Ariane à Naxos à Venise : la veine « brillante » de Richard Strauss dans un spectacle brillant !

Ariadne auf Naxos, Fenice de Venise, 25 juin 2024

Un spectacle parfaitement réussi scéniquement et musicalement, avec notamment deux interprètes féminines (Sara Jakubiak et Erin Morley) magnifiques !

Une réalisation scénique parfaitement convaincante

En 1999, Paul Curran avait été chargé d’organiser un gala à Buckingham Palace. Pendant la représentation, un majordome avait abordé le metteur en scène en coulisses pour lui demander de « faire chanter le ténor plus vite » (Plácido Domingo !) parce que de l’agneau était prévu pour le dîner et que SAR le Prince de Galles ne voulait pas que le plat soit gâché.

Les temps changent, mais certains inchangés demeurent : l’histoire d’Ariane à Naxos est celle d’un « concert d’entreprise » de courte durée et bien payé – « Und das ausbedungene Honorar wird nebst einer munifizenten Gratifikation durch meine Hand in die Ihrige gelangen » (« Et le cachet convenu, accompagné d’une généreuse gratification, passera de mes mains aux vôtres »), dit le majordome au maître de musique – où la musique, l’art, ne sont qu’un prétexte, un accompagnement, et où la créativité du compositeur doit se soumettre aux goûts fantaisistes des riches et des puissants de l’époque. Les relations entre mécènes et artistes ont toujours été difficiles et conflictuelles, dans le passé comme dans le présent, c’est pourquoi Ariane à Naxos est une œuvre particulièrement actuelle, avec son jeu corrosif de métathéâtre où plusieurs situations se déroulent simultanément afin de reproduire la vie dans toute sa complexité.

Paul Curran avait déjà donné une Ariane à Naxos au théâtre Malibran de Venise, en 2003, mais il s’agit ici d’une nouvelle production, en coproduction avec le Teatro Comunale de Bologne (où l’œuvre a été présentée il y a deux ans), et la Fondazione Teatro Lirico Giuseppe Verdi de Trieste. La scénographie de Gary McCann, également responsable des costumes, s’ouvre effectivement sur un palais viennois, mais pas un palais du XVIIIe siècle ; les décorations sont typiquement de style Art nouveau, propre à la nouvelle bourgeoisie viennoise aisée. Dans la deuxième partie, le salon est envahi par une volumineuse installation baroque baignée de lumières lunaires et habitée par des faunes et des anges, ainsi que par les trois nymphes qui protègent la solitude du protagoniste. Puis, lentement, le décor est démonté pour faire place à un cube disco pour la représentation de Zerbinetta. Enfin, il se relève pour le finale lumineux au cours duquel Ariane part avec son Bacchus, le seul moment de conte de fées dans une histoire qui, jusqu’à ce point, avait été traitée de manière plutôt réaliste. Comme au début de l’opéra où, alors qu’une naïade, une dryade et une nymphe observent Ariane dans son sommeil puis dans ses lamentations, le metteur en scène nous montre les coulisses avec les comédiens, et un groupe de margoulins effrontés qui, manifestement, s’ennuient et attendent l’opportunité de s’intégrer. Entre selfies et tentatives d’entrées ratées, la mise en scène reste constamment colorée et fonctionne à merveille. Les costumes du prologue rappellent les années 1970, tandis que dans l’opera seria qui suit, de somptueuses robes de bal du XIXe siècle sont attribués aux personnages sérieux et des robes pop aux personnages comiques ; Zerbinetta devient Katy Perry, avec son cœur brodé de paillettes sur le corsage, sa jupe en tulle et sa perruque rose – la même couleur que celle des tenues des « masques » – ou que celle qui prédomine dans les éclairages d’Howard Hudson.

Le contraste ancien/moderne est synthétisé dans les personnages des deux chanteuses, l’une prima donna snob de l’opéra, l’autre icône pop acclamée. Mais au cours de l’opéra, Ariane se débarrasse de son rôle d’être mythologique – presque une allégorie de la vertu – pour devenir une femme amoureuse, tandis que Zerbinetta se transforme du statut de femme de tête à celui de femme accueillant la vie et l’amour avec légèreté. Les styles musicaux sont également très différents : la vocalité d’Arianna est calquée sur l’arioso du XVIIe siècle, celle de Zerbinetta sur le belcanto italien du XIXe siècle, sa voix rivalisant avec la flûte dans les coloratures. D’un côté, des phrases larges et legato, un ton mélancolique et une écriture orchestrale qui rappelle le Rosenkavalier ; de l’autre, des feux d’artifice vocaux et une orchestration étincelante. À la tête de l’orchestre de théâtre, réduit à des rangs presque chambristes, Markus Stenz parvient à différencier clairement les deux parties, le prologue presque convulsif et l’opera seria riche en lyrisme, qui se prolonge ensuite en un finale en forme d’apothéose. La légèreté de touche du maestro concertatore est évidente dans les tons d’opérette que prend parfois cet heureux produit, fruit des talents conjugués de Strauss et Hofmannsthal.

Deux interprètes féminines superlatives !

Deux prima donna se disputent la scène, toutes deux remarquables ici. Sara Jakubiak est une Ariane aux dons vocaux remarquables, à la projection superlative, à la ligne homogène dans tous les registres et à la déclamation dramatique somptueuse. À cela s’ajoute une présence scénique plus que convaincante, alors qu’elle passe du caprice de prima donna dans le prologue à l’héroïne tragique puis, enfin, à la femme amoureuse. Mais comme toujours, c’est Zerbinetta qui remporte le triomphe de la soirée, Erin Morley, déjà admirée à Vienne, étant absolument à l’aise sur la corde raide de son air, abordé avec une souplesse et un enthousiasme de premier ordre. Le rôle de Bacchus, relativement bref mais exigeant, a été interprété par le ténor John Matthew Myers, qui a fait preuve d’une grande confiance en son souffle et d’une puissance sonore considérable. Sophie Harmsen (le compositeur) s’est montrée très expressive mais avec quelques incertitudes dans l’aigu, tandis que le Maestro di Musica de Markus Werba (qui a déjà abordé le rôle à Milan et à Florence) apporte la satisfaction habituelle.

Les rôles des Maschere ont été excellemment interprétés et chantés : Mathias Frey (Scaramuccio), Szymon Chojnacki (Truffaldin), Enrico Casari (Brighella), et surtout Äneas Humm (Arlecchino). Les déhanchements du maître de ballet efféminé Blagoj Nacoski nous ont semblé un peu trop marqués, tandis que les nymphes Jasmin Delfs, Marie Seidler et Giulia Bolcato, respectivement Najade, Dryade et Echo, ont parfaitement rempli leur emploi. Dans le rôle parlé du majordome, l’acteur Karl-Heinz Macek se distingue particulièrement.

Succès très chaleureux, avec de grandes ovations pour les deux rôles principaux féminins de la part d’un public qui, comme toujours à La Fenice, a occupé tous les fauteuils du théâtre, sans exception !

Per leggere questo articolo nella sua versione originale (italiana), cliccare sulla bandiera!



Les artistes

Der Haushofmeister : Karl-Heinz Macek
Ein Musiklehrer : Markus Werba
Der Komponist : Sophie Harmsen
Der Tenor (Bacchus) : John Matthew Myers
Ein Offizier : Nicola Pamio
Ein Tanzmeister : Blagoj Nacoski
Ein Perückenmacher : Francesco Milanese
Ein Lakai : Matteo Ferrara
Zerbinetta : Erin Morley
Primadonna (Ariadne) : Sara Jakubiak
Harlekin : Äneas Humm
Scaramuccio : Mathias Frey
Truffaldin : Szymon Chojnacki
Brighella : Enrico Casari
Najade : Jasmin Delfs
Dryade : Marie Seidler
Echo : Giulia Bolcato

Orchestre de La Fenice, dir. Markus Stenz
Mise en scène : Paul Curran
Décors et Costumes : Gary McCann
Lumières : Howard Hudson

Le programme

Ariadne auf Naxos

Opéra en un prologue et un acte de Richard Strauss, livret d’Hugo von Hofmannsthal, créé en 1912 à Stuttgart, puis dans une nouvelle version en 1916 à Vienne.

Venise, Teatro la Fenice, représentation du mardi 25 juin 2024.