Rigoletto, Opéra Bastille, 1er décembre 2024.
Cette quatrième série de représentations de la mise en scène de Claus Guth, après celles des printemps 2016 et 2017, et de l’automne 2021, reconduit la boîte en carton recueillant les souvenirs de Rigoletto que trimballe son double, incarné par le comédien Henri Bernard Guizirian, reconfirmé au fil des années. La rédaction en ayant déjà rendu compte à deux occasions (ici, et là), bornons-nous à rappeler les costumes Renaissance de la fête à l’acte I (Christian Schmidt) et les projections et la chorégraphie discrètes, respectivement conçues par Andi A. Müller et par Teresa Rotemberg. Seule particularité à relever : à l’exception de quelques membres du chœur, tous les hommes sont barbus. Hasard de la distribution… révélateur d’une mode propre à notre époque !
Sur le plan vocal, cette reprise se distingue tout d’abord par la qualité des trois rôles principaux. Sans afficher des stars, l’Opéra national de Paris a invité des professionnels d’exception qui ont déjà défendu leur personnage sur bien des scènes européennes, voire outre-Atlantique.
De fière allure, le Rigoletto barbu de Roman Burdenko s’affirme d’emblée par une diction exemplaire et par une excellente maîtrise du volume qu’il sait savamment nuancer selon les circonstances. Superlatif dans le premier duo avec sa fille, il déploie une palette de variations remarquables dans son air de l’acte II, évoluant en fonction des états d’âme. Dans le duo du déshonneur, il parvient à conjuguer l’accent vindicatif qui sied à la situation et le velours de la consolation à l’adresse d’une Gilda aussi infortunée qu’émouvante. Et ce jusqu’au duo final, tout particulièrement poignant. Du pur bonheur !!! Il sera sur cette même scène Michele dans Il tabarro en avril prochain.
Le timbre cristallin de Rosa Feola, à ses débuts dans la maison, se marie à merveille avec ses couleurs, et la soprano italienne défend sa Gilda d’une ligne admirable, aux fioritures superlatives, dans le duo de la séduction ; un aigu, à la fois ferme et solide, dans la strette qui suit, la congédie du supposé Gualtier Maldè et se renouvelle dans l’allegro de la vengeance.
Une complicité aussi bien scénique que vocale s’installe alors avec le duc de Liparit Avetisyan, lui aussi débutant sur la première scène lyrique nationale (et déjà Duc de Mantoue dans l’admirable Rigoletto de Jérémie Rhorer à la Côte Saint-André en août 2022), étudiant faussement et efficacement timide dans le tableau des aveux amoureux. Au premier acte, sa barbe lui donne une allure à la François Ier, personnage archétypal dans le drame-source de Victor Hugo (Le roi s’amuse). On sait que le rôle du Duca constitue la parenthèse belcantiste, voire donizetienne, la plus voyante au sein d’une partition qui cherche de nouvelles formes d’expression, sans doute la plus novatrice de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler la trilogie populaire. Ainsi dans son air de présentation, les transitions vers le haut du registre sont superbement gérées et l’agilité est sans reproche. À l’acte II, l’articulation sonne légèrement approximative dans le récitatif de sa grande aria, alors que la cavatine est abordée tout en force et la cabalette, privée de son éclat, révèle quelques fâcheux conflits avec les vers de Piave. Mais la canzone de l’acte III débouche sur un aigu vigoureux.
Lui aussi venant de la reprise de 2021, le Sparafucile de Goderdzi Janelidze, barbu, se distingue toujours pour son beau grave, sa bonne diction et un volume considérable. Maddalena quelque peu engorgée dans le quatuor de l’acte III, Aude Extrémo manque cruellement de projection, même si elle devient plus audible dans le trio qui suit. L’écart reste tout de même très sensible d’abord avec le cri de désespoir, ensuite avec le sacrifice percutant de Gilda.
Promus respectivement de page de la duchesse et de comte de Ceprano en 2021 à Giovanna et Marullo, Marine Chagnon et Florent Mbia, aussi velu, si l’on considère l’écart dans la tessiture qui sépare ces personnages, pourront vraisemblablement espérer évoluer vers Maddalena et Sparafucile dans un futur non lointain. Le second devra néanmoins soigner davantage son élocution. Ce qui, en revanche, ne fait nullement défaut à l’impressionnant Monterone, barbu, de Blake Denson, caverneux à souhait. Borsa barbu, Manase Latu a quelques soucis de justesse dans l’introduction. Tandis qu’Amin Ahangaran est un Ceprano barbu très avenant, rendant peu crédible l’emprise du duc sur son épouse. Le charme du pouvoir…
Arborant lui aussi sa barbe, Domingo Hindoyan cisèle les vents de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, notamment dans son accompagnement de l’air de Gilda, accélérant par moments les tempi, comme lors de la cabalette du duc, bien que le prélude eût nécessité quelques réglages harmoniques supplémentaires. Chœurs superlatifs, notamment dans le finale I de l’enlèvement et dans le tempo di mezzo de l’air du duc à l’acte II.
Toutes les modes passent tôt ou tard, certaines plus vite, d’autres semblant s’enraciner plus longtemps. Puisque parallèlement est reproposé, au Palais Garnier, The Rake’s Progress, précisons, parité oblige, que ni Gilda, ni Giovanna ni Maddalena, ni les dames de la cour ne sont barbues. À bon entendeur…
Les artistes
Rigoletto : Roman Burdenko
Gilda : Rosa Feola
Il Duca di Mantova : Liparit Avetisyan
Sparafucile : Goderdzi Janelidze
Maddalena : Aude Extrémo
Il Conte di Monterone : Blake Denson
Giovanna : Marine Chagnon
Marullo : Florent Mbia
Mattero Borsa : Manase Latu
Il Conte di Ceprano : Amin Ahangaran
La Contessa : Teona Todua
Paggio della Duchessa : Seray Pinar
Double de Rigoletto : Henri Bernard Guizirian
Orchestre et Chœurs (chef de chœur : Alessandro Di Stefano) de l’Opéra national de Paris, dir. Domingo Hindoyan
Mise en scène : Claus Guth
Décors et costumes : Christian Schmidt
Lumières : Olaf Winter
Vidéo : Andi A. Müller
Chorégraphie : Teresa Rotemberg
Dramaturgie : Konrad Kuhn
Rigoletto
Melodramma en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave, créé au Teatro La Fenice de Venise le 11 mars 1851.
Paris, Opéra Bastille, représentation du 1er décembre 2024