Une mise en scène traditionnelle ne gênant nullement la musique, une très belle interprétation musicale : la nouvelle production florentine de La traviata remporte un très beau succès public.
Salle pleine et joli succès au Teatro del Maggio Musicale Fiorentino lors de la première (19 novembre) de la nouvelle mise en scène de La traviata avec Carolina López Moreno, appréciée à Florence quelques jours plus tôt dans le rôle-titre de Madama Butterfly (et cet été en Mimi à Torre del lago). Passer de l’héroïne de Puccini à celle de Verdi en si peu de temps est une entreprise audacieuse, surtout si l’on considère que le rôle insidieux de Violetta, écrit pour « trois sopranos en une », est un début absolu pour López Moreno. Sa nervosité dans le premier acte est palpable, ses agilités et ses aigus manquent un peu de la souplesse et du naturel qu’on attend d’elle, mais le deuxième acte, dès les premières mesures, fait oublier les imperfections du premier. Tout le monde prend son envol, à commencer par l’orchestre du Maggio (dirigé par Renato Palumbo, un expert verdien) et la protagoniste qui, parfaitement à l’aise dans la partie dramatique, donne une interprétation qui ravit les oreilles et touche le cœur.
Carolina López Moreno approfondit son personnage et lui donne vie de l’intérieur, sans rhétorique, avec une grande intensité expressive. On apprécie la voix belle, homogène, saine et forte, la ligne de chant solide et confiante, mais on apprécie surtout l’expressivité, cette capacité à communiquer qui donne de la force aux qualités purement vocales ; voilà sans aucun doute une artiste avec une forte personnalité, dont le talent ne demande qu’à s’épanouir !
Dès la rencontre entre Violetta et Giorgio Germont, le spectacle s’envole, grâce également à un autre débutant surprenant dans l’opéra de Verdi, le jeune baryton Lodovico Filippo Ravizza (vingt-neuf ans) : ligne de chant douce et fluide, voix homogène et beau timbre, mais, avant tout, maîtrise d’un phrasé qui donne à chaque mot le sens qu’il doit avoir et respecte scrupuleusement les indications d’expression écrites par Verdi.
Dans le dernier acte, López Moreno captive le public avec une interprétation d’une grande intensité ; même l’Alfredo de Giovanni Sala (un ténor peut-être plus mozartien que verdien, pour l’instant) trouve ses meilleurs accents. Une bonne distribution entoure les trois rôles principaux ; excellentes comme toujours (surtout dans des titres comme celui-ci, qui font partie du répertoire) sont les forces artistiques du Teatro del Maggio.
La mise en scène de Stefania Grazioli est très traditionnelle ; les costumes de Veronica Pattuelli rappellent le XIXe siècle (peut-être un peu plus tardif que celui des années centrales) ; s’il n’y a rien de nouveau ni d’inédit, il n’y a rien non plus qui perturbe la performance musicale et pour une fois (après tant d’étranges Traviata, où l’on a été amené à couper le deuxième couplet de l’Addio del passato sans doute parce que les acteurs devaient grimper sur un immense caisson à tiroirs de bureau… ), on peut se détendre en se concentrant sur la musique de Verdi, sans se soucier de chercher à comprendre ce que voulait dire le metteur en scène. Peu de détails sont ajoutés au livret, ils sont placés uniquement au début et à la fin de l’œuvre. Sur les premiers accords du prélude, on trouve une allusion, déjà exploitée par Zeffirelli dans les années 1980, au texte qui a inspiré Francesco Maria Piave, La Dame aux camélias, qui commence par le déménagement et la vente aux enchères des meubles du luxueux appartement de Marguerite Gautier, après sa mort (on ne voit ici que les ouvriers emportant les objets) ; pendant ce temps, une pré-adolescente, Violetta, apparaît et se regarde dans le miroir, voyant Lopez Moreno dans sa tenue de soirée de l’autre côté (une vision qui préfigure ce que la fillette deviendra) ; la même petite fille apparaît dans le miroir au moment où Violetta s’y reflète fugitivement mourant sur scène (opérant ainsi une rédemption et revenant à sa pureté première). Même dans les mises en scène les plus traditionnelles et les plus discrètes, il y a un peu d’horror vacui qui empêche d’écouter l’ouverture d’un opéra sans voir les gens bouger et faire du bruit sur scène. Heureusement, tous ces détails passent au second plan, compte tenu de l’excellente performance des artistes : si ce n’est pas un spectacle de festival, il s’agit tout de même de théâtre musical du plus haut niveau.
Applaudissements nourris pour tous ; et un véritable triomphe pour Carolina López Moreno.
Violetta Valéry : Carolina López Moreno
Flora Bervoix : Aleksandra Meteleva
Annina : Olha Smokolina
Alfredo Germont : Giovanni Sala
Giorgio Germont : Lodovico Filippo Ravizza
Gastone : Oronzo D’Urso
Il barone Douphol : Yurii Strakhov
Il marchese d’Obigny : Gonzalo Godoy Sepúlveda
Il dottor Grenvil : Huigang Liu
Giuseppe : Alessandro Lanzi
Un commissionario : Lisandro Guinis
Un servo : Nicolò Ayroldi
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino, dir. Renato Palumbo
Chef de chœur : Lorenzo Fratini
Mise en scène : Stefania Grazioli
Décors : Roberta Lazzeri
Costumes : Veronica Pattuelli
Lumières : Valerio Tiberi
Chorégraphie : Elena Barsotti
La traviata
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après Alexandre Dumas fils, créé le 6 mars 1853 à La Fenice de Venise.
Maggio Musicale Fiorentino, 19 novembre 2024.