Sans doute le plus beau des trois Puccini que nous avons vus cet été à Torre del lago : une mise en scène poétique, une direction flamboyante, Anna Pirozzi en princesse de glace et une découverte (Chunxi Hu) en Liù.
Après la sobriété d’une Tosca certes efficace mais que nous jugions dans ces mêmes colonnes « un peu trop sage », rien ne laissait présager la très belle réussite de cette Turandot, quatrième opéra mis en scène cette année par Pier Luigi Pizzi. Une fois encore, la scénographie est très dépouillée (elle ne comporte guère que quelques praticables mobiles), mais les projections d’images fixes ou (sobrement) animées (signées Matteo Letizi) donnent cette fois-ci une dimension éclatante, qu’il s’agisse de fonds lumineux colorés façon Bob Wilson, d’une évocation stylisée de la Cité impériale, d’un ciel nocturne où se dévoile progressivement une lune blanche, ou du vol d’oiseaux tournoyant dans le ciel – une image qui gagne encore en poésie quand de véritables oiseaux choisissent à leur tour de passer devant l’écran ! Rehaussée par de splendides costumes (eux aussi signés Pizzi), la direction d’acteurs se révèle d’une belle efficacité, particulièrement dans la scène finale, celle de la mort de Liù. Car comme à la création de l’œuvre en avril 1926 à la Scala, la représentation s’achève sur le suicide de la jeune esclave (voyez ici notre dossier consacré à l’œuvre). Pas de happy end, donc : l’œuvre se pare d’une teneur tragique inédite, et Liù, de personnage important, devient presque le personnage principal, donnant son sens au conte, apportant véritablement à Turandot la possibilité d’aimer – mais dans des conditions trop tragiques pour que quiconque puisse s’en réjouir. La procession funèbre, lente, glaçante, qui se prolonge bien après que la musique de Puccini se soit tue et que ferme la princesse Turandot elle-même, comme bouleversée par les événements tragiques auxquels elle vient d’assister, clôt un spectacle visuellement magnifique – avec peut-être un second acte un peu plus plat (la scène des énigmes) que ce que font voir des actes I et III particulièrement réussis.
Anna Pirozzi, applaudie en Turandot l’hiver dernier à Paris, ne fait qu’une bouchée du rôle éponyme, dont elle maîtrise l’impossible tessiture, la puissance vocale mais aussi les finesses psychologiques (l’évocation douloureuse du destin de l’aïeule Lou-Ling, la stupeur devant la force que l’amour apporte à la frêle esclave Liù).
© Julien Michot / Première Loge
Liù, précisément, est chantée par une soprano, Chunxi Hu, que nous ne connaissions pas – et qui crée la surprise : le chant est admirablement contrôlé, avec un sens accompli des nuances (bel aigu pianissimo qui s’enfle progressivement à la fin de « Signore, ascolta ») et du legato. L’incarnation est par ailleurs très touchante, et vaudra à la jeune artiste un grand succès amplement mérité. Calaf est, comme l’été dernier, chanté par le ténor Amadi Lagha. On retrouve le timbre clair, l’émission haute qui caractérisent le chant du ténor franco-tunisien, ainsi qu’une belle assurance dans le registre aigu. Dès le deuxième acte, cependant, la voix accuse une certaine fatigue (qui n’empêchera pas pourtant le ténor de conclure son « Nessun dorma », au troisième acte, par un aigu très assuré !) : dans ces conditions, la suppression du très éprouvant duo final composé par Alfano a sans doute été la bienvenue… Le trio des ministres Ping, Pang (Saviero Pugliese) et Pong (Luigi Morassi) s’est révélé parfaitement équilibré, avec notamment un Ping de grand luxe en la personne de Pietro Spagnoli, qui interprète également le Mandarin. Le sobre Timur d’Andrea Concetti complète cette belle distribution. Curieuse idée en revanche d’avoir confié le rôle d’Altoum à un contre-ténor : si Danilo Pastore est audible dans sa première scène, sa voix est fatalement couverte par l’orchestre dans son échange avec sa fille après la scène des énigmes. (Pour rappel le créateur du rôle, Francesco Dominici, avait à son répertoire les rôles de Fernando dans La Favorite, Prunier dans La rondine ou Rodolfo dans La bohème !) Mais après tout, après le choix d’une « Altoumesse » mezzo à Bruxelles en juin dernier (pour lutter contre le patriarcat…), tout semble possible.
Bravo enfin à l’orchestre et aux chœurs du Festival (y compris l’excellent chœur d’enfants, préparé par Chiara Mariani) pour leur très belle prestation sous la houlette d’un Renato Palumbo remarquable de raffinement et de dramatisme, parvenant à révéler des nuances et des couleurs orchestrales rarement entendues !
© Julien Michot / Première Loge
La Principessa Turandot : Anna Pirozzi
L’imperatore Altoum : Danilo Pastore
Timur : Andrea Concetti
Il Principe Ignoto (Calaf) : Amadi Lagha
Liù : Chunxi Hu
Ping : Pietro Spagnoli
Pang : Saverio Pugliese
Pong : Luigi Morassi
Un Mandarino : Pietro Spagnoli
Prima Ancella : Greta Buonamici
Seconda Ancella : Maria Salvini
Principe di Persia : Davide Piaggio
ORCHESTRA E CORO DEL FESTIVAL PUCCINI, dir. Renato Palumbo
Maestro del Coro : Roberto Ardigò
Coro delle Voci Bianche del Festival Puccini, dir. Chiara Mariani
Mise en scène, décors et costumes : Pier Luigi Pizzi
Chorégraphie : Gheorghe Iancu
Lumières : Massimo Gasparon
Video : Matteo Letizi
Turandot
Dramma lirico en trois actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, créé à la Scala de Milan le 25 avril 1926.
Festival de Torre del lago, représentation du samedi 10 août 2024.