Opéra-Ballet en un prologue et trois entrées de Jean-Philippe Rameau, ces Fêtes d’Hébé ont été créées le 21 Mai 1739 à l’Académie Royale de Musique. Hébé, déesse de la jeunesse, ne supporte plus l’Olympe et décide de goûter aux plaisirs des humains sur les rives de la Seine. Sont organisés trois spectacles, illustrant le pouvoir de la jeunesse grâce aux talents lyriques : poésie, musique ou danse.
Le spectacle actuellement proposé par l’Opéra Comique offre un dépoussiérage radical du livret, l’action étant transposée à notre époque. Finis les robes encombrantes et les costumes empesés qui handicapent les mouvements des chanteurs et des danseurs. Grâce à des éclairages superbes (ils sont signés Peter Van Praet et Robert Carsen lui-même), cela est fait, comme souvent avec le metteur en scène canadien, avec humour et finesse pour peu qu’on veuille bien faire preuve d’ouverture d’esprit. On se délecte pendant deux heures des nombreux effets et inventions imaginés par Carsen, sans qu’on puisse hélas tous les citer ici.
Le prologue, impeccable, se déroule fort à propos dans les salons de l‘Élysée puis sur le trottoir, devant le palais, et provoque quelques éclats de rire quand Brigitte Macron reçoit du vin rouge sur sa robe, ou quand Momus chante les répliques : « Je hais la troupe céleste » ou « Nous voyons Jupiter abandonner le rang suprême » ! Le baryton Marc Mauillon, interprète du rôle, spécialisé dans la musique médiévale et baroque, est bien connu des spectateurs de l’Opéra Comique. Le timbre est superbe, la voix est puissante, et on ne peut qu’en admirer la maîtrise à chaque intonation.
La première entrée consacrée à la Poésie nous mène sur les quais de Seine où sont disposés nombre de transats entre lesquels circulent des employés de Paris Plage. C’est Léa Desandre qui en interprète le rôle essentiel (Sappho). La voix est toujours aussi séduisante et l’on apprécie son interprétation toute en retenue.
Le Prince Hymas est ici devenu commandant de Police. On sent le baryton Renato Dolcini, lui aussi habitué du répertoire baroque, pas très à l’aise dans son lourd treillis qui lui impose un jeu de scène maladroit. Mais la voix est profonde et la prononciation parfaite. Un petit enchantement dans le rôle de la Naïade sortie de la Seine couverte d’algues : la soprano Emmanuelle Negri (déjà applaudie en ces mêmes lieux dans Atys en 2011 ou Platée en 2014), y est tout simplement formidable.
La deuxième entrée est consacrée à la Musique. Le décor est simple : un escalier monumental qui descend sur les berges, au sommet desquelles on devine les accroches des bouquinistes. Le premier air d’Iphise, en robe de mariée, chanté à nouveau par Léa Desandre, est un des plus beaux moments de cette soirée, où s’opère une fusion parfaite entre l’orchestre, tout en retenue, et la beauté et la puissance de la voix de la mezzo. L’évocation de la guerre avec Messène se transforme en un match de foot retransmis sur écran géant. Certes, cela peut surprendre, mais la précision des ballets et l’engagement total des chœurs fait que lon est finalement conquis, notamment grâce à l’incarnation du rôle de Tyrtée par Renato Dolcini, ici capitaine de foot, dont l’interprétation gagne encore en puissance.
Enfin la troisième entrée, dans laquelle on célèbre la Danse et qui nous mène sur une guinguette des bords de Seine, est le point d’orgue de cette soirée. Marc Mauillon campe Mercure, qui n’est plus un simple berger mais un motard propriétaire d’une baraque à frites – et accessoirement DJ. Il emplit à lui seul toute la scène grâce à sa présence incroyable et la maîtrise parfaite de son chant. Il est parfaitement secondé par Léa Desandre, chantant avec grâce le rôle d’Eglé. La toute dernière scène montre un bateau mouche avec Paris défilant en arrière-plan, jusqu’à un feu d’artifice sur fond de Tour Eiffel !
Toutes les danses sont magistralement réglées : danse de salon, break dance, smurf et hip hop cadrent parfaitement avec la musique. L’idée n’est certes pas nouvelle : on se rappelle, par exemple, Les Paladins de Rameau en 2004 au Théâtre du Châtelet avec les danseurs de la Compagnie Montalvo-Hervieu… Il n’empêche : nous avons droit ce soir à des ballets captivants, et jamais en décalage avec la partition !
Tout ce beau monde est dirigé par un William Christie qui vient fêter ses 80 ans à l’occasion de cette superbe production. Sous sa baguette, l’orchestre des Arts Florissants est comme à l’habitude merveilleux de fraîcheur, de justesse de précision. Et que dire des chœurs qui enchantent à chacune de leurs interventions ? Triomphe total de la part d’une salle comble – et rappels nombreux !
Mille mercis Maestro Christie… et happy birthday !
Hébé, Naïade : Emmanuelle de Negri
Sapho, Iphise, Eglé : Lea Desandre
Momus, Mercure : Marc Mauillon
Hymas, Tirtée : Renato Dolcini
Le ruisseau, Lycurgue : Cyril Auvity
Eurilas, Alcée : Lisandro Abadie
Thélème : Antonin Rondepierre
Le Fleuve : Matthieu Walendzik
Chœurs et Orchestre : les Arts Florissants, dir. William Christie
Mise en scène : Robert Carsen
Décors et costumes : Gideon Davey
Lumières : Peter Van Praet
Chorégraphie : Nicolas Paul
Vidéo : Renaud Rubiano
Les Fêtes d’Hébé
Opéra-Ballet en un prologue et trois entrées de Jean-Philippe Rameau. Livret d’Antoine-César Gautier de Montdorge. Créé le 21 Mai 1739 à l’Académie Royal de Musique (Opéra).
Paris, Opéra Comique, représentation du dimanche 15 décembre 2024.