice dramatique du cinéma muet ; Popolizio accentue le côté fragile du personnage, qui dès le meurtre de Scarpia est (dans sa lecture) dominé par la folie. Le jeu des acteurs est très soigné : on peut sentir le travail acharné accompli pendant les répétitions.
Gatti donne à la partition une empreinte symphonique et des couleurs propres au XXe siècle ; l’Orchestre del Maggio le suit très bien et l’instrumentation peut être perçue jusque dans les moindres détails, avec des tempi parfois très dilatés qui mettent un peu les chanteurs en difficulté. Parmi ceux-ci, au premier acte, se distingue le puissant Scarpia d’Alexey Markov, qui, bien qu’étranger, possède une excellente diction, jusqu’à l’ouverture et la fermeture des voyelles selon les règles de l’italien standard (respectées à 100%, même parmi les locuteurs italiens, presque uniquement à Florence…) ; le baryton russe peut cependant encore travailler à affiner son expression, surtout lorsque le personnage se complexifie dans le deuxième acte. Vanessa Goikoetxea a une belle présence scénique et chante très bien ; sa voix n’a peut-être pas le poids ni la douceur attendus de Tosca, mais la soprano hispano-américaine compense avec une très bonne technique, dans une performance qui s’améliore entre le premier et le dernier acte. C’est précisément dans l’interprétation du troisième acte que Goikoetxea et Piero Pretti (Mario Cavaradossi) donnent le meilleur d’eux-mêmes.
Avant le début du spectacle (la première a eu lieu le 24 mai), il a été annoncé que Pretti chanterait malgré une indisposition ; si la maladie lui a enlevé un peu de son habituel sonorité de ténor lyrique léger (peut-être trop léger pour ce rôle que même le grand Alfredo Kraus trouvait fatigant ?), la technique lui a permis d’aller jusqu’au bout sans incident, s’attachant aux accents délicats et au raffinement expressif.
Le Chœur, le Chœur d’enfants et les seconds rôles ont également apporté pleine satisfaction : le Spoletta d’Oronzo D’Urso, l’Angelotti de Gabriele Sagona, le Sciarrone de Dario Giorgelé, le “pastorello” de Marta Sacco.
En fin de compte, on peut ou non être d’accord avec cette lecture, mais force est de constater qu’il s’agit d’un spectacle de très bon niveau, dont la plupart des spectateurs, à l’issue de la représentation, ont parlé en bien ! Le théâtre a également affiché complet pour la deuxième représentation et de nombreuses places ont été vendues (la galerie et les loges affichaient complet depuis longtemps) pour les trois représentations suivantes, lundì 3, jeudi 6 et samedi 8 juin.
[1] Le “cinéma des téléphones blancs” est un sous-genre cinématographique des comédies en vogue en Italie entre 1936 et 1943.
Floria Tosca : Vanessa Goikoetxea
Mario Cavaradossi : Piero Pretti
Scarpia : Alexey Markov
Cesare Angelotti : Gabriele Sagona
Le Sacristain : Matteo Torcaso
Spoletta : Oronzo D’Urso
Sciarrone : Dario Giorgelé
Un gardien : Cesare Filiberto Tenuta
Un berger : Marta Sacco
Orchestre du Mai musical florentin, dir. Daniele Gatti
Chœur du Mai musical florentin, dir. Lorenzo Fratini
Chœur de voix d’enfants de l’Académie du Mai musical florentin, dir. Sara Matteucci
Mise en scène : Massimo Popolizio
Décors : Margherita Palli
Costumes : Silvia Aymonino
Lumières : Pasquale Mari
Tosca
Opéra en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après la pièce de Victorien Sardou, créé au Teatro Constanzi à Rome le 14 janvier 1900.
Florence, 86ème festival du Mai musical florentin, représentation du vendredi 24 mai 2024.