Que le rideau se lève sur Aïda et Radamès en train de faire l’amour sur un lit d’hôpital, pourquoi pas ?… Que ce même lit juché sur un tas de pierres tourne sur lui-même tout au long de ces 4 actes encadrés par des immenses échafaudages sur lesquels sont accrochés des phares de voiture, soit. Qu’Aïda soit habillée en soubrette sortie d’une pièce de Labiche , soit. Que les costumes mélangent treillis de la guerre de 14, smoking, robes longues, punk, soit. Que la marche triomphale d’Aïda soit remplacée par une pluie de billets de banque tombant des cintres soit encore ! Le seul problème est que tout ces procédés sont utilisé ad nauseam depuis des années, démontrant surtout le manque d’imagination, d’audace et d’originalité du metteur en scène Philipp Himmelmann.
Restent les chanteurs , pourtant souvent expérimentés, mais empêtrés dans un jeu de scène inexistant et qui de facto les empêche de donner le meilleur d’eux-mêmes.
Ainsi, comment trouver Joyce El-Khoury crédible dans le rôle d’Aïda portant un costume de femme de chambre avec tablier blanc ? Elle est pourtant habituée et présente depuis des années dans les plus grands rôles italiens : Violetta Valéry, Liu, Mimi, Maria Stuarda… « Ritorna vincitor » à l’acte 1 est chanté correctement mais sans vraie conviction. Il est regrettable que le sublissime air de l’acte 3 « O patria mia » manque de puissance et soit chanté avec un regard halluciné qui n’exprime pas grand-chose… On reste loin de la majesté conférée à Aida par les grandes titulaires du rôle, Leontyne Price en tête…
Le ténor anglais Adam Smith fait entendre dès le premier air « Celeste Aida » des sonorités parfois trop nasales ou métalliques. À sa décharge, on le sent peu à l’aise en T-shirt marcel et les pieds nus. Il affronte vaillamment le reste des quatre actes, mais là encore l’émotion est trop peu présente. On le sent ailleurs, et c’est d’autant plus dommage qu’au fil des actes la voix s’est affermie.
Iryna Kyshliaruk, artiste lyrique ukrainienne, est parfaite dans le rôle de la grande prêtresse. La voix est claire, puissante, assurée bien que la chanteuse soit juchée au sommet des échafaudages. Il est regrettable que son costume de tyrolienne annihile une fois encore tout effet dramatique.
Restent, selon nous, les deux étoiles de la soirée.
Alisa Kolosova, mezzo-soprano russe, affronte le rôle d’Amneris avec grande classe et une réelle beauté vocale. Elle apporte ici le juste équilibre entre tendresse et noirceur, notamment dans les duos avec Aïda et Radamès. Elle se révèle extraordinaire à l’acte 4 où elle implore la clémence ,des dieux pendant le procès de Radamès.
Enfin Nikoloz Lagvilava, baryton géorgien, justifierait à lui seul le fait d’assister à cette soirée, avec son extraordinaire composition en Amonasro. Sa puissance vocale, sa ligne de chant sont tout simplement phénoménales et lui vaudront des applaudissements plus que nourris et largement mérités au rideau final.
Tout comme seront fêtés comme il se doit le chœur accentus et celui de l’Opéra de Rouen Normandie, comme toujours excellents, ainsi que l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie et l’Orchestre Régional de Normandie (placés sous la direction experte de Pierre Bleuse), en très grande forme et visiblement très à l’aise dans cette œuvre.
Aïda : Joyce El-Khoury
Radamès : Adam Smith
Amneris : Alisa Kolosova
Ramfis : Adolfo Corrado
Amonasro : Nikoloz Lagvilava
Le Roi d’Égypte : Emanuele Cordaro
Un Messager : Néstor Galván
La Grande-Prêtresse : Iryna Kyshliaruk
Danseurs : Michael Arellano, Paolo Busti, Adrien Delépine, Georgina Hills, Aurélie Robichon, Greta Rodorigo, Fay van Baar, Thomas van de Ven
Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, Orchestre Régional de Normandie, Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie, dir. Pierre Bleuse
Mise en scène : Philipp Himmelmann
Assistanat à la mise en scène : Riikka Räsänen, Mirva Koivukangas
Scénographie : David Hohmann
Costumes : Lili Wanner
Lumières : Fabiana Piccioli, François Thouret
Chorégraphie : Kristian Lever
Vidéo : Tieni Burkhalter
Aida
Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, livret d’Antonio Ghislanzoni, créé le 24 décembre 1871 à l’Opéra khédival du Caire.
Opéra de Rouen Normandie, représentation du vendredi 27 septembre 2024
Coproduction Savonlinna Opera Festival