D’où a bien pu venir l’idée de ressortir l’œuvre de Félix Fourdrain, organiste et compositeur du début du XXe siècle tombé (injustement au vu du spectacle de ce soir) dans l’oubli ? Issue de sa période la plus prolifique, et crée en 1913, cet opéra a l’air de n’avoir survécu qu’au travers des partitions imprimées plus que grâce à des enregistrements. Mais qu’à cela ne tienne, aucune référence ne vient imposer d’opinion préconçue sur le superbe spectacle donné à l’Athénée-Louis Jouvet.
On entendait déjà dans l’excellent opus « Tea for two » des Frivolités Parisiennes la « Rêverie » de Cendrillon, peut-être était-ce là le début du dépoussiérage de cet opéra ? opérette ? conte musical ? La première page de la partition imprimée indique « féerie lyrique » et c’est sans doute la définition la plus exacte à laquelle on puisse penser, car si cette œuvre échappe quelque peu à une classification fixe, c’est parce qu’elle impose ses exigences en matière de costumes, de mise en scène, de voix et aussi de jeu d’acteur.
Sur un fil conducteur extrêmement simple (sauvé par son ingéniosité, le Petit Poucet rendu à ses parents, se transforme en Prince Charmant), l’histoire déroule les aventures qui conduiront le héros à croiser le chemin de personnages littéralement hauts en couleur : la bonne Fée Morgane et son ennemi l’extravagant Olibrius, mais aussi Cendrillon, le Chat botté, Barbe Bleue, le Croquemitaine, dont les récits rejoignent aussi Peau d’Ane, Riquet à la houppe, et La belle au bois dormant.
La forme ainsi l’emporte en premier sur le fond : les beaux costumes comme découpés dans du papier, imaginés par Vanessa Sannino rappellent l’imaginaire collectif crée par les films de Disney tout en parvenant à s’en détacher. L’ingénieuse mise en mouvement par Rémi Boissy impose aux comédiens de ne se déplacer que de manière latérale, donnant un effet de deux dimensions où les personnages semblent s’être détachés d’un livre à images. Impression renforcée par les décors pensés par Vanessa Sannino également, et apparaissant parfois comme des ombres chinoises avec l’apparition du Chat Botté entre autres, et entourant parfois la scène comme dans des livres d’enfant. Le tout est coloré, et étincelant comme doivent l’être les contes de fée.
Adapter ainsi des contes requiert de la finesse dans un jeu d’équilibriste subtil : faut-il jouer totalement la carte de la naïveté propre aux contes, et ne distiller jamais de second degré ? Ou injecter un peu de cynisme et de sarcasme ? La réponse finalement est donnée en premier lieu par la partition et les airs, riches, mélodiques et jouant soit le jeu de la comédie à la Offenbach, avec le truculent air du Bicarbonate de soude, soit du lyrisme propre aux airs romantiques de l’époque et de la fin du XIXe siècle, avec par exemple l’air du sommeil mené par Olibrius et les chœurs au dernier acte ou la jolie rêverie de Cendrillon, donnée sous les étoiles.
La performance vocale rejoint alors la performance des comédiens car faire rire reste le plus difficile et correspond presque à un timing digne d’une partition. L’ensemble des chanteurs fait montre ainsi d’un talent consommé dans la comédie, et grâce à un livret légèrement remanié, le tout ne tombe jamais dans la mièvrerie mais au contraire fait ressortir le ridicule des situations grâce au talent des chanteurs, dont on ne sait qui mentionner en premier, les seconds rôles étant tout aussi drôles que les premiers…
Les sœurs de Cendrillon et Madame de Houspignoles, toutes en récriminations et dédain, sont très bien incarnées vocalement et scéniquement par Eléonore Gagey, Hortense Venot et Laura Neumann, cette dernière déjà applaudie dans « Gosse de riche » de Maurice Yvain cette saison à l’Athénée. Lucile Komitès et Geoffroy Buffière, en parents du Petit Poucet et souverains malgré eux, chantent aussi bien la royauté que le couple jaloux. Camille Brault fait un Chat Botté malicieux qu’on aurait aimé entendre plus, mais dont l’air est magnifié visuellement par les ombres chinoises en arrière-plan. Le duo de vilains Croquemitaine – Barbe bleue, chanté par Richard Delestre et Philippe Brocard, constitue un des clous de la soirée, ces derniers incarnant des méchants très méchants comme on les aime.
Reste un fameux quatuor : un Prince charmant / Riquet à la houppe plein de lui-même et de premier degré, drôle au possible, auquel Enguerrand De Hys donne beaucoup de charme. Une Fée Morgane (Julie Mathevet) aux notes magiques de coloratures mais quand même un peu blasée à intervenir dans la vie des humains, Anaïs Merlin, tour à tour Petit Poucet, Cendrillon, Chaperon rouge (dans une irrésistible pantomime lipsynchée) et Peau d’âne à l’accent bien paysan, donne toute la poésie et l’humanité nécessaire à ses rôles avec un déploiement vocal impeccable. Et bien sûr que serait un conte de fée sans un méchant à la hauteur ? La tâche échoit à Romain Dayez. On peine à reconnaître, même à l’oreille, le Guglielmo séducteur du revu et corrigé « Cosi Fan Tutti » d’il y a quelques mois à l’Athénée, tellement le chanteur use habilement de sa voix pour créer de toutes pièces un sorcier, quelque part entre un Michel Serrault qui doublerait un méchant de Disney et une hyène du Roi Lion. Le baryton s’adapte avec entrain et talent à une tessiture extrêmement haute pour offrir un Olibrius aussi extravagant que diabolique.
Le public ressort, surpris et charmé par L’Orchestre des frivolités Parisiennes qui virevolte et fait vibrer la partition avec élan et entrain sous la baguette énergique de Dylan Corlay, et qui nous laisse nous demander à quand un enregistrement ?
Cendrillon, Le petit Poucet, Chaperon Rouge : Anaïs Merlin
La fée Morgane : Julie Mathevet
Olibrius : Romain Dayez
Le Prince Charmant : Enguerrand De Hys
Madame de Houspignoles : Lara Neumann
Le Chat Botté : Camille Brault
Aurore: Eléonore Gagey
Javotte : Hortense Venot
Croquemitaine, Meunier, Huissier : Richard Delestre
La Pinchonniere, Barbe-Bleue : Philippe Brocard
La reine Guillaumette : Lucile Komitès
Le roi Guillaume : Geoffroy Buffière
Choeur et l’orchestre des Frivolités Parisiennes, dir. Dylan Corlay
Les Contes de Perrault
Féérie lyrique d’Arthur Bernède, parue en 1913 de Félix Fourdrain , livret d’Arthur Bernède, Paul de Choudens.
Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, représentation du 4 avril 2025