La Fille du régiment à l’Opéra de Paris : le triomphe du bel canto à la française !
La Fille du Régiment, Opéra Bastille, 17 octobre 2024
Une production qui a fait le tour du monde
Le public parisien, et plus généralement tout mélomane passionné d’opéra-comique de la première moitié du XIXe siècle, connaît bien la mise en scène de Laurent Pelly. Déjà présentée à l’automne 2012 sur ces mêmes planches de l’Opéra Bastille – où elle affichait notamment Natalie Dessay et Juan Diego Flórez, les interprètes de la création, l’hiver 2007, au Covent Garden de Londres –, elle a fait le tour du monde, du Metropolitan Opera de New York à la Staatsoper de Vienne, coproducteurs, de Barcelone à Madrid, de Séville à Thessalonique, de San Francisco à Chicago, et elle reviendra à la Scala de Milan dans un an. Elle a également connu le privilège de la diffusion sur de multiples supports, dont le DVD de la première londonienne.
Rappelons donc seulement, à l’acte I, cette carte du Tyrol déployée en guise de camp militaire, la planimétrie de l’Europe se hissant à l’arrière-plan, et toute la panoplie de lessive et de cuisine, constituant l’univers de la cantinière ; à l’acte II, lorsque la comédie prend en partie le dessus sur l’opéra, cet intérieur, bourgeois plus qu’aristocratique, tout en boiseries, arborant une imposante cheminée et des cadres vides, puis le char sur lequel fait irruption Tonio, afin de décourager le mariage arrangé, où se pressent des convives à l’âge avancé et à la courte vue (décors de Chantal Thomas). Les personnages agissant suivant une direction d’acteurs efficace et dans de jolis costumes de tradition, dessinés par Laurent Pelly lui-même.
Un couple d’amoureux d’exception
Côté chant, c’est, comme toujours, le couple protagoniste d’amoureux qui se taille la part du lion. Peu intelligible au tout début, la Marie de Julie Fuchs convainc d’emblée par un aigu solide et de jolies notes piquées, dans le duo avec le Sulpice quelque peu routinier de Lionel Lhote. Ses couplets en l’honneur du régiment s’enrichissent alors de vocalises prodigieuses, de même que sa cantilène du congé, toute en émotion, s’articule sur une ligne de haute école. Par la suite, la leçon de chant est désopilante de drôlerie, le manque de justesse délibérément affiché débouchant sur des gammes enchanteresses. Mais c’est sans doute dans la cabalette de l’acte II qu’on l’attend au tournant, ce « Salut à la France », aux liaisons de tradition audibles mais plutôt discrètes, venant après une cavatine des regrets au phrasé parfaitement maîtrisé : une agilité sensationnelle et des fioritures impressionnantes lui valent une ovation bien méritée.
Elle retrouve chez Lawrence Brownlee un Tonio à l’élocution exemplaire tout le long de la représentation. Dans ce domaine, le décalage entre les deux chanteurs est assez perceptible pendant le duo de la déclaration d’amour. Le soin apporté à l’articulation par le ténor américain contraste avec le style volontairement débraillé requis par le personnage du jeune Tyrolien, et se marie à merveille avec les roulades de sa partenaire, notamment dans une strette miraculeuse.
Malgré la clarté du timbre, pas spécialement claironnant, et un volume jamais excessif, l’interprète se distingue par une technique sans faille et une aisance qui le mènent au bout de ses neuf contre-ut sans laisser transparaître le moindre effort. Sa romance de l’acte II affiche, par ailleurs, une variété de couleurs inattendue, notamment vers le bas du registre.
Un opéra de chœurs
Dans sa dimension drolatique, La Fille du Régiment laisse une place certaine aux cantatrices en pré-retraite ou ayant définitivement tourné la page des portées. En cela, la Marquise de Berkenfield de Susan Graham et la Duchesse de Crakentorp de Felicity Lott sont en tout point exemplaires en vieilles rombières, la première tirant aisément son épingle du jeu dans ses couplets de l’acte I, la seconde retrouvant dans la gaieté un personnage dont elle s’est désormais fait une spécialité (elle l’incarnait sur cette même scène en 2012 et le public parisien l’avait déjà réentendue dans le concert du Théâtre des Champs-Elysées de l’an dernier). Hortensius amusant, Florent Mbia complète avec panache cette distribution.
Mais La Fille du Régiment est aussi un opéra de chœurs et les forces de la maison excellent dans leur habileté à alterner le recueillement grandissant des femmes dans la prière de l’introduction et le chant syllabique lors de l’arrestation de Tonio, le ton héroïque de l’appel et la vaillance très idiomatique du « Rataplan », les adieux virilement émus du finale I et le soutien sans failles à l’hymne de Marie.
Sous la baguette experte d’Evelino Pidò, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris apporte le soutien adéquat à la liesse générale, malgré une vague impression de sons écrasés dans l’ouverture et des cuivres légèrement abrupts.
Ovation pour tous les artistes au tomber du rideau, dont Laurent Pelly, revenu saluer pour cette reprise.
Marie : Julie Fuchs
Tonio : Lawrence Brownlee
Sulpice : Lionel Lhote
La Marquise de Berkenfield : Susan Graham
Hortensius : Florent Mbia
La Duchesse de Crakentorp : Felicity Lott
Un paysan : Cyrille Lovighi
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, dir. Evelino Pidò et Ching-Lien Wu
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Décors : Chantal Thomas
Lumières : Joël Adam
Chorégraphie : Laura Scozzi
Nouveaux dialogues : Agathe Mélinand
La Fille du Régiment
Opéra-comique en deux actes de Gaetano Donizetti, livret de JulesHenri Vernoy de SaintGeorges et de Jean-François Bayard, créé à l’Opéra-Comique de Paris le 11 février 1840.
Paris, Opéra Bastille, 17 octobre 2024