Depuis des années, Robert Carsen nous a habitués au meilleur comme au moins bon… Force est de constater qu’ici nous ne sommes pas, selon nous, dans le meilleur, et que cette production « à l’économie » rend l’œuvre totalement illisible, se contentant de simples projections de forêts, supprimant de fait l’aspect initiatique pourtant si important.
Internationalement reconnue, Oksana Lyniv, directrice musicale de l’opéra de Bologne, a été la première femme à être nommée directrice musicale d’un opéra italien. Sous sa baguette, même si les pupitres de l’Opéra de Paris sont toujours aussi excellents de précision, la partition de Mozart sonne cependant fade et sans inspiration – sans parler des variations inopinées de tempi, surtout pendant les grands airs de bravoure, qui visiblement handicapent les chanteurs. Accueil des plus mitigés à la reprise après l’entracte.
Tamino est (fort bien) chanté par le ténor slovaque Pavol Bresnik, rôle qu’il a déjà tenu à Glyndebourne en 2004, Munich en 2006 et Paris en 2014 dans cette même mise en scène. L’air de l’acte 1 Dies Bildnis ist bezaubernd schön, dans lequel il découvre le portrait de sa bien-aimée Pamina, est l’un des très beaux moments de cette soirée.
Pamina fait partie du répertoire mozartien dont la soprano allemande Nikola Hilledebrand est familière. De sa belle prestation, on retiendra surtout l’air du deuxième acte « Ach, ich fühl’s » dans lequel elle montre toute sa maîtrise de cette œuvre par l’émotion et la puissance qu’elle apporte à cette célèbre page.
La Reine de la nuit est un rôle que chante la soprano Aleksandra Olczyk de par le monde depuis des années (elle l’a notamment chanté à Paris, au TCE, en novembre 2023). Grimée en grenouille de bénitier avec un sac à main, elle perd ici toute crédibilité. De fait, son premier air est raté, la voix mal assurée étant de plus handicapée par une direction d’orchestre faisant alterner des tempi tantôt rapides tantôt lents. Le deuxième air est en revanche vocalement excellent, les nuances et vocalises étant redevenues belles et puissantes.
La basse française Jean Teitgen, qui chante Sarastro, est désormais très bien connue du public de l’Opéra de Paris où elle se produit régulièrement. C’est ici une des grandes voix de la soirée : le spectre vocal est large et noble, la puissance vocale impressionnante. L’air du deuxième acte « O Isis und Osiris », qui se déploie avec une facilité et une noblesse incroyables, est particulièrement séduisant. Triomphe aux saluts.
Mathias Vidal est familier du rôle de Monostatos, qu’il a déjà chanté sur cette même scène. Pourtant, son incarnation ne convainc pas réellement, peut-être en raison du jeu de scène ridicule qui lui est imposé – et d’une puissance vocale qui semble quelque peu limitée ce soir.
Reste le Sprecher noble et sonore de Nicolas Cavallier, et le charmant couple formé par Papagena, Ilanah Lobei-Torres, et Papageno, Mikhail Timoshenko, tous deux anciens élèves de l’Académie de l’Opéra de Paris. Malgré son ridicule costume de hippie à sac à dos, dès le premier air de l’oiseleur, on constate l’aisance du jeune baryton russe à bien placer sa voix, naturellement belle jusque dans les aigus, une beauté vocale qui se confirme dans « Ein Mädchen oder Weibchen » : un pur moment de plaisir ! On pourra retrouver Mikhail Timoshenko sur scène à Paris en 2025 dans L’Italienne à Alger au TCE.
Une mention spéciale aux trois jeunes garçons, membres de l’Aurelius Sängerknaben Calw, dont les voix sont parfaites étonnamment bien projetées. Leur spontanéité dans leur chant et leur fraîcheur juvénile font plaisir à voir ! Ils recevront au moment des saluts un triomphe plus que mérité.
Que dire enfin des chœurs, sinon que dirigés ce soir par Alessandro di Stefano, ils sont comme à l’accoutumée excellents.
Au final, une soirée en demi-teinte, avec l’espoir de voir prochainement une nouvelle production de La Flûte à la Bastille – ou plutôt… un autre Mozart moins rebattu !
Tamino : Pavol Breslik
Pamina : Nikola Hillebrand
Reine de la nuit : Aleksandra Olczyk
Sarastro : Jean Teitgen
Monostatos : Mathias Vidal
Papageno : Mikhail Timoshenko
Papagena : Ilanah Lobei-Torres
Sprecher : Nicolas Cavallier
Trois garçons : Fabian Bellon, Anton Kuhnle, Erwin Li
Chœur et orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Oksana Lyniv
Mise en scène : Robert Carsen
Décors :Michael Levine
Costumes : Petra Reinhardt
Die Zauberflöte
Singspiel en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret d’Emanuel Schikaneder, créé à Vienne en 1791.
Opéra de Paris Bastille, représentation du samedi 2 novembre2024.