TREEMONISHA de Scott Joplin à l’Opéra de Bordeaux. De grandes espérances.

L’Opéra de Bordeaux met à l’honneur l’emblématique opéra Treemonisha de Scott Joplin, mis en scène par Claire Manjarrès, dans le cadre de la « Commémoration de la journée des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions ». L’intention derrière cette production était noble et ambitieuse : lever le voile sur un pan souvent négligé de l’histoire de France tout en mettant en lumière une œuvre majeure du répertoire afro-américain et en explorant son pendant métaphorique.

La metteure en scène Claire Manjarrès a assurément investi une énergie considérable pour rendre justice à l’esprit de Joplin et sa note d’intention est un modèle du genre. Ses choix de mise en scène visent à tisser un lien entre les luttes du passé et les défis contemporains, offrant ainsi au public une réflexion poignante sur l’héritage de l’esclavage, les chemins vers l’émancipation et le rapport à l’altérité. La scénographie de François Menou, centrée autour de bottes de paille, si elle efface l’ancienne plantation d’esclaves où se joue l’intrigue originelle, permet de projeter le spectateur dans un espace aux lectures multiples où la paille sert de lien entre les états psychologiques des protagonistes. Les costumes de Marion Benagès tout en superpositions de vêtements symbolisent ainsi l’accumulation des expériences qui façonnent la personnalité mais effacent aussi parfois les individualités. Les chorégraphies de Laurianne Douchin apportent cette touche d’enthousiasme dansant que le sérieux des sujets abordés ici ne sauraient ôter à la musique aux riches influences de Scott Joplin. Cependant, malgré ces louables intentions, le résultat n’a pas tout à fait été à la hauteur des attentes. La mise en scène de Claire Manjarrès, bien que riche en symboles, manque parfois de clarté et de fluidité, certains tableaux semblant même diluer la force narrative de l’opéra. La représentation se déroule pourtant avec une énergie et une bonne humeur communicatives.

À la direction musicale, Salvatore Caputo, fidèle à lui-même, est attentif et précis tout au long de la soirée. Répondant toujours présent pour défendre les messages d’humanisme et d’espérance, il dirige un effectif instrumental réduit (un piano et quelques percussions) avec une justesse et une sensibilité remarquables, soutenant parfaitement les Chœurs de l’Opéra de Bordeaux et les solistes issus de cette même formation musicale. Sa gestuelle, à la fois énergique et nuancée, apporte une profondeur émotionnelle sans pareille à la musique de Joplin où percent déjà les accents des futures grandes comédies musicales américaines de Jérome Kern et George Gershwin.
Malgré les défis posés par la scénographie, Caputo réussit à maintenir une cohésion et une dynamique appréciables. Cependant, l’implantation du piano sous les bottes de paille, bien que visuellement intéressante, n’a pas totalement permis d’apprécier les qualités et la variété du jeu de Martin Tembremande. La participation marquante du percussionniste Alexis Duffeurre ajoute une texture rythmique essentielle enrichissant l’ensemble de la performance.

Les membres du Chœur de l’Opéra de Bordeaux démontrent une grande maîtrise vocale et un engagement émotionnel palpable. Leur interprétation des chœurs, véritables piliers de cette œuvre, a apporté une profondeur et une gravité bienvenues à cette histoire d’espoir et de résilience. Les solistes réussissent à transcender la partition de Scott Joplin et offrent des performances véritablement mémorables. Tous sont à citer mais saluons la prestation de Marjolaine Horreaux dans le rôle-titre.

Certes, cette production de Treemonisha à l’Opéra de Bordeaux, malgré des intentions louables et une exécution techniquement solide, ne réussit pas entièrement à capter l’essence vibrante et l’émotion brute de l’opéra de Scott Joplin : la mise en scène de Claire Manjarrès, bien qu’ambitieuse aurait gagné à être plus cohérente et percutante. Il convient cependant de saluer l’effort et l’audace de proposer une telle œuvre dans un cadre de commémoration, rappelant ainsi l’importance du souvenir, la nécessité de célébrer les luttes pour la liberté et la dignité humaine et la valeur culturelle et historique que représente cet opéra. L’engagement des artistes et de l’équipe de production mérite d’être salué et le public réserve un accueil plus qu’enthousiaste à cette représentation.

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Retrouvez Salvatore Caputo en interview ici !

Les artistes

Marjolaine Horreaux, Treemonisha
Amélie De Broissia, Monisha
Maria Goso, Lucy
Olivier Bekretaoui, Remus
Mitesh Khatri, Andy, Cephus
Loïck Cassin, Ned
Jean-Pascal Introvigne, Ludd
Pierre Guillou, Simon
Simon Solas, Parson Alltalk
Jean-Philippe Fourcade, Zodzedrick

Chœur de l’Opéra National de Bordeaux

Martin Tembremande, piano
Alexis Duffaure, percussions

Salvatore Caputo, direction
Claire Manjarrès, mise en scène
Marion Benagès, costumes
François Menou, scénographie et lumières
Lauriane Douchin, collaboratrice chorégraphique

Assistant à la direction musicale, Alexis Duffaure
Assistante mise en scène, Celeste Combes
Chef de chant, Martin Trembremande

Régie générale, Gabrielle Laviale
Régie de scène, Isabelle Théode

Le programme

Treemonisha
Opéra de Scott Joplin en 3 actes écrit en 1911, créé en 1972 au Morehouse College d’Atlanta.

Nouvelle production Opéra National de Bordeaux Dans le cadre de la Commémoration de la journée des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions.

Auditorium, Opéra de Bordeaux, vendredi 24 mai 2024, 20h