Falstaff ossia Le tre burle, Teatro Filarmonico, 19 janvier 2025
Falstaff ossia Le tre burle de Salieri : un séducteur encombrant dans un tourbillon de plaisanteries, de rêves, de jalousies et d’amours.
Le dramma giocoso Falstaff ossia Le tre burle d’Antonio Salieri, créé à Vienne en 1799 – soit presque 100 ans avant celui de Verdi – a ouvert la saison d’opéra 2025 du Teatro Filarmonico de Vérone le dimanche 19 janvier 2025. Le choix de cet opéra est motivé par plusieurs raisons. En soi, il a connu un grand succès au XVIIIe siècle et mérite d’être redécouvert ; par ailleurs, le Teatro Filarmonico a été reconstruit après les bombardements de la Seconde Guerre mondiale et a été inauguré en 1975 avec ce même titre, qui célèbre maintenant ses 50 ans d’activité théâtrale ; enfin, Ricordi vient de publier une édition critique de la partition, ce qui permet de mieux faire connaître et apprécier l’opéra lui-même.
La représentation est une nouvelle production de la Fondazione Arena di Verona et s’inscrit dans le cadre du Festival Mozart a Verona 2025. L’orchestre et le chœur proviennent de la Fondazione Arena ; le chef d’orchestre est Francesco Ommassini, le chef de chœur est Roberto Gabbiani. La mise en scène et les costumes sont de Paolo Valerio, qui a habilement recréé des décors et des atmosphères du XVIIIe siècle, respectueux et évocateurs de la période historique dans laquelle l’opéra a été composé. Les décors et les projections d’Ezio Antonelli, ainsi que les éclairages de Claudio Schmid, sont en parfaite harmonie avec le décor rococo vénitien et plongent le spectateur dans un univers scintillant et coloré d’un grand raffinement. L’action scénique est parfois enrichie par la présence de mimes, coordonnés par Daniela Schiavone. En particulier, la scène nocturne finale, au pied du « grand chêne », est très évocatrice, avec l’Andante maestoso chanté par Mme Ford « Fate verdi, turchine e bianche e nere » et l’Allegretto suivant du chœur « O fra i mali mal più grave », et tous les personnages qui, avec les « lemuri, spiriti, larve, ombre leggere », dansent autour de Falstaff et « gli dan a tempo di musica de’ pizzicotti » [le piquent au rythme de la musique]. La véhémence de l’orchestre, les échos raréfiés créés par le chœur, le scintillement des « torches allumées » (bien que technologiques !) dessinent un monde ironiquement surnaturel du plus bel effet.
La distribution est composée de jeunes interprètes talentueux et bien équilibrés. Dans le rôle exigeant de Sir John Falstaff, on trouve Giulio Mastrototaro : un baryton de 45 ans qui s’est spécialisé dans le répertoire bouffe et a déjà collaboré avec les plus grands théâtres italiens et européens. Sur les plans vocal et dramaturgique, il dessine un personnage complexe : vantard et sujet aux appétits les plus fous, mais aussi fragile et sensible. À ses côtés, Gilda Fiume est une remarquable co-vedette, qui incarne le rôle de Mme Ford avec aisance, se révélant techniquement sûre (elle s’est perfectionnée auprès de Renata Scotto et étudie avec Mariella Devia depuis 2014) ; elle est scéniquement convaincante et vocalement expressive, capable d’un chant doux et policé. Le jeune ténor Marco Ciaponi est un Monsieur Ford au beau timbre et au style élégant, avec de beaux sons filés et des mezzavoce intenses. Michele Patti et Laura Verecchia, respectivement M. et Mme Slender, ont réalisé de bonnes performances : le premier, avec une solide voix de baryton, était brillant et scéniquement « bondissant » ; bien campée dans le personnage, la seconde était espiègle et rendait tout aussi bien les moments de joie que les situations intrigantes et potentiellement dramatiques. À la fin du duo « La stessa, la stessissima », les deux comari ont reçu un tonnerre d’applaudissements (rappelons que le thème de ce duo était très apprécié de Beethoven, qui l’avait repris dans ses Variations pour piano et orchestre).
Après une telle brochette de nobles décadents et de bourgeois parvenus, il reste enfin les humbles serviteurs Bardolf et Betty, à savoir Romano Dal Zovo et Eleonora Bellocci, tous deux de brillants interprètes. Dans la deuxième scène de l’acte I, le rêve de Bardolf donne une touche de délicate humanité au personnage qui, après avoir énuméré les innombrables méfaits que lui a imposés son maître, s’exclame « Sia maledetto il punto / in cui venni a servir questo spiantato! » [« Maudit soit le lieu/ où je suis venu servir ce misérable ! »], suivi de l’air « Or ci siamo padron mio ». [« Nous voici arrivés, mon maître »].
À la fin de la représentation, accueil chaleureux de la part du public !
Sir John Falstaff : Giulio Mastrototaro
Mrs. Ford : Gilda Fiume
Mr. Ford : Marco Ciaponi
Mr. Slender : Michele Patti
Mrs. Slender : Laura Verrecchia
Bardolf : Romano Dal Zovo
Betty : Eleonora Bellocci
Orchestre, Choeur et Techniciens : Fondazione Arena di Verona
Dir. : Francesco Ommassini
Chef de choeur : Roberto Gabbiani
Mise en scène et Costumes : Paolo Valerio
Décors et vidéo: Ezio Antonelli
Lumières : Claudio Schmid
Directeur de plateau : Michele Olcese
Falstaff ossia Le tre burle
Dramma giocoso en deux actes d’Antonio Salieri, livret de Carlo Prospero Defranceschi, d’après Les Joyeuses commères de Windsor de William Shakespeare, créé au Théâtre de Porta Carinthia à Vienne, le 3 janvier 1799.
Vérone, Teatro Filarmonico, 19 janvier 2025.