Annick Massis est sans aucun doute l’une des personnalités du monde lyrique les plus attachantes du moment, et un public de fervents admirateurs suit son actualité avec fidélité et amour. Il est venu nombreux lundi dernier à l’Éléphant Paname, assister à un récital d’une grande originalité, témoignant de l’inflexion nouvelle que, peut-être, la chanteuse souhaite donner à sa carrière.
Sans renoncer aux emplois belcantistes ou français qui ont fait sa réputation (elle était il y a un an une superbe Lucreza Borgia à Toulouse, et elle rentre tout juste de Liège où elle a rencontré un très beau succès en Leila des Pêcheurs de perles), certaines prises de rôle récentes (Elle dans La Voix humaine à Florence, Mathilde dans Guillaume Tell à Monte Carlo, au Théâtre des Champs Élysées puis à Orange) semblent indiquer une possible inflexion vers des rôles un peu plus lyriques que ceux qu’Annick Massis défend jusqu’alors. Le programme proposé à l’Éléphant Paname confirme cette impression : peu ou pas de pyrotechnie vocale (si ce n’est dans l’extrait de Jérusalem qui clôt le récital, avec l’air d’Hélène, qui sollicite par ailleurs plus la technique du soprano d’agilità e di forza que les roucoulades éthérées des sopranos légers), mais des airs ou des mélodies qui convoquent de longues tenues de souffle, un panel de couleurs variées et des graves chaleureux.
La maîtrise du souffle et la variété des couleurs font bien sûr partie des qualités éminentes de la chanteuse : la voix sait se faire tour à tour touchante, dramatique ou riante en fonction du contexte ; elle peut se couvrir d’une ombre ou sonner triomphante, triller à la perfection, s’amenuir dans l’aigu jusqu’au plus infime pianissimo (très beaux decrescendi à la fin des airs de Léonore ou d’Amelia). Ce qui surprend plus, ce sont ces graves désormais bien sonores qui, il n’y a guère, n’appartenaient pas au bagage vocal de la chanteuse, et qui lui permettent d’aborder des rôles – ou du moins des airs – qu’a priori on aurait cru inadaptés à sa vocalité : Medora du Corsaire, Amelia de Simon Boccanegra, Adrienne Lecouvreur (dont l’« Umile ancilla » est proposée en bis) ou Leonora du Trouvère – encore qu’une Léonore d’essence belcantiste n’est pas un contre-sens, Joan Sutherland l’ayant prouvé dans l’étonnante intégrale Decca. Le médium en revanche est parfois un peu rebelle : il se dérobe de temps en temps et la chanteuse peine quelquefois à lier les registres entre eux (mais peut-être était-elle enrhumée : elle a dû en effet à plusieurs reprises toussoter pour s’éclaircir la voix). La musicalité en revanche reste intacte, de même que le raffinement et l’engagement entier de l’interprète. Autant de qualités qui font littéralement craquer le public, adressant à la chanteuse (et au pianiste Antoine Palloc, accompagnateur talentueux et très attentionné comme à son habitude) d’enthousiastes témoignages d’amour et de reconnaissance.
Verdi : Jérusalem – Festival Verdi de Parme, 2017 (Hélène : Annick Massis)
Annick Massis, soprano
Antoin Palloc, piano
Éléphant Paname, 02 décembre 2019
Maurice Ravel : M’affacio la finestra … ;
Gabriel Fauré : Levati sol…;
Franz Schubert : Guarda che brancha luna… ;
Franz Liszt : I vidi in terra angelici costumi… ;
Giuseppe Verdi : Il corsaro (« Egli non riede ancora …. Non so le tetre immagine… ») ; Il trovatore (« Timor di me … D’amor sull’ali rose« ) ; Simon Boccanegra (« Come in quest’ora bruna… ») ; I Masnadieri (« Venerabile o padre … Lo sguardo avea degli angeli« ) ; Jérusalem (« Il respire, …. Ô transport … »);
Cilea : Adriana Lecouvreur (« Ecco : respiro appena … Io son l’umile ancella … »).