L’OLIMPIADE au TCE : Vivaldi dans une forme olympique !

Quelle soirée ! Tout commença dans un hommage partagé. Michel Franck, le directeur du Théâtre des Champs Élysées prit la parole pour évoquer la figure solaire de Jodie Devos. La soprano décédée le 16 juin, aurait du participer au spectacle de ce soir[1]. Le théâtre entier s’est levé, applaudissant très longuement sa mémoire. L’émotion était palpable.

Puis, place au spectacle. Car cette soirée fut un véritable spectacle,  tous azimuts, un feu d’artifice même. Pour ceux qui redoutaient la longueur des airs vivaldiens, la complexité d’un livret tortueux[2], il fallait bien rendre les armes. L’inventivité de la mise en scène d’Emmanuel Daumas emportait tout sur son passage, grâce à la scénographie ingénieuse d’Alban Ho Van comme à l’irrésistible chorégraphie de Raphaëlle Delaunay. Avec toutefois une première partie plus dynamique et plus réussie que la seconde – mais les changements d’atmosphère du livret y ont leur part.

On ne savait plus où donner de la tête et des oreilles. Ici des athlètes s’échauffant avec des rythmes de danse irrésistibles, là un acrobate, des fumées, des larves malfaisantes, une tourterelle éviscérée, de la poudre d’or…

https://youtu.be/3xVjUpCeqd8

Et des chanteurs qui s’envolent dans les airs ou amenés à prendre part à la danse, pas n’importe lesquelles puisque Jakub Józef Orliński démontrait que l’on peut phraser et vocaliser tout en effectuant des figures de breakdance sans que le souffle ne laisse rien paraître.

Dès l’ouverture, jubilatoire et contrastée, nerveuse, tendue, jouée comme un sprint totalement maîtrisé, Jean-Christophe Spinosi nous entraîne dans une épreuve olympique de haut vol. Son ensemble Mattheus, tout comme les chœurs, répondit au doigt et à l’œil aux intentions du chef. Du nerf, des couleurs variées, de la poésie aussi. De ce point de vue, un des grands moments de la soirée fut l’air d’Alcandro du 3e acte, Sciagurato, in braccro a morte, avec violoncelle seul, installé côte à côte dans le seul rai de lumière d’un plateau plongé dans l’obscurité. Pur moment suspendu. Tout s’arrête alors pour se concentrer sur les deux musiciens, Anastasia Baraviera, sublime violoncelliste, et Christian Senn, bouleversant.

Spinosi ne cesse de mettre en valeur les contrastes et de faire vivre intensément la partition. Il n’hésite pas à inventer, en tirant parfois des sons inattendus de son orchestre, les basses toujours en valeur, la contrebasse créant un univers sonore à elle seule, tout comme le registre de luth du clavecin qui nous surprend par des commentaires inattendus, décalés et subtils. Et puis il y a ce recours à une bande enregistrée d’orage ou de borborigmes. Nous sommes bien au théâtre, celui de l’émotion, de l’humour, du drame, de l’inventivité.

Les chanteurs sont au diapason de la réussite totale. Jakub Józef Orliński  rayonne en Licida, dans son grand air de douleur du 2e acte, « Gemo in un punto », mené à l’orchestre avec une fougue motorique en situation et plus encore dans « Mentre dormi », autre moment suspendu rendu impalpable grâce au tempo et à l’accompagnement de Jean-Christophe Spinosi. Sons filés, vocalises impressionnantes, beauté d’un timbre soyeux : du très grand art !

Le Megacle bodybuildé de Marina Viotti (quel costume !) n’est pas en reste et nous bouleverse dans « Se cerca, se dice » et nous ensorcèle avec « Lo seguitai felice ». La mezzo impressionne tout particulièrement dans son dernier air où, devenue « ange », elle s’envole dans les airs !
L’Aminta d’Ana Maria Labin incarne un personnage sombre, mi-sorcière, mi-deus ex machina avec un timbre profond et des vocalises impressionnantes. Prenant de l’assurance au fil de la soirée, la soprano nous donne deux autres grands moments avec « Son qual per mare ignoto « au 3e acte et plus encore avec « Siam navi all’onde algenti » en conclusion de la première partie.
La mezzo Caterina Piva donne à Aristea une sensualité touchante. Son « Sta piangendo… » du 2e acte, avec cor obligé, déroulait une ligne de chant claire, ductile, se riant des écarts de la partition comme de ses vocalises. Il faut un pouvoir de concentration tout particulier pendant l’air d’Aristea, un des clous artistiques de la soirée, car l’incroyable Quentin Signori nous ensorcèle par un époustouflant numéro de voltige dans les airs, attirant tous les regards et les acclamations.
Le beau timbre de contralto de Delphine Galou en Argene manque parfois de puissance, mais campe un personnage inoubliable de présence et de second degré, avec un costume antiquisant décalé signé Marie La Rocca.
Dans son premier air, « Del destin… », le Clistene de Luigi de Donato impose quant à lui des accents d’autant plus en accord avec le personnage que le chef les magnifiait par les cordes graves de l’orchestre.

C’est bien ce travail d’ensemble qui rend cette soirée foisonnante, dans le beau travail de lumières contrastées signé Bruno Marsol. Un souffle de folie et de grâce souffle sur ce spectacle léger, nous menant parfois en apesanteur, un moment particulièrement bienvenu en ces temps lourds de menaces.

L’Olimpiade vivaldienne mérite une médaille dorée comme la poudre magique distillée ici et là sur un plateau où tout se joue en équipe.

Photo Marc Dumont

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[1] Voir l’hommage de première Loge à Jodie Devos.

[2] Voir le résumé dans le compte rendu de l’Olympiade de Cimarosa le mois dernier.

[3] Le teaser du spectacle permet de s’imprégner de cette atmosphère : https://www.youtube.com/watch?v=3xVjUpCeqd8&t=8s

Les artistes

Licida : Jakub Józef Orliński 
Megacle : Marina Viotti 
Aristea : Caterina Piva
Argene : Delphine Galou 
Aminta : Ana Maria Labin
Clistene : Luigi De Donato
Alcandro : Christian Senn

Quentin Signori, acrobate
Bryan Doisy, Kerem Gelebek, Giacomo Luci, Allister Madin, Paul Vezin, danseurs

Ensemble Matheus, Chœur de l’Académie Haendel Hendrix, dir. Jean-Christophe Spinosi 

Mise en scène : Emmanuel Daumas
Scénographie : Alban Ho Van
Chorégraphie : Raphaëlle Delaunay 
Costumes : Marie La Rocca
Perruques, maquillage, masques : Cécile Kretschmar 
Lumières : Bruno Marsol 

Le programme

L’Olimpiade 

Opéra d’Antonio Vivaldi, livret de Métastase d’après Hérodote. créé à Venise en 1734, au Teatro Sant’Angelo.

Théâtre des Champs-Elysées (Paris), représentation du jeudi 20 juin 2024.