Festival Donizetti de Bergame 2/3
Redécouverte du premier opera seria de Donizetti, ZORAIDA DI GRANATA
Zoraida di Granata, Festival Donizetti de Bergame, 16 novembre 2024
Coproduit avec le Wexford Festival Opera, le spectacle proposé au Festival Donizetti de Bergame remporte un beau succès et permet de découvrir une oeuvre de qualité : le premier opera seria de Donizetti.
S’intercalant entre deux chefs-d’œuvre de la maturité tels que Roberto Devereux et Don Pasquale, Zoraida di Granata révèle, au Festival d’opéra Donizetti, de grandes qualités en tant que premier drame sérieux du compositeur bergamasque. L’intrigue se déroule en 1480, à la veille de la chute de la domination arabe, avec la ville de Grenade déchirée par la rivalité entre deux clans : les Abenceragi et les Zegri – une histoire déjà mise en musique, avant Donizetti, par Giuseppe Nicolini (Abenamet e Zoraide, 1805), Luigi Cherubini (Les Abencérages ou L’Étendard de Grenade, 1807, œuvre récemment remise à l’honneur par le Palazzetto Bru Zane) et Gaetano Rossi (Zoraida, 1816).
Après Cesare in Egitto de Giovanni Pacini (janvier 1821), la saison carnavalesque du Teatro Argentina aurait dû se poursuivre avec le nouveau drame de Donizetti, mais moins de deux semaines avant sa création, le compositeur fut contraint de supprimer certains numéros et d’adapter le rôle d’Abenamet à un « musico », c’est-à-dire à un contralto en travesti, car pendant les répétitions, le ténor Amerigo Sbigoli était mort suite à la rupture d’un vaisseau sanguin dans la gorge – on dit qu’il avait essayé de surpasser le ténor rival Donzelli (Almuzir) dans une note aiguë… Comme il n’y avait pas de remplaçant, le rôle d’Abenamet a dû être considérablement réduit et adapté à la contralto peu connue Adelaide Mazzanti. Bien que fourni tardivement, l’opéra fut finalement présenté et accueilli triomphalement le 28 janvier 1822, devenant ainsi le premier grand succès du jeune musicien et un tournant pour le Donizetti « sérieux ».
Lors de la reprise de janvier 1824, Donizetti révisa la partition, élargissant le rôle d’Abenamet pour mettre en valeur la bravoure de la contralto principale, Rosamunda Pisaroni-Carrara. Le livret de Bartolomeo Merelli a également été profondément remanié par Jacopo Ferretti et c’est cette version qui, exactement deux cents ans plus tard, est présenté dans un spectacle qui a été vu l’année dernière à Wexford, mais dans la première édition et avec une voix de ténor. La deuxième version modifie la moitié des douze numéros prévus, mais c’est surtout dans le finale de l’opéra qu’elle diffère le plus, avec une longue scène (meilleure sur le plan dramatique) confiée à Abenamet plutôt quà Zoraida : dans cette version, laisser régner un roi usurpateur, qui s’est révélé infâme dans ses actions, est moins inadmissible que dans le finale quelque peu précipité de l’original. Sur le plan musical également, l’opéra s’achève de manière plus satisfaisante avec le rondo d’Abenamet dont le caractère rossinien est indéniable. Zoraida de Granata ne porte pas seulement la marque de l’influence de Mayr : la partition révèle des signes très clairs de l’influence du compositeur de Pesaro…
La traditionnelle succession récitatif-air-cabaletta sous-tend la structure de l’opéra, qui contient des moments musicaux forts dans une habile succession d’arias solistes et de morceaux d’ensemble qui gagnent en intensité au fur et à mesure que les enjeux deviennent de plus en plus importants. Comme dans Fidelio de Beethoven, le deuxième acte s’ouvre sur un homme enchaîné qui se souvient de l’amour fidèle de sa femme, laquelle vient alors à son secours. Et on entend même un coup de trompette venant résoudre la situation au dernier moment !
Coproduit avec le Wexford Festival Opera, le spectacle est adapté aux espaces de la Sociale di Bergamo, et l’Orchestra Gli Originali, avec ses instruments d’époque, s’avère idéal pour la petite taille du théâtre situé dans la partie haute de la ville. Quelques imperfections dans les bois n’ont pas compromis la performance de l’ensemble orchestral, dont le violoniste Enrico Casazza a été admirable dans l’obbligato de l’air du jardin de Zoraida, tout comme Ugo Mahieux au pianoforte dans l’accompagnement des récitatifs. La direction d’Alberto Zanardi, assistant de Riccardo Frizza, assure l’équilibre entre la fosse et les voix avec des choix judicieux dans les tempi et les volumes sonores.
Révélé dans L’ange de Nisida, le Coréen Konu Kim était également présent à Wexford et on ne peut que la bonne impression qu’il avait laissée dans un rôle de baryton qui n’a rien de facile. Des soucis subsistent cependant au niveau de la diction et d’un déploiement excessif de moyens vocaux généreux qui ne conviennent pas à l’acoustique de la petite Sociale. En comparaison, la voix de Cecilia Molinari est plus modeste mais parfaite pour une salle de cette taille et très agréable : une prestation qu’on a appréciée pour la présence scénique, l’expressivité, l’élégance et la technique dans l’agilité requise pour le rôle travesti d’Abenamet. Il en va de même pour la Zoraida de Zuzana Marková, dont la diction nous fait oublier qu’il s’agit d’une chanteuse d’origine tchèque. Trois étudiants de la Bottega Donizetti complètent avec bonheur la distribution : Tuty Hernández en Almanzor, Lilla Takács en Ines à la tonalité espagnole et surtout Valerio Morelli en Alí sonore. Le chœur masculin de l’Accademia della Scala, sous la direction de Salvo Sgrò, est d’une grande précision scénique et vocale.
Le spectacle de Bruno Ravella est sobre et cohérent, avec une mise en scène efficace et convaincante. La guerre est hélas d’actualité non seulement dans notre réalité quotidienne… mais aussi dans Zoraida, et le metteur en scène a judicieusement transposé les événements de l’Espagne de 1480 à l’époque de la guerre des Balkans : l’action est située dans un lieu qui rappelle la bibliothèque de Sarajevo dévastée par la guerre et recréée ici par le scénographe Gary McCann dans son style mauresque. Le jeu d’éclairage exquis de Daniele Naldi ajoute une touche dramatique supplémentaire. Les costumes sont également signés McCann : un costume rigide à double boutonnage pour le tyran Almuzir, une tenue de camouflage militaire pour les hommes, une robe bleu clair et une robe blanche pour la protagoniste. Nous sommes plongés dans les années 1990, mais nous pourrions tout aussi bien être dans les années 2020, le décor permettant de combiner le passé avec la culture et le temps présents, la figure du personnage principal tentant de préserver tant bien que mal un monde qui s’effondre. La lecture de Ravella met en évidence la futilité de la guerre : si l’œuvre se termine sur une note positive, cela n’ôte rien à l’impression que nous éprouvons de pertes irréparables…
Succès certain et applaudissements pour toute la compagnie. Qui sait si cette proposition bergamasque permettra à Zoraida di Granata de figurer sur les affiches d’autres théâtres ?…
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Almuzir : Konu Kim Zuzana Marková Cecilia Molinari Alberto Zanardi Bruno Ravella critique recensione
Zoraida : Zuzana Marková
Abenamet : Cecilia Molinari
Almanzor : Tuty Hernàndez*
Ines : Lilla Takács*
Alì Zegri : Valerio Morelli*
*Élèves de la Bottega Donizetti
Figurants : Giorgio Maffeis, Samuele Migone, Nadia Mentasti, Matilde Piantoni
Orchestre Gli Originali, choeur de l’Accademia Teatro alla Scala (chef de choeur : Salvo Sgrò), dir. Alberto Zanardi
Mise en scène : Bruno Ravella
Décors et costumes : Gary McCann
Lumières : Daniele Naldi
Maître d’armes : Carmine De Amicis
Nouvelle production de la Fondazione Teatro Donizetti en coproduction avec le Wexford Festival Opera
Zoraida di Granata
Melodramma eroico de Gaetano Donizetti, livret de Bartolomeo Merelli et Jacopo Ferretti (version révisée), créé au Teatro Argentina, Rome, le 7 janvier 1824 (version révisée).
Festival Donizetti de Bergame, représentation du 16 novembre 2024.