Il ritorno d’Ulisse in patria, Festival d’Aix-en-Provence, mercredi 17 juillet 2024
La petite scène du Théâtre Saint-Jean d’Aix-en-Provence propose un spectacle musicalement enthousiasmant, théâtralement moins abouti.
Une efficace dramaturgie
On connait l’histoire. Echoué sur les rives d’Ithaque, Ulysse se fait passer pour un vieux mendiant. Les dieux se déchirent sur son sort : « Que les mortels ne se mêlent pas des disputes divines » avait prévenu Minerve. Finalement, Minerve accompagnera son retour triomphal, après avoir fait revenir son fils Télémaque. Pénélope, assaillie par les prétendants, décide d’un concours où le vainqueur devra bander l’arc d’Ulysse. Lui seul y parvient et tue tous les intrus. Sa femme finit par reconnaitre qu’il est bien celui qu’il prétend être. Happy end…
Le décor unique de cette histoire célèbre permet de focaliser l’attention sur une action resserrée, puisque le chef a pratiqué quelques coupures dans la partition. Deux grands panneaux coulissants de tôle grise permettent de modifier l’espace scénique, de le refermer de façon étouffante, de le cloisonner ou l’élargir. Quelques rares moments d’éclairage viennent faire oublier la tristesse de cet espace désolé. La mise en scène de Pierre Audi, claire, sans aucune surcharge, s’y déploie sobrement. On ne peut en dire autant des costumes dont certains (les dieux) semblent sortis d’un stock de blouses d’hôpital, et d’autres (les prétendants), d’une boutique de sous-vêtements gays. Des costumes sans logique ni cohérence. La ferblanterie originale des accessoires divins, lances et bouclier, apporte une touche d’originalité dans un espace scénique où l’efficacité dramatique l’emporte sur les effets.
Une distribution de très haut vol
Mais c’est bien la musique qui fait tout le prix de cette soirée aixoise. Là comme dans ses deux précédents volets monteverdiens, Leonardo García Alarcón déploie une large palette instrumentale avec trombones et saqueboute, harpe et basson, flûte à bec et cornet à bouquin, contrebasse et violes de gambe, sans oublier clavecins et orgue portatif ainsi que les deux théorbes. Chacun de ces seize musiciens de la Cappella Mediterranea fait frémir une vie aux tons changeants. Les sonorités peuvent être amples dans telle ritournelle, subtiles dans les accompagnements intimes, souvent chatoyantes. La diversité des choix musicaux du chef donne à l’ensemble de la soirée des couleurs multiples et une dynamique imparable.
Le plateau vocal est d’une homogénéité dans l’excellence qui ne cesse de ravir l’oreille. A tout seigneur, tout honneur : l’Ulysse du ténor John Brancy nous stupéfie dès son apparition. Son timbre de stentor, sa projection comme sa présence, sa totale maîtrise du rôle, de ses moindres inflexions et vocalises, tout fait de lui un Ulysse idéal. Le personnage qu’il créée semble d’ailleurs tout droit sorti d’une imagerie de la Grèce ancienne. Son maquillage, sa stature et sa barbe font irrépressiblement penser au fameux dieu d’Artemision qui reprendrait vie sur la scène. C’est bluffant !
Dieu de l'Artémision (Photo : Ismoon)
John Brancy - © Ruth Walz
La mezzo Deepa Johnny, apparait comme l’incarnation même de Pénélope, drapée dans un élégant costume mordoré. Elle est aussi à l’aise dans ce rôle que dans celui, pourtant à des années lumières stylistiques, de sa Carmen remarquée, il y a peu, dans la recréation de la scénographie de 1875. Femme fière, tourmentée – par l’absence de son homme mais aussi par le désir interdit – elle est une Pénélope altière, complexe et sa simple présence sur scène dégage une aura que sa voix chaude, cuivrée vient affirmer avec aisance et évidence. Dès sa première scène, elle fascine : « Je suis chose mortelle» chante-t-elle, détachée, inquiète. Chacune de ses interventions créé une présence comparable à celle d’une tragédienne comme Irène Papas le fut. Le destin, la fidélité et l’amour la guide. Son duo final avec Ulysse la voit enfin baisser les armes et s’adonner in-extremis au retour du bonheur, dans des mélismes capiteux.
Leur fils Télémaque apparait sous les traits juvéniles du ténor Anthony León à la ligne claire et assurée. Le rôle de Melanto donne à la mezzo Giuseppina Bridelli l’occasion d’une présence vocale et théâtrale remarquée. Le couple qu’elle forme avec Eurimaque ne laisse que peu de place au ténor tout en finesse de Joel Williams : Monteverdi en a décidé ainsi. Le court rôle de l’inénarrable Iro tourne au tragique au moment de l’exécution des prétendants. Au moment de sa mort, après nous avoir régalé de ses talents comiques, le ténor Marcel Beekman nous bouleverse dans sa longue intervention désabusée. Paul-Antoine Bénos-Djian seul haute-contre de la distribution, se distinguait aussi dans les trois rôle qu’il interprétait.
Quant aux trois dieux, le Jupiter hautain de Mark Milhofer impressionne ; le Neptune rageur de la basse Alex Rosen est égal à lui-même, c’est à dire puissant et d’une grande force musicale. Enfin, la Minerve de Mariana Flores semble surdimensionnée pour ce petit écrin théâtral, tant sa projection, la puissance de sa voix font merveille. Elle rayonne littéralement, avec ses vocalises d’une totale maîtrise, ses sons filés et son jeu sur les contrastes avec ce timbre si précieux.
Heureux qui, comme Aixois, a fait un si beau voyage musical…
Ulisse : John Brancy
Penelope : Deepa Johnny
Telemaco : Anthony León
Amore / Minerva : Mariana Flores
Tempo / Antinoo / Nettuno : Alex Rosen
L’Umana Fragilità / Anfinomo/ Feacio 1 : Paul-Antoine Bénos-Djian
Pisandro / Feacio 2 : Petr Nekoranec
Iro : Marcel Beekman
Eumete / Giove / Feacio 3 : Mark Milhofer
Fortuna / Melanto : Giuseppina Bridelli
Eurimaco : Joel Williams
Orchestre Cappella Mediterranea – Direction : Leonardo García Alarcón
Mise en scène : Pierre Audi
Scénographie et lumière : Urs Schönebaum
Costumes : Wojciech Dziedzic
Dramaturgie : Klaus Bertisch
Il Ritorno d’Ulisse in Patria (Le Retour d’Ulysse dans sa patrie)
Dramma per musica en un prologue et trois actes de Claudio Monteverdi, livret de Giacomo Badoaro, créé au Teatro SS Giovanni e Paulo (Venise) en 1640.
Festival d’Aix-en-Provence, représentation du mercredi 17 juillet 2024
2 commentaires
critique exceptionnelle !!!
Quelle belle critique. Je partage totalement. J’ai été ébloui. Je suis fan absolu d’Alarcon et Florence, mais franchement, ils ne font que toujours mieux.