La Bohème à l’Opéra Grand Avignon : la simplicité pour révéler l’essentiel

La Bohème est le premier grand succès de Giacomo Puccini, l’opéra qui lui a valu la reconnaissance du public et de la critique. Cette production, présentée au Grand Théâtre d’Avignon en co-production avec le SNG Opera in Ballet Ljubljana, revêt un caractère particulier : le directeur de l’Opéra Grand Avignon en assure lui-même la mise en scène.
Frédéric Roels fait le choix d’une approche humaine, centrée sur les personnages et leurs émotions. Optant pour une version épurée et classique, il délaisse les artifices scéniques spectaculaires pour recentrer l’attention sur l’essence de l’histoire : le déséquilibre des choses, l’instabilité et le choix de cette vie de bohème. La production se distingue par son minimalisme, sans effets techniques superflus, pour préserver l’authenticité du propos.
L’objectif est de revenir aux sources de l’œuvre, inspirée du roman Scènes de la vie de bohème d’Henri Murger, qui dresse une fresque sociale en fragments de vie d’artistes. La tonalité légère, souvent humoristique et festive, accentue le contraste avec les scènes dramatiques qui suivent. Une des forces de cette mise en scène est d’éviter tout misérabilisme ou vulgarisation de la pauvreté. Dans le programme de salle, le metteur en scène exprime son souhait de s’éloigner de l’esthétique vériste pour proposer une vision plus universaliste. Quelques accessoires et éléments de décor suffisent à faire avancer la narration.
Cette version épurée est parfaitement adaptée à un public découvrant l’opéra ou en quête d’une approche classique. L’œuvre s’ouvre sur Marcello en train de peindre Musetta, à demi-nue, avant leur première scène de couple. Ici, pas de vue sur les toits enneigés de Paris, mais un astucieux enchevêtrement de fenêtres aériennes. Différents espaces scéniques qui structurent la mansarde : un poêle où l’on brûle le manuscrit pour se réchauffer, une chaise et un matelas posé au sol. La pauvreté est diffuse, imperceptible, et pourtant, elle conditionne toute l’œuvre. L’ingéniosité scénique est également notable dans la transformation du café chez Momus : les caisses de la mansarde deviennent tables sous les yeux du public, agrémentées de quelques accessoires comme une nappe et de la vaisselle, insufflant une atmosphère festive et chaleureuse.
En dépouillant l’opéra de tout artifice superflu, ce sont les costumes qui permettent au spectateur d’effectuer un véritable voyage dans le Paris du XIXe siècle. Toutefois, la sobriété du dispositif scénique facilite également une transposition contemporaine, soulignant la dimension intemporelle du récit. C’est donc une proposition convaincante, qui fait confiance à l’imaginaire du spectateur et lui laisse un espace d’interprétation.
L’orchestre national Avignon-Provence, dirigé par Federico Santi, est en parfaite harmonie avec cette mise en scène. La lecture musicale du chef est marquée par une grande légèreté et une agilité rythmique. Sans jamais verser dans l’excès, il instaure une forme de fatalité douce, où l’émotion affleure sans emphase excessive. Il renforce les contrastes de la partition avec un effectif enrichi pour l’occasion. L’orchestre, particulièrement enjoué et présent dans les premiers tableaux, se fait plus subtil et nuancé dans la deuxième partie de l’opéra. Les chœurs, préparés avec précision par Alan Woodbridge, participent pleinement à l’énergie festive des ensembles. Enfin, le fantasque vendeur de jouets, Parpignol, campé par Julien Desplantes, enchante les enfants de la maîtrise tout en provoquant l’agacement des parents. Son costume charmant et son cheval de bois apportent une touche de magie à cette production.
Côté distribution, le plateau de jeunes artistes réunis pour l’occasion est homogène et convaincant. Diego Godoy incarne un poète Rodolfo au timbre chaleureux. Emporté, enjoué et passionné, il frôle parfois la caricature, mais toujours avec un charme communicatif. Sa voix, souple et agile, lui permet d’offrir au public des notes tenues avec beaucoup de facilité, assurant ainsi le spectacle. Alors que la flamme de la bougie de Mimi s’éteint, un amour plus intense s’allume. On assiste à cette éclosion pudique ainsi qu’à leurs présentations touchantes dans un très beau duo.
Mimi, incarnée par Gabrielle Philiponet, apparait comme empreinte de douceur et de pudeur. Leur première rencontre, marquée par la symbolique simple et universelle d’une main réchauffée, rappelle à chacun l’élan des premiers émois amoureux. Les couleurs développées se font plus tragiques lors de ses adieux alors que la musique de Puccini magnifie cet instant poignant.
Geoffroy Salvas incarne un Marcello à la voix claire, lumineuse. Son chant précis et parfaitement ciselé met en valeur la profondeur du personnage. Rodolfo trouve en lui un ami et un confident fidèle, capable de lui arracher ses sentiments les plus profonds et ses intentions les plus secrètes. Leur complicité scénique renforce la dimension humaine et sincère de cette Bohème.
Le musicien Schaunard, seul des quatre amis à disposer de revenus plus stables, apporte une touche de légèreté et d’insouciance, tandis que Colline se distingue par son geste poignant d’amitié ou il sacrifie son vieux manteau pour Mimi mourante. L’intensité dramatique du finale, où la pauvreté se révèle dans toute sa cruauté, est rendue avec une justesse bouleversante. Mikhael Piccone et Dmitrii Grigorev sont tous deux convaincants dans leurs rôles. Yuri Kissin complète la distribution en assurant le double rôle de Benoit et Alcindoro.
Musetta, interprétée par Charlotte Bonnet, est une véritable bouffée d’air frais. Son rire radieux, sa liberté et son impertinence sont captivants. Maîtresse ensorcelante, elle oscille entre la légèreté d’une enjôleuse espiègle et la profondeur d’une âme sensible au grand cœur. Ses moyens vocaux et son jeu scénique sont magnifiquement mis en valeur.
Comme le souligne Piotr Kaminski, le mystère du succès de La Bohème réside dans sa capacité à susciter l’identification du public, au-delà des époques, des costumes et des décors. Ses thèmes essentiels : la jeunesse, la pauvreté, l’ambition, l’humour, le courage, l’amitié et l’amour, sont des éléments universels qui résonnent en chacun de nous. En somme, cette Bohème avignonnaise, par sa mise en scène épurée et son engagement musical, réussit à toucher au cœur. Une invitation à la redécouverte d’un chef-d’œuvre intemporel.
Mimì : Gabrielle Philiponet
Rodolfo : Diego Godoy
Musetta : Charlotte Bonnet
Marcello : Geoffroy Salvas
Schaunard : Mikhael Piccone
Colline : Dmitrii Grigorev
Alcindoro / Benoît : Yuri Kissin
Orchestre national Avignon-Provence, dir. Federico Santi
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon
Mise en scène : Frédéric Roels
Décors / Costumes : Lionel Lesire
Lumières : Arnaud Viala
Assistanat à la mise en scène : Nathalie Gendrot
Études musicales : Thomas Palmer
Chef de Chœur : Alan Woodbridge
Responsable de la Maîtrise : Florence Goyon-Pogemberg
La Bohème
Opéra en quatre tableaux de Giacomo Puccini, livret de Giacosa et Illica, d’après Scènes de la vie de Bohème d’Henri Murger, créé le 1er février 1896 au Teatro Regio de Turin.
Opéra d’Avignon, représentation du vendredi 28 février 2025.