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Bruxelles referme en beauté son Ring à « double lecture scénique », avec un Crépuscule très bien accueilli par le public, qui fait un triomphe à l’orchestre de la Monnaie et à Alain Altinoglu.
Après Tristan et Isolde à Liège, L’Or du Rhin à Paris – et avant L’Or du Rhin et le Tristan monégasques ou encore la Walkyrie scaligère –, l’hiver wagnérien poursuit son chemin avec Le Crépuscule des dieux, dernière journée du Ring monté par la Monnaie de Bruxelles. Avec, faut-il le rappeler, deux metteurs en scène : Roberto Castellucci pour le Prologue et la première journée, et Pierre Audi pour les deux dernières journées.
Le triomphe remporté par le spectacle est avant tout celui de l’orchestre et de son chef, une fois encore superlatifs : quel sens du drame, quelles couleurs, quelle poésie ! Sous la direction habitée d’Alain Altinoglu, l’orchestre n’écrase jamais les voix mais les porte et semble constamment dialoguer avec elles – tout en constituant la trame narrative de ce dernier volet, culminant dans une scène finale… incandescente ! Une performance justement acclamée par un public reconnaissant.
Vocalement, les raisons de se réjouir sont également nombreuses. Même si son rôle est plus limité que dans les autres volets du Ring, on retrouve avec plaisir l’Alberich efficace de Scott Hendricks. Son Hagen de fils est un saisissant Ain Anger : si le chant est parfois un peu « brut de décoffrage » (mais n’est-ce pas le rôle qui le veut ?), il impressionne tout autant que la silhouette du chanteur, sorte de Nosferatu échappé d’un film de Murnau. Andrew Foster-Williams convainc pleinement en Gunther, tour à tour veule, agressif, repentant… Son timbre clair contraste par ailleurs efficacement avec les autres voix graves de la distribution. Moins parfaite vocalement qu’en Erda, Nora Gubisch s’investit pleinement en Waltraute. Impeccables, les Filles du Rhin et les trois Nornes, avec une mention spéciale pour Marvic Monreal, au timbre particulièrement prenant. Anett Fristsch triomphe en Gutrune, et ça n’est que justice : le timbre, magnifique, se déploie sans heurt et avec la même facilité sur toute la tessiture, la projection ne semble jamais forcée, et la musicalité, la féminité, la sensibilité sont constantes. Un sans-faute pour cette prise de rôle ! Changement de Siegfried avec ce dernier opus de la tétralogie : à Magnus Vigilius qui incarnait le héros éponyme dans la deuxième journée succède l’américain Bryan Register. Si le timbre est agréable en termes de couleurs, la projection nous a paru parfois un peu fragile, surtout dans le haut de la tessiture. Cela ne nuit pas à la scène de la mort, au contraire, mais pose quelques problèmes dans les moments plus héroïques (avec un raté malencontreux dans le « Hoïhé ! » de la scène 2 du troisième acte, même si les difficiles aigus de la scène où Siegfried se remémore son passé sont, eux, convenablement émis). Prise de rôle, enfin, pour Ingela Brimberg, jusqu’ici familière de la Brünnhilde de Die Walküre. Une petite frayeur saisit le public lors de l’entracte précédant le dernier acte : on nous annonce que la soprano, souffrante, a malgré tout accepté d’aller au bout de la représentation. De fait, en amont et en aval de cette annonce, les signes audibles de sa méforme auront été minimes. Tout au plus remarque-t-on quelques aigus un peu bas et moins d’arrogance dans la projection, mais les qualités que l’on apprécie tant chez cette chanteuse sont bien là : phrasé et diction très clairs, élégance d’une ligne de chant jamais forcée, grande sensibilité. Le public applaudira chaleureusement cette belle interprète qui, quelques jours plus tôt, remplaçait au pied levé et sans répétition l’Isolde défaillante de Liège !
Reste enfin la mise en scène de Pierre Audi, qui continue sur la lignée du Siegfried applaudi l’an dernier : une scénographie (Michael Simon) épurée, à commencer par les superbes éclairages de Valerio Tiberi ; un jeu d’acteurs précis (mais pourquoi diable avoir imposé cette gestuelle bizarre à Waltraute et aux vassaux de Gibich, plus comiques qu’effrayants) ; quelques propositions originales, tels les dessins d’enfants en ouverture de spectacle, rappelant que le Ring, au delà des lectures intellectualisantes qu’on peut en proposer, tient aussi du simple Märchen ; telle encore l’apparition de Brünnhilde lors de la marche funèbre : c’est elle qui arrache l’anneau du doigt de Siegfried et qui le brandira face à Hagen au moment où celui-ci cherche à s’en emparer. D’aucuns reprocheront au spectacle une absence de (re)lecture éclairant l’œuvre de façon inédite. On peut aussi apprécier le fait de pouvoir se concentrer non sur ce que cherche à dire le metteur en scène, mais sur ce que dit l’œuvre.
Siegfried : Bryan Register
Gunther : Andrew Foster-Williams
Alberich : Scott Hendricks
Hagen : Ain Anger
Brünnhilde : Ingela Brimberg
Gutrune : Anett Fritsch
Waltraute : Nora Gubisch
Erste Norn : Marvic Monreal
Zweite Norn : Iris van Wijnen
Dritte Norn : Katie Lowe
Woglinde : Tamara Banješević
Wellgunde : Jelena Kordić
Flosshilde : Christel Loetzsch
Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie, dir. Alain Altinoglu
Chef des chœurs : Emmanuel Trenque
Mise en scène : Pierre Audi
Chorégraphie : Pim Veulings
Vidéo : Chris Kondek
Décors : Michael Simon
Costumes : Petra Reinhardt
Éclairages : Valerio Tiberi
Dramaturgie : Klaus Bertish
Götterdammerung (Le Crépuscule des dieux)
Opéra en un prologue et trois actes de Richard Wagner, créé le 17 août 1876 au Bayreuther Festspielhaus. Troisième journée du Ring des Nibelungen.